Chapitre 19 : L'ami des hommes
Lev
Une révolte humaine écrasée de plus. Je ne les compte plus vraiment mais celle-ci semblait d’une envergure suffisante pour ennuyer les vampires. Il n’en fut rien. Cela dit le roi actuel a, semble-t-il, fait preuve de davantage de clémence que ses prédécesseurs. Je n’ai entendu nulle rumeur de gibets et d’innovations dans la façon de mettre à mort les hommes. Au contraire il les aurait enrôlés, récompensés et pour ainsi dire, adoptés. Les rumeurs sont toujours exagérées mais représentent néanmoins, d’expérience, un bon indicateur de l’état global d’une situation.
Je ne suis plus très loin d’où est censée s’être déroulée la bataille. Je penserai à faire un détour dans le camp de l’armée afin de voir ce qu’il en est réellement. Je suis curieux de rencontrer ce souverain soi-disant « ami des hommes ». Je doute malgré tout que le fils de celui qui a écrasé de la plus brutale des façons la révolte de Renaud soit à ce point différent de son père. Nous verrons.
D’ici là je pourrai continuer à parcourir ces parchemins. L’ermite Anatoli avait eu une vie bien remplie. Son père était mort à la guerre alors qu’il était encore enfant. Sa mère suivit son amour dans la tombe dès qu’elle apprit la nouvelle laissant donc seule son unique enfant. Il reçut de ce fait une piètre éducation et passa le plus clair de son temps à se vautrer dans la luxure et la gourmandise. Il n’en était pas moins bon administrateur puisque dans ses rêves de débauches il se devait d’engranger continuellement plus d’or afin d’entretenir un train de vie toujours plus faste.
Ce fut lors d’une orgie organisée pour son premier siècle d’existence qu’il déshonora son suzerain en couchant avec son épouse. Bien qu’habitué à pêcher, commettre pareil parjure dut le remuer puisqu’alors qu’il dormait à côté de la belle il eut une vision de Valass. Ce dernier lui intima l’ordre de fuir et de le servir partout où il le mènerait. Ce cauchemar dut être particulièrement féroce pour convaincre pareil dépravé. Enfin, j’imagine que lorsque le comte découvrit la vérité, les mille menaces qu’il n’a pas dû manquer de hurler furent au moins aussi persuasives que ne le fut le Dieu vampire. Toujours est-il qu’il partit et ne revint jamais. Il interpréta dès lors n’importe quel signe comme une invitation à bouger ou rester. Tantôt un oiseau lui indiquait une direction. Tantôt quelques bruits le détournaient d’un chemin. Rien n’était anodin, tout était voulu par Valass. Il erra ainsi des décennies durant et je le soupçonne d’avoir frôlé la plus profonde des folies en cette période. Il faisait en effet des songes des plus étranges mais, plus que tout, il ne pouvait pas s’empêcher de chercher des interprétations même aux plus extravagants d’entre eux. Il passa ainsi des mois à s’interroger sur un rêve durant lequel il vit des oiseaux nager dans la mer et des poissons voler dans les cieux tandis que les océans s’écoulaient lentement vers le haut pendant que les nuages s’écrasaient au sol.
Cette névrose dura jusqu’à ce qu’il ne croise le chemin d’une sanguinolente au détour d’un lac. Cette dernière était dotée d’un physique peu attrayant mais la présence d’une religieuse fit le plus grand bien à la psyché du vagabond. Elle le recueillit dans un temple qui se situait non loin. Ce dernier était fort modeste et n’était constitué que d’une pièce dans laquelle se trouvait des lits, l’autel et un petit garde-manger rempli de viandes, de baies et d’hommes encore en vie. La prêtresse se prénommait Vladislava et se prétendait veilleuse et protectrice du « bain d’acier ». Le lac autour duquel ils s’étaient retrouvés n’était visiblement pas une marre ordinaire puisque, selon ses dire, une sainte épée reposait au plus profond de ses eaux. Lorsque le ciel était bleu et qu’il n’y avait point de vent on pouvait voir au centre du lac ladite lame entourée des cadavres de tous les chevaliers ayant tenté de la récupérer mais s’étant noyés.
