Chapitre 49 : Le consensus d'Imopor
Piotyr
Quatre mois de débats, de discussions et d’altercations. Jamais je n’aurai cru que nous parviendrons à un accord. Une majorité des grands seigneurs réunis autour des ducs de Tarmak et de Kulmar rechignaient toujours à reprendre les hostilités tandis que les prêtres, nombre de simples chevaliers et quelques rares comtes se rangeaient du côté de la guerre derrière Ina. Plusieurs centaines de nobles avaient fini par rejoindre le congrès et il n’en était devenu que plus difficile d’atteindre le consensus. D’autant plus que le nombre d’indécis était très élevé et sans cesse entretenu par les manigances de cours, l’absence de souverain et la désunion des grands seigneurs.
Il fut un temps question de trancher les querelles de succession mais devant la menace de la guerre, la faible naissance des prétendants et l’orgueil des ducs et comtes il fut rapidement convenu de remettre ces discussions à après. Bien que mécontents, aucun de ceux qui réclamaient la couronne n’avait la puissance nécessaire pour s’imposer et ils s’abaissèrent à vendre leur soutien dans les débats contre l’appui des vampires de tel ou tel camp. Le baron d’Oursk alla jusqu’à essayer de me soudoyer avec ses maigres deniers prouvant par là qu’il n’avait ni l’honneur ni le sens politique d’un souverain. Par chance pour lui, ce n’est ni l’un ni l’autre qui font de quelqu’un un roi mais le sang et le sang seul. S’il s’avérait que sa généalogie jouait en sa faveur je le soutiendrais à grand regret.
D’ici là il sembla pendant les trois premiers mois que jamais une position commune ne pourrait être arrêtée et ce malgré le soutien des grands seigneurs d’Orania qui, devant nos incessantes disputes, ne parvinrent pas à rallier beaucoup plus de monde pour rejoindre le duc de Cracvonia dans son opposition à l’encontre de Stanislas. J’avais honte de parler avec des nobles aussi lâches et nous étions, aux yeux du monde, la risée des vampires. Chacun pinaillait sur un point ou sur un autre, tentait de corrompre son voisin pour acheter son soutien et il y eut même d’innombrables disputes protocolaires. Qu’un duc se plaigne d’être assis à côté d’un comte alors que le danger est à nos portes me faisait fulminer de rage. Seuls les prêtres et Ina ajoutaient un peu de dignité dans ce méli-mélo d’intérêts et d’egos s’entrechoquant dans une sourde et stérile cacophonie.
Je voyais déjà surgir au printemps les armées de Stanislas. Balayer nos deux pays trahis de toute part par leurs plus grands seigneurs aurait été d’une déconcertante facilité. Il s’en est fallu de peu que ce congrès visant à nous unir ne provoque une guerre civile. S’en serait alors suivi un immense chaos et ma seule consolation eut été que Stanislas n’aurait réussi à conquérir que d’ingouvernables terres ravagées par les querelles intestines. Il aurait eu plus du mal à pacifier ses conquêtes qu’à les obtenir.
Toutefois Valass nous vint une nouvelle fois en aide, preuve que les prières de son dévoué clergé et d’Ina ne furent pas vaines. En effet, alors que les déchirements étaient à leur paroxysme, il nous vint d’odieuses nouvelles : les hommes se révoltaient partout en brandissant la bannière d’Orania. Ce furent au départ des villages, puis des forteresses et bientôt des villes qui se soulevèrent. Le point d’orgue fut atteint lorsque le propre fief du duc de Tarmak tomba. A force de ne jamais réduire les populations humaines il était inévitable que pareils accidents surviennent. Grâce à Valentyn et à sa sage décision de réduire le nombre d’hommes les révoltes en Isgar furent moins violentes et presque toutes matées.
Ce ne fut pas le cas en Aartov et lorsque la troisième ville du pays, Tarmak, tomba cela provoqua un tel choc que cela insuffla un vent de bon sens dans l’esprit de beaucoup. Les grands seigneurs, jusqu’ici les plus farouches partisans de la paix, réalisèrent alors le danger qui les guettait et le coût qu’aurait une soumission au tyran ami des hommes. Ils se réunirent entre eux et, après quelques heures de délibération, revinrent et jurèrent de suivre la veuve d’Isgar et les prêtres afin de défaire Stanislas IV.
Cette ultime réunion fut une délivrance pour Ina et moi. Les prises de parole toujours pleines de sagesse et de force de la reine d’Isgar, son intégrité mille fois mise à l’épreuve et pourtant jamais ébranlée ainsi que sa foi sans limite en Valass et en la victoire finale furent le ciment de cette alliance. Le duc de Tarmak ouvrit les débats dans la salle de balle, seule à même de contenir tous les vampires présents :
« Mes seigneurs, en ce jour Stanislas IV a prouvé sa perfidie et sa compromission auprès des hommes. Nous qui étions prêts à ployer le genou devant un roi ne nous résignerons jamais à nous soumettre devant une armée plus humaine que vampire. Ma famille a failli mourir durant le soulèvement de Tarmak. Nul doute que beaucoup d’entre vous ont perdu des proches durant cette odieuse et perfide attaque. Aujourd’hui il est temps d’achever nos disputes et de choisir notre camp ! Pour ma part je choisis celui de ma race ! Pour Valass que vivent et règnent les vampires ! »
« Pour Valass que vivent et règnent les vampires ! » reprirent en cœur les nobles présents.
