Chapitre 18 : La vie ou la foi
Marie
La souffrance et la mort, voilà les deux seules choses que nous apportèrent la guerre. La bataille qui aurait dû être un triomphe n’a servi qu’à tuer un de mes fils… Pourquoi le Dieu-Roi n’est-il pas intervenu ? Gontran croyait en lui plus que quiconque, nul n’était plus pieux que lui et pourtant Renaud l’a laissé mourir… J’espère qu’il n’a pas souffert… En si peu de temps j’ai perdu deux enfants… et probablement la foi. Depuis toujours on m’a répété que nous finirions par nous sortir des griffes de nos maîtres. « Lorsque tout paraîtra perdu, si ton cœur est pur, Renaud reviendra et terrassera ses ennemis ». Foutaises ! En cette heure j’avais honte d’avoir prêché avec tant d’ardeur pareils mensonges. Rolland nous a trompé, nos aïeux nous ont trompé… Nous nous sommes probablement trompés nous-même.
Je parvins à retrouver mes filles et mon dernier fils, Vivien. Par chance ils étaient tous trois sains et saufs. Nous passâmes la nuit cloitrée au milieu des nôtres, enchainés et maintenus en éveil par les cris des mourants. Nous qui nous étions soulevés pour nous libérer du joug vampirique jamais nous n’avions été à ce point à leur merci. La peur nous étreignait, certains qui n’avais reçu nul coup se mettaient à hurler sans raison rajoutant encore à l’horreur de la situation. Malgré tout cela je ne voyais personne prier. Le plus dur coup qui nous fut porté en ce jour fu la démonstration de notre égarement. Tout ce en quoi nous avions cru s’était avéré faux.
Cette nuit fut la plus longue de ma vie. Je m’attendais, comme tout le monde, à mourir de quelque atroce façon le lendemain. Certains prisonniers essayèrent bien de s’évader mais les vampires veillaient au grain. Nous entendions de temps un autre le bruit de l’acier sur la chair, un cri de douleur et une menace émanant d’un chevalier nous dissuadant de tenter quoi que ce soit. Menace d’autant plus crédible que les cris du fuyard ne cessaient pas et qu’il suppliait en chaque instant qu’on le tue. Ne rien voir rendait chaque son encore plus terrifiant qu’en plein jour.
Au lever du soleil je vis nombre de mes semblables fondre en larme, même des hommes qui s’étaient vaillamment battu la veille. La puanteur des charognes et l’odeur putride qui s’était lentement installée pendant la nuit nous assaillirent lorsque nous vîmes le soleil dévoila le charnier dans lequel nous pataugions. En une nuit presque tous les blessés étaient morts et les suppliciés de la veille, ou du moins certains de leurs membres, jonchaient le sol. Je ne pus m’empêcher de vomir et jamais je n’aurais pu imaginer pareille vision sur cette Terre. A cet instant la bêtise de notre révolte me sauta aux yeux. Nous étions certes asservis mais nos souffrances étaient finalement limitées. En ce jour nous avions décuplés nos malheurs et n’avions presque rien infligé aux vampires.
Après quelques instants on nous mit en rang. Je suivais mécaniquement sans me poser la moindre question. Ma seule préoccupation fut de garder mes enfants prêts de moi. J’arrivais après une heure d’attente devant un humain, un de ceux qui nous avaient défait la veille. Il devait avoir trente ans mais semblait infiniment sûr de lui. Il me dévisagea à peine et me demanda mécaniquement :
« Préférez-vous mourir ou défendre votre race ? »
La question m’interloqua et je le regardai d’un air interrogateur. L’air exaspéré qu’il affichait me révélait l’image qu’il avait de moi : La énième personne à l’air abattue et imbécile qu’il voyait ce matin.
« Ecoutez, soit vous reniez votre prétendu Dieu-Roi et vous rejoignez notre armée, soit on vous tue. »
Je comprenais péniblement le dilemme auquel je faisais face. Je remarquai néanmoins que la pile de cadavres était bien moins importante que le groupe d’humains toujours vivants. De toute évidence la plupart d’entre eux avaient préféré leur vie à leurs convictions passées. Aider les vampires ne m’enthousiasmait pas mais la perspective de mourir m’attirait encore moins. C’est au bord des larmes que j’acceptais. Je rejoignis donc le groupe des survivants.
Je pensais mon calvaire terminé. Quelle erreur ! Le désespoir m’envahit lorsque je vis derrière moi Laura refuser de servir nos anciens ennemis. Elle fut prestement remise à un vampire qui se munit d’un crocher déjà ensanglanté et l’éventra lentement avec le plus grand soin. Elle essaya de retenir ses cris mais ne put résister bien longtemps. Ce furent les hurlements les plus terribles que je n’ai jamais entendus. Les hommes détournaient la tête et quelques prisonniers me retenaient pendant que je suppliais le bourreau d’arrêter son office. En cet instant j’eus l’impression d’être au bord de la folie. Je hurlais, mordais ceux qui m’empêcher d’aider ma fille et ils durent se mettre à cinq ou six pour me maîtriser. Après de longues minutes elle passa de vie à trépas. Mes deux autres enfants me rejoignirent aussi affectés que moi. Je ne vis plus personne refuser l’offre des vampires suite à cela.