Cela ne faisait nul doute à Anatoli que Valass l’avait envoyé ici pour qu’il la récupère. Lorsque la météo fut assez bonne la servante du Dieu vampire prit sa barque et le mena jusqu’au centre du lac. De là il put conclure de la véracité des dires de la dame. Sans hésiter il plongea ! L’épée reposait profondément mais n’était pas inatteignable. Il lutta contre son envie de respirer et parvint à grand peine à la saisir puis à revenir à la barque. Mais tandis qu’il s’accrochait au bateau en suffoquant il fut surpris de recevoir un coup de rame. Celle qui l’avait guidé jusqu’ici était en train de le frapper de toutes ses forces. Exténué, il peinait à résister à ses assauts. Mais tandis qu’il était sur le point de céder et de se noyer pour de bon, il remarque que les crocs de la femme n’étaient que des postiches que la bagarre avait en partie fait tomber. L’idée de mourir d’une main humaine le mit dans un tel état de fureur qu’il parvint à se saisir de la rame et à faire tomber son assaillant. Il lui planta alors l’épée dans le ventre puis remonta péniblement sur l’embarcation.
Il retourna au temple et fut surpris de voir les hommes, censés attendre d’être dévorés, se promener librement. Il en conclut que tous étaient de mèche et les tua avec sa nouvelle arme. Tous sauf une jeune fille. Cette dernière, sous la torture, expliqua à Anatoli que ce temple était, il y a des générations, un véritable temple mais que ses aïeux avaient réussi à s’évader de leur cellule et à tuer les prêtresses qui vivaient là. Ils avaient ensuite arraché leurs dents afin d’en faire un déguisement et, depuis, ils se reproduisaient entre eux et n’avaient pour seul but que d’occire tous les vampires qui passaient par là en les noyant. Leur déguisement marchait car leurs ancêtres, bien qu’illettrés, avaient fini par retenir les prières que n’arrêtaient pas de psalmodier leurs geôlières. Elles se transmettaient depuis par voie orale de génération en génération.
Toutefois l’épée n’était pas fausse pour autant. Jadis les prêtresses n’en parlaient pas de peur de faire se noyer les vampires qui tenteraient de l’attraper. Depuis, au contraire, toutes les filles en âge de passer pour une sanguinolente l’utilisaient pour appâter et tuer les vampires passant par là. La plupart se noyaient d’eux même. Les rares à parvenir à émerger se faisaient assommer, affaiblis par leur plongée.
Dans une noire colère le vampire dévora la fillette vivante. Il demeura dans ce temple jusqu’à ce qu’il ne reste plus la moindre parcelle de chaire sur les cadavres de ses victimes puis il brûla le temple désormais maudit à ses yeux.
Voilà donc l’histoire derrière cette épée qui est, comme je l’avais soupçonné, tout sauf ordinaire. Je suis curieux de connaître la suite de son périple mais je ne dois pas ralentir et laisser des humains mourir sous prétexte d’une lecture, aussi intéressante soit-elle.
Andrei
20 septembre 5131
La réorganisation de nos forces et l’incorporation des nouvelles troupes prirent un certain temps. Au grand désarroi des seigneurs, Stanislas passa bien du temps avec les humains. Leur montrer de la considération devait les fidéliser. Je ne sais pas si cela a marché mais nombre de chevaliers avaient l’impression que le roi estimait davantage le bétail que ses propres congénères.
Heureusement après un petit mois la campagne reprit ! L’ennemi avait fortifié le col d’Ilpelev, certes assez sommairement, mais suffisamment pour entraver notre progression. Bien que les quelques mercenaires à nous avoir rejoint avaient quelque peu renfloué nos effectifs chaque soldat et à plus forte raison chaque vampire étaient devenus plus précieux que jamais et un assaut frontal serait assurément fort coûteux.