Le duc de Tarmak jeta alors un coup d’œil au duc de Kulmar qui acquiesça. L’orateur reprit alors la parole :
« Nous ne devons reculer devant rien pour vaincre ! Il a donc été conclu que, suivant les indications de la reine Ina, les forces de nos deux pays s’uniront pour vaincre Stansials IV au printemps prochain. Que prêtres et chevaliers, grands et petits nobles s’unissent pour défaire les hommes ! Nous ne pourrons pas nous permettre de reprendre les villes tombées aux mains de nos esclaves sans au préalable avoir défait le roi d’Orania. Ainsi nos armées se réuniront au plus tôt en Aartov autour de Balkmar pour la campagne prochaine ! Enfin et avec l’accord de tous les grands seigneurs, je prendrai le commandement effectif de nos forces. Toutefois nous demandons très humblement à la veuve d’Isgar de prendre le commandement honorifique de notre ost. Avec vous à leurs côtés nos chevaliers se battront avec une vaillance redoublée. Avec vous à nos côtés les prêtres se transformeront en d’infatigables fanatiques. Enfin, avec vous à nos côtés, je ne doute nullement qu’une fin heureuse sera trouvée à ce conflit qui dure depuis maintenant trop longtemps ! »
Ina sembla prendre un instant pour réfléchir mais était-ce nécessaire ? On lui donnait l’occasion de venger son mari et son frère, de faire triompher Valass et de mettre un terme au règne du pire monarque à n’avoir jamais posé le pied sur cette Terre. Pleine d’assurance et de conviction elle s’exclama alors :
« Pour Valass j’accepte ! Monsieur le duc, préparez notre armée, nous avons une guerre à gagner ! »
A ces mots tous les vampires applaudirent et chacun parti de son côté afin de préparer l’ultime affrontement qui aurait lieu en terre d’Aartov. Les prêtres et les chevaliers les plus dévoués à la cause enfilèrent leur armure et y accrochèrent les couleurs de la veuve d’Isgar tandis que les seigneurs encore sceptiques quant à l’idée d’affronter le tyran se résignèrent à suivre le consensus.
Finalement Stanislas aura commis une terrible erreur en lâchant ses hordes humaines sur les terres d’Aartov. J’y vois là une intervention de Valass en personne afin de révéler aux plus aveugles d’entre nous la nature du démon que nous affrontons. Lui qui voulait nous affaiblir nous a finalement uni et son trépas ne saurait tarder. Une simple défaite mettra un terme à son règne de terreur et, lorsqu’il n’aura plus les humains pour le protéger, les vampires de toutes nations se retourneront contre lui et déposerons le tyran d’Orania.
Mon seul regret dans ce congrès est qu’Ina ne pourra pas demeurer reine bien longtemps. Après la victoire il faudra départager les prétendants et un nouveau monarque ceindra la couronne de diamant. Pourtant aucun de ceux que j’ai vu n’arrive à la cheville de l’actuelle reine. J’en viens presque à rêver que la relique d’Isgar, perdue au plateau ocre, ne soit pas retrouvée afin qu’elle ne finisse pas sur la tête d’un médiocre souverain après avoir orné la tête de Valentyn.
Enfin, ne pensons pas à cela, il faut en premier lieu défaire le tyran et cela ne sera pas une mince affaire. J’ignore les capacités du duc de Tarmak mais avec l’aide de Valass même le plus médiocre des généraux peut accomplir des miracles. Sans compter qu’une fois tous les vampires et toutes les fantassins disponibles regroupées contre le seul Stanislas nos forces devraient s’équilibrer voire même pencher en notre faveur !
Lazare
La neige a fondu, bien que tardivement, et le soleil ainsi que le roi sont revenus dans notre armée. D’un coup d’un seul les mesquineries des vampires cessèrent et nous commençâmes à avancer en terrain ennemi le quatre mai.
Cet hiver avait été plus que profitable à notre cause. Comme prévu de nombreuses révoltes avaient éclaté en Aartov et c’était non sans une certaine fierté que j’avais envoyé mon rapport à Stanislas IV en ces termes :
« Sire,
Comme vous l’aviez prévu les hommes se soulèvent partout où nous les y encourageons. Le territoire de vos ennemis est désormais constellé de nos fanions et on peut dire sans s’avancer que le pays est déjà à moitié vôtre. Un seul coup devrait désormais suffire pour que la résistance adverse ne se mue en soumission. L’armée est en ce sens plus prête que jamais pour livrer cet ultime affrontement qui a toutes les chances de s’avérer décisif !
Général Lazare »
Toutefois force est de constater que si les révoltes ont été un grand succès, l’intégration de toutes les nouvelles recrues fut moins évidente. Au sud ne fut envoyé que trois mille hommes de l’armée de la rédemption et nous avons dû en entraîner vingt-mille répartis entre ceux du duc de Sartov, les prisonniers enrôlés, les déserteurs et ceux qui avaient fui leur fief. L’exceptionnelle longueur de cet hiver nous arrangea quelque peu en rallongeant la durée de l’entrainement mais si la plupart de ces hommes ne sont plus aussi novices que l’année dernière ils ne sont pas pour autant de vrais soldats selon mes critères.
Peu importe, cela ne devrait pas trop poser problème ; ceux d‘en face sont encore pires. Nous avons de notre côté plus de vingt-mille fantassins, plus d’un millier de chevaliers et le génie du roi. Déjà nous rallions quelques places qui s’étaient révoltées nous évitant ainsi des sièges couteux et chronophages.
Au nord la cité d’Ijlkalmar est tombée et le comte d’Or semble ne rencontrer aucune résistance d’après les rapports que mon père m’envoie. L’ennemi aura donc choisi de se concentrer face à nous. Fort bien, les hommes comme les vampires son prêts.
Ma seule déception à l’ouverture de cette campagne est l’absence de Lev. Enfin si, comme il le pense, la rédemption qui nous est due ne nous est pas accordée, il sera essentiel d’avoir un seigneur bien placé chez les vampires et hors de l’armée pour nous tenir informé de la situation et nous aider.
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