Chapitre 10 : La foi ou le roi
Andrei
8 mars 5131
Les armées d’Orania sont enfin réunies et si les bannières sont moins nombreuses que lors de la dernière guerre, les plus importantes ont néanmoins répondu à l’appel ! Il y a l’épée ensanglantée transperçant le Soleil des ducs de Sartov, dont le rejeton doit être désireux de faire oublier la trahison de son père, Le corbeau des ducs de Cracvonia qui ont quelques griefs contre Isgar, l’ours blanc des grands-ducs d’Ortov toujours fidèles au trône, la flamme duale des comtes de Gamar qui jamais ne furent aussi puissants et respectés qu’aujourd’hui. Enfin, et pas des moindres, il y a le bateau à la couronne des rois d’Ishka menés par Piotr IV. Tous ces étendards flottent sous le drapeau à l’éclipse couronnée d’Orania qui les surplombent de la plus haute tour de Valassmar.
Contrairement à d’habitude tous les vampires furent réunis à la capitale afin que chacun d’entre eux soit béni dans la cathédrale. Le roi pense que cela renforcera l’aspect religieux de cette guerre et fera oublier son fourvoiement lors du procès de la reine Vassilissa. C’est donc à la tête de cette cohorte de chevaliers qu’au clair de lune Nikolaj, Yegor à sa droite, emmitouflé dans une armure trop grande pour lui gravée du cygne couronné d’Isgar, s’avança jusqu’aux escaliers menant au majestueux bâtiment illuminé par les étoiles de la nuit. En haut des marches il se retourna puis déclama :
« Mes seigneurs ! Je déclare en ce jour en cette heure la guerre de succession d’Isgar ! Sachez que notre cause est juste ! Valass lui-même bénira chacun d’entre nous et par opposition maudira l’usurpateur. Ce dernier doit d’ores et déjà trembler à l’approche de tous ces preux venant rétablir dans ses droits le véritable souverain d’Isgar ! Pour Orania vers la victoire ! »
« Pour Orania vers la victoire. » répéta l’assemblée. A ces mots notre monarque entra dans la bâtisse, accompagné par le prétendant d’Isgar et suivi par son ost mené par Piotr IV, Stanislas et Anastasia. Devant nous s’étaient préparé l’archiprêtre Aleksy ainsi que les dizaines de prêtres qui l’assisteraient pour bénir chacun des chevaliers présents. Nikolaj et Yegor s’avancèrent puis s’agenouillèrent tandis que l’archiprêtre arrachait le cœur encore battant d’un des sacrifices, puis le pressait pour en verser le sang dans un calice qu’il tendit au roi.
Mais alors que ce dernier s’apprêtait à y tremper les lèvres, un prêtre surgit un poignard à la main et se précipita sur le souverain à genoux en hurlant : « Mort au parjure ! »
Sans attendre il planta son arme dans le visage du roi à plusieurs reprise avant de se retourner contre Aleksy. Stanislas réagit le premier, se précipita sur le forcené et lui trancha le bras. Toute l’assemblée était médusée tandis que Yegor tremblait comme une feuille. Bien vite il apparut que si l’archiprêtre survivrait à ses blessures plus un souffle de vie n’habitait Nikolaj.
Les vampires présents exigèrent aussitôt l’épuration mais l’écho du lieu aidant le régicide parvint à couvrir leur cri en hurlant :
« Vous me conspuez, me traitez de traître, de félon mais qui est le pêcheur entre celui qui renie son roi et celui qui renie son Dieu ? Qui... »
Stanislas ne lui laissa pas le temps de continuer et lui trancha la gorge sous le regard approbateur des seigneurs présents. Il y eut un instant de flottement puis le nouveau roi pris la parole d’un air peu assuré :
« En ce jour mon père, Nikolaj III le... »
Il hésita quelques secondes puis reprit :
« Mon père Nikolaj III le fin est mort, assassiné par un traître à la couronne. Bien que nulle enquête n’ait encore été menée, je ne puis m’empêcher d’y voir la main vengeresse de l’usurpateur Valentyn ! Je jure, moi Stanislas IV comte d’Urnia, grand-duc de Valassmar et roi d’Orania, de reprendre le flambeau de mon prédécesseur et de vaincre dans la guerre qu’il a commencé ! Le sacrement aura lieu dès maintenant puis Valass bénira chacun d’entre nous et nous partirons sans attendre en campagne ! Pour Orania vers la victoire ! »
« Pour Orania vers la victoire ! » hurlèrent les seigneurs ivres de rage et de colère. Des applaudissements nourris fusèrent et Aleksy insista même pour assurer les deux cérémonies malgré ses blessures. Stanislas s’agenouilla auprès du corps et ferma l’œil qu’il restait à son père. On retira alors de la dépouille du roi la couronne de crocs et Bris l’âme puis on laissa le cadavre aux mains des sanguinolentes afin qu’elles le vident de son sang puis le brûlent. Les artefacts furent ensuite donnés au nouveau souverain. Il récita sans attendre ses vœux avec quelques hésitations du fait de son impréparation et devint officiellement roi. Le plus jeune monarque qu’Orania n’a jamais eu. Il but alors le sang d’un sacrifié dans le calice destiné à son père puis reçut les condoléances de tous les seigneurs qui s’approchaient afin d’eux aussi recevoir la bénédiction du Dieu Vampire.