Mais Stanislas avait un plan ! Il commença par bloquer de son côté la passe afin d’empêcher l’ennemi de glaner quelque renseignement que ce soit. Puis, avec trois-mille vampires, il s’en alla dans les montagnes... guidé par un homme ! Ce dernier nous expliqua que ce passage avait été découvert par des humains fuyant les répressions consécutives aux soulèvements des décennies passées. Il permettait aux hommes d’accéder à Isgar et d’ainsi échapper au chevaliers oraniens. Nous empruntâmes donc ce sinueux chemin. A cette altitude la neige avait déjà commencé à tomber et chaque pas était un défi, chaque roche sur laquelle nous posions le pied un piège mortel. La piste était étroite et nous progressions à grand peine, perdant quelques montures et même quelques chevaliers dans les précipices que nous longions.
Après une semaine de calvaire nous débouchâmes néanmoins en terrain vague, probablement quelques lieues au nord du col d’Ilpelev. L’homme qui nous avait guidé, un certain Bertrand, ne survécut néanmoins pas à la traversée... Pauvre de lui, il avait survécu à des repressions, à la bataille de Kmansk mais pas au fait de marcher au-devant de vampires... Quel tragique accident ce fut, lui qui se vantait pourtant d’avoir le pied si sûr... Stanislas eu l’air bien plus outragé lorsqu’il apprit sa mort que pour celle de la cinquantaine de chevaliers qui ne survécut pas à la traversée... Peut-être soupçonnait-il les véritables conditions de son décès... Qu’est-ce que cela pouvait-il lui faire ? Ce n’était qu’un humain !
Nous n’eûmes en tout cas pas le temps de nous reposer ni d’en discuter puisqu’à peine sortis des montagnes nous obliquâmes au sud. En une journée de marche nous atteignîmes le col d’Ilpelev du bon côté ! Nous attaquâmes sans délai et la surprise était telle chez nos ennemis qu’aucune résistance organisée ne nous fut opposée. En une heure leur camp était détruit et les rares soldats et seigneurs qui avaient échappé à la mort ou à la capture étaient en déroute. Le gros de l’armée passa alors prestement le col sans encombre mais notre roi avait d’autres projets pour nous autres vampires. Notre chevauchée ne devait pas s’arrêter. Les seigneurs blessés, trop exténués pour continuer ou dont les montures étaient mortes furent remplacés par ceux qui étaient resté avec l’infanterie de l’autre côté de la frontière et qui étaient encore frais.
Toujours à trois-mille nous chevauchâmes deux jours et deux nuits sans dormir ni nous arréter pour arriver en vue de la forteresse de Rutor ! Nous chargeâmes immédiatement, la colère et l’ivresse de la bataille compensant la fatigue et la faim. Là encore nul chez nos opposant n’avait anticipé pareille audace et ce furent trois-mille chevaliers en formations qui attaquèrent un camp militaire en pleine nuit jetant tant la terreur chez les humains que la confusion chez les vampires vampires. La victoire fut aussi rapide qu’au col et nous fîmes moulte prisonniers : quasiment tous les humains et nombre de seigneurs isgariens bien que Valentyn parvint à s’échapper avec nombre d’autres cavaliers.
Le triomphe était total et les assiégés nous accueillirent en héros ! Néanmoins certains parmi nous n’avaient pas dormi depuis trois jours et il n’y eut donc guère de festivité ni de poursuite. Malgré cette fatigue une grande joie nous animait ! Nous avions renversé le cours de la guerre en une semaine et ce avant l’hiver. Les pertes infligées à l’ennemi étaient colossales et devaient s’élever à une dizaine de milliers d’hommes et peut-être un millier de chevaliers. Cerise sur le gâteau tout cela avait été obtenu sans le concours des hommes ou presque. Preuve avait été faite que nous n’avions pas besoin d’eux pour l’emporter ! J’espérais que pareille démonstration aurait fait recouvrir la raison à notre souverain mais je fus vite déçu.
