Chapitre 9
- Je vous prie de m'excuser, Astalie.
La jeune femme posa une main bienveillante sur l'épaule de Circa qui se tenait toujours dans une posture révérencieuse, avant de poursuivre son chemin en direction du petit salon improvisé dans le Hall aux mille Glaces.
- Cela ne s'est pas déroulé comme tu le souhaitais, rien de plus. Nous savons que tu y parviendras.
La voix de celle-ci était calme et d'une douceur incomparable.
- Comment pouvez-vous en être aussi confiante après cet échec ?
- Approche, je te prie.
Le Messager se redressa et obtempéra dans les secondes qui suivirent ces dernières paroles, s'affaissant à l'endroit désigné par sa supérieure : un des fauteuils en rotin installé près d'elle autour d'une table basse en bois blanc.
- Maintenant, expliques-moi : quelles sont tes craintes ?
- Échouer.
- Pourquoi échouerais-tu ?
- Les causes pourraient être nombreuses.
- C'est pertinent, mais quelle serait la raison principale ?
- Mon incompétence.
- Je vois.
Elle croisa délicatement ses doigts sous son menton en fermant les yeux, pensive, avant de reprendre :
- Pourquoi te penses-tu incompétent ?
- Je ne remets pas votre choix, à vous, ainsi qu'à votre soeur, en question. Simplement, je ne le comprends pas. Kâya, Cannil et Freya auraient été des choix bien plus adaptés dans ce genre de situation.
- Kâya a déjà Siannlie à sa charge. Ils ont peut-être l'habitude d'aider les nouveaux métamorphes à contrôler leurs dons, mais il leur manque quelque chose d'essentiel pour Hayjie.
- De quoi s'agit-il ?
En unique réponse à la question, Astalie se contenta de sourire.
- Nous sommes déjà au deuxième jour. Tu devrais la rejoindre, elle s'est actuellement réfugiée près du lac.
- Répondrez-vous, un jour, à mes questions ?
Elle se contenta de faire approcher le miroir du lac pour le présenter à l'Esprit en face d'elle.
- Elle a besoin de toi.
Il n'insista pas davantage et disparu, après une dernière révérence, dans le passage qu'elle venait d'ouvrir vers les plaines des hauteurs de l'île.
* * *
- Hayjie ?
Circa venait de se poser sur les abords du lac sans apercevoir l'ouragan bleu et argent qui était censé s'y trouver.
- J'aimerais pouvoir te parler. J'ai fait une erreur et j'aimerais m'en excuser.
- Qui t'a dit que j'étais ici ?
Il se tourna dans la direction d'où provenait la voix, détaillant chaque parcelle de végétation bleutée pour tenter de la distinguer au travers.
- Astalie m'a informé de ta présence ici.
- Astalie est une étoile. Jusqu'à preuve du contraire, une étoile ne peut pas parler.
Voyant qu'elle ne sortirait pas avant un temps indéfini, le Messager s'assit en tailleur sur les galets qui bordent la rive de l'étendue d'eau calme lui faisant face.
- C'est vrai, une étoile ne parle pas. Mais Astalie, celle que je connais, n'est pas une étoile, mais une de leurs protectrices. Chandra est la seconde.
- On va émettre l'hypothèse que je te crois. Pourquoi es-tu revenu ?
- Parce qu'elle me l'a demandé.
- Tu ne voulais pas ?
- On peut dire ça, mais tu n'en es pas la cause.
- C'était censé me rassurer ?
- Pas vraiment. Je cherche simplement à être sincère avec toi. Tu veux bien sortir de ton arbre ?
- Non. Je peux te poser une question ?
- Je suis là pour ça.
- Le clerc, il peut réellement entrer en contact avec les Esprits ?
- Absolument pas. Ce sont les esprits qui entrent en contact avec les personnes et non l'inverse. À ma connaissance, cela fait quelques décennies qu'Eysul n'a pas connu de métamorphes, il serait donc improbable qu'un Esprit ait été en relation avec un habitant de cette île jusqu'à maintenant.
- Je vois...
Un bruissement de feuillages pu être entendu entre les sons naturels de la faune et la flore alentour. Haijie vint s'installer non loin de lui en fixant l'eau en silence.
- Dis-moi quand tu te sentiras prête à reprendre la formation.
- Maintenant.
Circa fut surpris, mais ne laissa rien paraître.
- Bien, commençons dans ce cas.
* * *
Les nouvelles leçons furent bien plus calmes que la première. Les plus rudes, après celles qui lui permirent de se transformer complètement et de contrôler ses changements physiques au quotidien, furent celle qui consista à apprendre à voler et à atterrir sans encombre, au point qu'elle avait arrêté de compter les branches percutées et les atterrissages qui lui avaient fait mordre la poussière au sens propre, comme au sens figuré. Elle ne comptait également plus les échymoses qui parsemaient son corps à des endroits plus ou moins improbables.
Ses parents avaient arrêté d'essayer de comprendre d'où cela provenait, celle-ci gardant le silence sur ses occupations journalières depuis presque cinq jours, mais au moins, elle était parvenue à stabiliser sa forme classique : plus aucune plume n'était visible sur son corps.
* * *
Suite à un nouvel échec où elle termina à terre et désarmée par son mentor, l'utilité de cet apprentissage lui sembla davantage absurde.