Seule sa sœur se permit un geste familier en l’enserrant dans ses bras mais lorsqu’elle vit que dans ses yeux transparaissaient bien davantage la résolution que l’effondrement elle se ressaisit, lui adressa une révérence puis parti aux côtés de son conjoint encore sous le choc. Une fois cela fait le roi et ses vampires rejoignirent leurs armées respectives et se mirent en marche.
Voilà désormais trois jours que nous avançon mais tandis que j’eus pensé qu’un tel meurtre aurait provoqué un sursaut de patriotisme, la colère laissa bientôt place à l’appréhension et les doutes furent exprimés de moins en moins bas et de plus en plus souvent les jours passant.
Pierre
« Une petite semaine de marche » disait-il, « une petite semaine de marche » … je ne sais pas quels randonneurs émérites ils ont l’habitude d’envoyer mais on ne met clairement pas une petite semaine de marche pour aller de Mov à Angrimar… On a mis treize jours ! Enfin le fait que l’on se soit égaré par moment a pu jouer mais tout de même…
Qu’importe ! Une fois arrivé nous avons vite été abordé par un villageois qui semblait attendre notre arrivée :
« Enfin vous voilà ! On commençait à s’inquiéter mais vite ne trainons pas, Rolland vous attends ! »
Sans même nous laisser dire un mot il me prit par la main et m’entraina jusque dans un bois au fond duquel se trouvait une petite cabane. Une fois entré je découvris un homme qui devait à peine avoir la trentaine assis en tailleur face à la végétation et qui semblait pratiquer je ne sais quelle sorte de méditation. Après quelques instants il se retourna vers nous et nous adressa un sourire franc et chaleureux :
« Bienvenue, bienvenue ! je suis ravi de voir que vous êtes bien arrivés Pierre et Julie ! Je vais toutefois devoir me montrer quelque peu impoli. J’en suis désolé mais j’aimerai parler avec le nouveau marié en privé. Bertrand, emmène Julie jusqu’à sa chambre je te prie ! »
Il s’exécuta et je me retrouvai seul avec Rolland. Il tapota le banc sur lequel il était assis en signe d’invitation puis un silence s’installa. Après quelques hésitations je ne pus m’empêcher de demander :
« Vous étiez entrain de prier lorsque l’on est arrivé ? »
Il me regarda et se mit à rire comme un enfant l’aurait fait :
« Ah ah ah ! Non pas du tout ah ah ah ! Vois-tu j’ai quelques problèmes respiratoires et m’asseoir ainsi en inspirant et expirant lentement m’aide à en amoindrir les effets… Bien qu’au contraire rire ne provoque quelques crises ah ah kof kof… Mais qu’importe, je ne troquerai jamais le rire contre la meilleure santé du monde… ah ah ah kof kof… Une méthode pour prier ah ah kof, cela serait tout à fait ridicule ah ah kof kof kof… Excuse-moi… »
Je me demandais comment cet individu à l’air aussi naïf et puéril pouvait être à la tête de ce culte qui s’était imposé par la force et au prix de tant de de sang. Il est vrai qu’il était jeune, peut-être était-il arrivé lorsque le culte avait déjà assis sa position mais le savoir chef était malgré tout étrange. Voyant que même après sa quinte de toux il ne m’adressait toujours pas la parole je la repris et commençai à lui raconter ce que j’avais vécu mais il me coupa rapidement :
« Oh je connais déjà tes aventures, bien que les entendre de ta bouche doit être des plus palpitants ah ah ! Bien, si je t’ai fait venir c’est parce que, comme tu as dû t’en rendre compte, peu de gens ici sont éduqués… Le simple fait de savoir lire fait de toi un érudit et, par manque de moyen, on ne peut former que les prêtres aux choses de l’esprit. Aussi lorsque j’ai appris qu’un homme comme toi était présent je n’ai pu m’empêcher de t’inviter afin que tu sois à mes côtés ! Voilà donc la raison de ta présence : saurais-tu ce que nous devrions faire une fois le soulèvement achevé ? »
Je n’en croyais pas mes oreilles, ce type était en train de préparer une révolte contre les vampires et n’avait aucun plan pour la suite. Je commençai à hurler :
« Mais vous êtes complétement fou ! Des milliers de personnes vont mourir par votre faute car… »