En effet une semaine après le combat le reste de l’armée nous rejoignit. Stanisals se fendit alors d’un discours devant vaincus et vainqueurs :
« Mes seigneurs, la semaine dernière ce n’est pas une bataille que nous avons gagnée mais bien la guerre ! Valass a béni nos armes comme rarement dans l’histoire de notre nation ! Nous avons balayé l’armée ennemie en ne subissant presqu’aucune pertes ! Voilà la force dont est capable notre grand pays lorsqu’humains et vampires s’unissent ! Hélas l’homme qui nous a guidé est mort durant la traversé des montagnes blanches néanmoins je tiens à honorer sa mémoire ! La campagne de cette année se finit donc par un coup de tonnerre ! En attendant la prochaine belle saison nous hibernerons ici et profiterons de ce temps pour entrainer les humains, soigner nos blessés et remplacer les montures perdues ! Lorsque les beaux jours réapparaitront nous balayeront ce couard de Valentyn dont je n’ai jamais vu autre chose que le dos ! Ensemble la victoire sera nôtre ! Quant à vous, vaincus d’hier, hommes comme vampires, je vous offre de rejoindre mon armée ! Vous serez bien traités et serez récompensés à la mesure de vos accomplissements ! Vampires, je ne puis garder de griefs contre ceux qui se sont fait abuser par un faux roi ! Humains, vous avez toujours étaient méprisés et maltraités mais regardez ceux qui marchent derrière moi ! Rejoignez-moi et je vous promets que vous ferez partie de la meilleure armée du monde et vous aurez, vous aussi, droit à une part de la gloire qui vous revient ! »
S’en suivit une remise de récompenses durant laquelle nombre de ceux s’étant battus à ses côtés ces derniers jours reçurent la médaille de l’ordre de Valass, du conquérant ou encore des preux... Mais ils ne furent pas les seuls puisque les humains se virent également honorés par une toute nouvelle récompense : L’insigne des « fidèles ». A la fin de la cérémonie Stanislas fut adoubé chevalier, à tout juste vingt-deux ans, par le seigneur Konstantin en personne l’un des plus grands et plus dévoués chevaliers du royaume.
Les acclamations furent nourries du côté des humains, bien moins du côté des vampires... Et c’est naturel, voilà que notre roi prétendait que sa victoire était dû à des êtres tout juste bon à être dévorés tout autant qu’à l’éternelle noblesse ! Non content de les armer, de les entrainer et de les considérer Stanislas prend même en compte leurs conseils désormais. Pendant ce temps, tandis que je vois des humains de plus en plus arrogants entrer et sortir de la tente royale au même titre que les grands du royaume, nous autres, vampires, moi compris, sommes de plus en plus ostracisés. La dernière fois que j’ai vu le roi il m’a fait comprendre que la mort de Bertrand relevait de la trahison, que nous avions fait passer notre orgueil avant notre devoir d’obéissance... Il ne se rend pas compte qu’il est lui-même entrain de prioriser sa victoire à son âme. Même Yegor a pour une fois eu de l’esprit en arguant que « Quel seigneur suivra un roi mis sur un trône par un souverain étranger avec l’aide d’une armée plus humaine que vampire ? ». Visiblement ni son épouse ni Stanislas n’ont eu cure de ces sages paroles. Pourtant il était évident de voir que si presque tous les hommes prisonniers rejoignirent l’armée d’Orania il n’en fut pas de même pour les vampires qui ne furent qu’en tout et pour tout douze à nous rejoindre.
Notre roi n’est plus entouré que d’arrivistes : les humains, il fallait s’y attendre, mais aussi beaucoup de vampires males nés qui voient là une occasion de se faire bien voir et sans doute de gagner des titres. Ils lui courent après et s’est désormais ouverte la partie de « quel vampire a depuis toujours le plus aimé les humains ? ».
Je ne jouerai pas à ce jeu ! Et si ni mon souverain ni sa sœur n’acceptent d’entendre raison, peut-être devrai-je penser à m’écarter d’eux !
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