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Les rêves d'enfants jamais réalisés à l'âge d'adulte. Un peu comme devenir styliste. Je lorgne avec un peu de nostalgie, ce qui est d'ailleurs si peu commun avec moi, le logiciel Peint avec lequel des années lumières en arrière j'ai beaucoup dessiné des robes et des mannequins. C'était ma révolution à un certain âge, un talent qui fleurissait, une obsession de mode qui est venue de nulle part. Bref. Je ne suis nullement le genre à ressasser le passé à chaque bout de seconde, mais aujourd'hui, en cet après-midi, je suis complètement chamboulée par des émotions étrangères à mes envies habituelles de croquer la vie à plein dents. Peut-être parce que c'est l'anniversaire de ma soeur aînée aujourd'hui, et je n'arrive pas à me sentir concernée.

— Yasmine, t'es à la bourre, me sermonne mon chef, en désignant d'un geste de menton l'affiche que je n'ai pas encore ni encadrée ni retouchée.

Lui c'est le chef de la section technologique du CAP, celle dont je fais partie depuis un mois déjà. CAP pour club des activités polyvalentes de l'école nationale polytechnique dont je fais partie deux mois de cela et qui déjà me fait sortir de mes gonds. Nous sommes dans une salle vide, très spacieuse comme toutes les salles du bloc génie civil, nouvellement mis à pied par rapport aux autres bâtiments vieillots de l'école ; et nous exerçons une formation sur le logiciel Photoshop. Formation pas des plus complètes, juste le strict minimum pour pouvoir après l'utiliser lors des nombreuses activités du club. Y'a garçons et filles, tous des premières années. J'ai fait la connaissance d'à peu près tout le monde, et ceux qui sont exception à la règle, ne correspondent seulement pas à mon critère de choix car je n'aime pas les gens tristes, peu bavards et qui se renfrognent derrière des silences qu'ils jugent respectables et polis. Peut-être la seule exception, la vraie jusqu'à aujourd'hui, c'est lui.

Garçon maigrichon, aux cheveux souvent en bataille, secs comme des pailles, des yeux noirs, une peau mate et brune. Il circule entre les différents pupitres, administre des remontrances comme il vient juste de le faire avec moi. Énergétique, plein d'idées, de bonté, de bon sens mais surtout de religion. Conservateur, très conservateur même et s'il avait la chance, il se serait laissé pousser la barbe aussi longue qu'il le pouvait, mais à son grand damn, ses joues sont aussi glabres que celle d'un bébé. C'est pour cette raison que je me tienne à carreaux avec lui car je ne suis aucunement le genre de fille à l'attirer avec mes robes d'été, mes jeans serrés et mes yeux d'un vert presque verre tant qu'ils paraissent translucides et que je ne manque jamais de mettre en valeur.

Les chaises sont raclées bruyamment. On aimerait tellement rester ici, au lieu de ça, chacun de nous droit reprendre ses cours de l'après-midi. Je ne suis pas concernée aujourd'hui.

— T'as des projets pour l'aprem ? demandé-je à une fille de mon groupe, une jolie brune aux cheveux lisses et rares. Elle tarderait pas à être chauve à mon avis.

Elle attrape son sac-à-dos, fait la moue et je connais déjà la réponse avant même qu'elle ne l'a donne. Foutues révisions.

— Yasmine ?

Je me retourne vers Idris, alias mon chef qui m'attend à côté du pupitre où il a déposé ses affaires. Je le rejoins, un peu timide moi qui suis habituellement extravagante, extravertie et naturellement joviale.

— J'ai une mission pour toi.

Il fait des trucs sur son ordinateur portable. Mon imagination se déborde, crée aussitôt des fantaisies où nous serions acteurs de quelconque aventure à Alger. La réalité me rattrape rapidement.

— Puisque t'as l'aprem libre, tu te chargeras de ranger un peu notre disons quartier général.

J'écarquille les yeux, ne m'attendant pas du tout à une corvée de cette envergure puis tente un peu d'humour. L'humour, dit-on, séduit, conquit les coeurs les plus inaptes à tomber amoureux.