Sans dire un mot, par un simple sourire désarmant de bonté je m’arrêtais de parler, incapable d’hurler sur pareil être. Il me fit ensuite signe de me rasseoir et reprit d’un ton tout à fait calme et posé :
« Tu as raison toutefois nous n’allons pas vivre à la botte des vampires jusqu’à la fin des temps n’est-ce pas ? Cela fait des décennies que nous attendons une occasion comme celle-ci. Il serait criminel de la laisser passer sous prétexte que nous ne savons pas quoi faire par la suite, ce qui est faux d’ailleurs. Toutefois la providence s’est donnée un mal fou pour te mettre sur notre route avec tout ton savoir et il serait stupide de ne pas en profiter. Je sais que tu as bien plus de ressources que n’importe lequel d’entre nous, moi compris, et tu connais bien les vampires pour avoir vécu avec eux. Si quelqu’un est compétent pour mettre sur pied un véritable plan c’est toi ! »
Il n’avait pas tort, peut-être étais-je le mieux placé pour définir une stratégie. Je lui demandai alors quelques temps pour réfléchir ce qu’il accepta sans broncher. Il me congédia ensuite. Je passais les quatre journées suivantes à prier et réfléchir, jusqu’à ce qu’au soir du dernier jour mes idées parviennent à maturité.
Je courus à la rencontre de Rolland et lui exposai mon analyse :
« Bien, je ne connais pas grand-chose à l’art de la guerre toutefois j’ai eu l’occasion de préparer bien des réceptions chez les vampires et je sais que le principal souci est toujours que la nourriture arrive en temps et en heure. Je suis sûr que cela doit être un impératif encore plus important pour une armée en campagne ! Attaquer un de leur dépôt serait suicidaire à cause des fortifications qu’ils n’auront pas manqué d’ériger toutefois j’ai pu voir les travaux que les vampires ont fait faire sur la route Vlad et je ne doute pas qu’il s’agira là de leur principale voie de ravitaillement. Si nous coupons leurs communications ils n’auront d’autre choix que de marcher à notre rencontre ! Et je sais où nous pourrions trancher cette artère vitale ! J’ai vu, durant mon trajet entre Mov et ici, un petit village installé sur la route même. Il n’est pas fortifié et sera facile à prendre grâce au surnombre. Une fois cela fait nous devrons le fortifier, y emmagasiner des provisions afin d’accueillir l’ensemble de nos forces et y attendre nos ennemis. J’ai été architecte, je ferai au mieux pour rendre cette place le plus facilement défendable possible. Les vampires méprisent les humains : ils refuseront de nous assiéger, ils se lanceront dans un assaut dès que possible ! Nous utiliserons alors la position défensive pour les défaire. Une fois cela fait il leur faudra du temps pour reformer une nouvelle armée, nous en profiterons alors pour agrandir notre territoire et augmenter nos forces ! En résumé deux points sont essentiels pour la réussite : la coordination des soulèvements et la rapide convergence sur le point voulu ! »
Rolland laissa exprimer un sourire encore plus enjoué que d’accoutumé et s’exclama :
« Ça me plaît ! je ne regrette pas de t’avoir fait venir et je bénis Renaud de t’avoir mis sur notre route ! Toutefois il ne sera pas nécessaire de prendre ce village ; il s’agit de Kmansk un village où notre communauté est très bien représentée. Je ferai en sorte que le soulèvement y soit encore plus brusque et violent qu’ailleurs ! Nous pourrons ensuite commencer à le fortifier et à entasser les vivre dès le premier jour de notre révolte ! Tout s’annonce très bien ! »
Je comprenais petit à petit pourquoi c’était lui le chef du clergé. Il arrivait par sa simple attitude à calmer quiconque et à tirer le meilleur de n’importe qui. Il était apaisant, inspirait la confiance comme personne mais surtout il connaissait ses limites, n’hésitais pas à demander conseil sur des sujets qu’il ne maitrisait pas et avait assez de vivacité d’esprit pour améliorer les idées qu’on lui soumettait.
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