Après une demi-journée de tris je vis un homme d’âge mûr se présenter face à nous. Je fis un effort pour l’écouter mais traduire les sons qu’il émettait demandait toute mon attention :
« Humains ! Vous avez trahi vos légitimes, seigneurs les vampires ! Toutefois, dans sa grande mansuétude, le roi Stanislas IV d’Orania accepte votre repentance ! Vous lutterez désormais pour lui ! Vous vous battrez désormais avec nous ! Vous allez racheter par le sang vos pêchés et plus largement ceux de notre race ! De la même façon que le chien obéit à l’homme, l’homme doit obéir au vampire. Quiconque trahi cette loi universelle trahit les siens et nous condamne aux pires tourments. A partir d’aujourd’hui nous ferons de vous des soldats, des guérisseuses mais surtout des humains dociles et obéissants ! Démarquez-vous, donnez le meilleur de vous-même et vous serez récompensés. Procrastinez, abusez de la bienveillance de nos maîtres et vous serez châtiés ! Une nouvelle vie s’ouvre à vous désormais ; une deuxième chance vous est offerte ! Saisissez-là ! »
Après ce discours les hommes furent séparés des femmes et des enfants. J’eus beau refuser que l’on m’enlève Vivien on ne m’écouta pas et je n’avais plus guère la force de m’opposer à quoi que ce soit. Mon dernier fils à seulement treize ans se voyait embarqué en larmes dans une nouvelle armée. Il ne me reste plus qu’Aliénor. On nous explique que notre mission est grande et je ne sais quoi d’autre. Je n’ai plus la tête aux nobles causes, je ne souhaite que la survie de mes enfants. Entre l’exécution sommaire et la guerre, la deuxième option reste la plus sûre… Je n’ai même plus la force de pleurer. En une journée tout ce en quoi je croyais, à savoir mon Dieu et la révolte, se sont avérés être les pires erreurs de ma vie. Deux enfants, voilà les deux seules raisons qui me maintiennent en vie…
Piotyr
Stanislas a semble-t-il vaincu mais à quel prix ? Il s’est mis en tête d’enrôler cette racaille dans sa propre armée se mettant toujours plus à dos ses vassaux. Il me sert les mots de propagande sur un plateau. « Après Renaud voilà Stanislas, second roi des hommes ! ». Mes informateurs m’annoncent que non content de les recruter il les entraîne qui plus est ! Cet imbécile récompense les rebelles…
A ce qu’il paraît les meneurs de la révolte ont tous trouvé la mort dans la bataille et les survivants, désabusés, se seraient ralliés à lui… Quiconque met sa confiance dans des hommes ne peut qu’être déçu, ils sont changeants et éphémères. Quand bien même ils lui seraient tous fidèle leur vie durant, ce dont je doute, il n’en sera pas de même pour leurs enfants et encore moins pour les générations suivantes. Un vampire misant sur cette vermine ne fera pas long feu.
Se mettre ainsi à dos les chevaliers d’Orania, au combien fidèle à leur roi tant qu’ils le considèrent comme légitime, pour s’attirer les faveurs de quelques humains… Même la plus vulgaire des putains a plus d’amour propre et de jugeote. Je suis curieux de savoir qui aura sa peau, ses propres seigneurs déçus, les vampires d’Isgar ou d’Aartov, les humains qui le trahiront ou bien Valass lui-même ? Après tout jamais souverain ne fut hérétique à ce point et pourtant la piété n’a pas été l’apanage de tous, loin s’en faut.
Valentyn n’aura peut-être même pas besoin d’entrer en Orania pour vaincre son adversaire. Il compte en finir avec le siège de Rutor cet hiver et rameuter le reste de ses forces au col d’Ilpelev afin de bloquer tout accès facile à son royaume. La passe ne nous sera pas reprise par surprise et il ne restera plus qu’à regarder le royaume éclater de lui-même. Il est impressionnant de voir à quel point mes lettres appelant à la révolte n’étaient, il y a six mois encore, même pas lues, puis reçurent de poli refus pour enfin commencer à timidement attirer l’attention. Les anciens fiefs d’Ortov notamment semblent mûrs.
Ils sont situés au nord d’Orania dans les régions les plus pauvres du pays et leurs seigneurs ont l’impression d’avoir été délaissés depuis des siècles au profit du sud. La conjuration se met lentement en place mais je commence déjà à envoyer de l’or et des armes en secret par bateau à Altmar. Seul demeure muet ce benêt de grand-duc, dont la plus grande fierté est de suivre béatement les ordres de son souverain pourtant moins noble que lui… Enfin, nombre de seigneurs sont prêts à la proclamer roi, qu’il le veuille ou non. Et je ferai tout pour qu’ils y parviennent. Valentyn va envoyer des demandes publiques de paix à Stanislas basées sur la reconnaissance de son trône et le non-changement des frontières… Il refusera car ce n’est qu’un chien fou sans expérience qui n’entend rien ni à la diplomatie ni à la guerre. Ce faisant il perdra encore des soutiens et je pourrai convaincre les derniers seigneurs réticents du nord de prendre les armes contre leur suzerain. Si malgré cela le grand-duc refuse toujours d’entendre raison je saurai comment tourner cela à notre avantage. Il se pourrait qu’à la fin de ce conflit Isgar remplace Orania comme première puissance ! Que Valass bénisse notre pays et nous le lui rendrons au centuple !
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