— Quartier général ? — je lâche un petit rire féminin, si étranger à mon vrai rire mais séduction oblige — Le CAP a l'intention de devenir l'Ordre du phénix ?

Idris fronce les sourcils, ne comprenant pas ma blague et ne cherchant visiblement pas à la comprendre puisqu'il se contente de sourire poliment, l'air de dire je suis un peu vieux pour tout ça. J'opine du chef, lui dis un discret au revoir auquel il ne répond même pas et vais rejoindre le vieux hangar qui, après les dernières réunions, serait transformée en un petit lieu intime spécialement dédié pour les capistes.

Sur mon chemin, je salue des gens que j'ai rencontrés ici à polytechnique, et qui pour la plupart se hâtent d'aller rejoindre le bloc des salles TD. Les TD l'après-midi, c'est l'enfer surtout avec des profs qui se préoccupent juste de faire le maximum d'exercices possibles. Le quartier général en question est situé derrière le département de prépa, dans un petit coin où nul se rend, où nul n'a raison apparente de se rendre. Je longe les voitures stationnées devant le département, la plupart appartenant aux étudiants huppés de cet Alger riche et orgueilleux. En somme l'Alger que je n'habiterais pas de sitôt.

Il fait un peu froid à l'intérieur ou est-ce le manque de lumière et la pénombre environnante qui fait que je ressente ces frissons ? Le hangar est assez large, aux murs défréchis qu'un bon à rien avait un jour suggéré de peindre entièrement. Une idée que le chef du CAP avait entièrement approuvée. Le sol est un peu sale. De la poussière recouvre une table en bois, le seul immeuble qui trône dans cette immensité déserte que je dois un peu enjoliver. Je souffle de dépit, déjà fatiguée rien qu'en voyant le famélique balai en bois me faire de pervers clins d'oeil. Je déteste les tâches ménagères. Et encore plus les faire pour quelqu'un qui n'est pas maman.

Un coup de balai puis un autre. Je pense à mon père qui, à quize heures, viendra ma chercher. Un autre coup qui soulève une marée de poussière blanchâtre. J'entends un cliquetis. Comme un bracelet qui remue ou un collier en métal. Je me retourne vivement, brassant l'air d'un hangar vide et angoissant de vide. Mon regard qui erre sur les encoignures, lèche les murs, est suspicieux. Je hoche la tête, amusée par ma réaction démesurée. Et soudain, dans le silence réconfortant, un autre bruit moins discret se fait entendre. Bizarrement, je me vois dans le cabinet de douche, une semaine en arrière et cette pensée suffit à me faire froid dans le dos pour une raison que je n'arrive pas à saisir.

Je m'approche de la source du bruit, alors que tous mes sens sont en alerte, me crient de déguerpir. Mais si il s'agit que d'une vulgaire caméra cachée ? Younes, un gars des deuxièmes années, assez fêlé, barge et plein d'idées certes géniales mais parfois folles serait capable de suggérer une telle farce. Et la faire précisément à moi est tout lui. Cette pensée réconforte mon maigre courage, et c'est ainsi que je mets un pied devant l'autre, inspecte chaque recoin, les oreilles aux aguets d'un autre bruit. Quand soudain, le tissu poussiéreux tendu sur le mur d'en face se soulève vivement comme agitée par une brise inexistante. Je lâche un cri de frayeur, recule d'un bond spectaculaire lorsque une fille fait son apparition derrière le tissu qui cache derrière lui un couloir dont je n'étais pas au courant.

Mon coeur bat la chamade, se calme un peu puis rate un nouveau battement au vu de la constatation que je viens de faire. La fille, d'âge assez mur, vingt-deux ans peut-être, aux cheveux blonds tressés, ressemble étrangement à la fille de mon rêve ce matin en cours de stat. Non c'est elle. Certainement effrayée par mes regards et mon visage blême, elle tente une question et sa voix me rappelle exactement celle de la fille. Un vent froid sa dépose sur ma nuque. Je déglutis. Je chavire d'une peur nouvelle que j'ai trimbalée toute une semaine et que je je me suis farouchement empêchée de voir en face.

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