- Pourquoi est-ce qu'il est nécessaire que j'apprenne à me battre ?
- Je ne suis pas en mesure de te répondre, sache juste que c'est préférable pour ta survie.
- C'est insensé, qui pourrait avoir envie de me tuer ?
Il l'aida à se relever sans prendre en compte sa question.
- Remets-toi en garde.
- Non, j'aimerai d'abord comprendre.
- J'entends que tu en as besoin et je ferai en sorte que ce soit possible, mais pour l'instant, j'ai besoin que tu te concentres sur ce que j'ai à t'apprendre.
- Ok...
Elle se remit en garde sans grande conviction et attendit qu'il eût fait de même pour attaquer avec l'arme factice qu'il lui avait fournie en début de journée. Le duel ne dura pas longtemps et se résultat de la même façon que les fois précédentes : Hayjie termina au sol.
- Concentre-toi, ton esprit n'est pas là, à quoi penses-tu ?
- J'ai besoin d'une pause, ça fait trois heures que nous sommes là, je suis fatiguée et j'ai mal partout.
- Oui, bien sûr. Appelle-moi quand tu te sentiras mieux.
- Merci.
Elle se releva en grimaçant, ramassa l'arme en bois et la posa au pied de l'arbre centenaire en attendant de revenir. Elle descendit la colline et prit la direction des champs. Ce sera toujours plus reposant que les combats imposés par Circa. Elle attrapa un panier et alla s'occuper d'une parcelle qui ne semblait pas avoir été entretenue depuis le début de la journée.
Siannlie la rejoignit en l'apercevant depuis les plantations dont elle prenait soin. Elle s'installa derrière son amie avec son panier et commença à son tour à prendre soin des plantes.
- Est-ce que je pourrais te parler quand tu auras un peu de temps libre ?
N'ayant pas de réponse, Sian arrêta ce qu'elle faisait pour se tourner vers elle et l'interpella en utilisant son prénom afin de la faire réagir. Hayjie sursauta et se tourna vers la voix.
- Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur.
- Ce n'est rien, que se passe-t-il ?
- J'aimerais te parler quand on aura terminé.
- Si tu le souhaites, quelque chose ne va pas ?
- Oui, mais on en parlera après, les autres n'ont pas besoin de le savoir.
- Nous ferons ça.
Siannlie lui offrit un sourire et se remit au travail jusqu'à avoir rempli son panier de vivres. Elle aida son amie à terminer celui dont elle s'occupait et récupéra le sien pour le ramener avec elle. Hayjie grimpa dans le chariot et attrapa les paniers que lui tendait Sian pour les ranger convenablement avec ceux qui y reposaient déjà. Elle en descendit d'un bond qui réveilla certaines douleurs, mais n'en laissa rien paraître pour ne pas inquiéter son amie.
- Où veux-tu qu'on aille ?
- Pas trop loin, mais assez pour qu'il n'y ait personne ?
- On peut rester à l'orée des bois dans ce cas, je te le dirai si quelqu'un vient, ne t'en inquiète pas.
- On peut faire ça.
Le trajet jusqu'au lieu se fit dans le silence, les jeunes filles ayant chacune leurs préoccupations encombrantes à gérer. Ce n'est qu'une fois sur place que les langues se délièrent, celle de Siannlie en première.
- Je m'inquiète pour toi. Ça fait des jours que tu ne me dis plus rien, tu sembles souffrir à chaque geste que tu fais, tes cernes sont affreuses, qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu as des problèmes avec une personne du village ?
- Tu ne devrais pas t'inquiéter, je vais bien.
- Et arrête de me mentir ! Ça se voit que quelque chose ne va pas, tes parents sont venus me voir pour essayer d'avoir des explications, même à eux, tu ne leur parles pas. Ils ne savent plus comment faire et moi non plus...
- C'est plus compliqué que ce que je le voudrais, moi-même, je ne sais pas à quoi vont servir tous les sacrifices que je fais actuellement, il ne veut rien me dire.
- C'est ce Circa qui te met dans cet état ?
- Oui et non, apprendre à voler n'a pas été sans échecs.
- Laisse-moi t'accompagner lors de ton prochain cours.
- Et le tien ? Kâya ne va pas t'en vouloir ?
- Je lui expliquerai, elle comprendra certainement.
* * *
Elle retourna sur la colline du vieil arbre, cette fois-ci accompagnée par Siannlie. Hayjie posa sa main sur son poignet pour cacher aux yeux de son amie la rune scintillante qui commençait à apparaître. Son utilisation était douloureuse et lui coûtait en énergie physique, mais elle devait, apparemment, s'entraîner à utiliser cette forme de magie.
Circa apparut auprès d'elle quelques secondes après l'appel. Il observa quelques instants la jeune fille qui l'accompagnait, mais ne s'y intéressa pas réellement, préférant porter son attention sur son élève.
- J'ai obtenu l'accord d'Astalie, mais nous en parlerons quand nous serons seuls.
Elle hocha simplement la tête en le remerciant. Même si la nouvelle la rassurait, elle n'avait pas pour habitude de dévoiler ses sentiments.
- Prête pour reprendre l'entraînement ?
- En théorie.
- Dans ce cas, va récupérer ton arme, nous reprenons.
Elle ramassa l'arme factice qui gisait toujours au pied du vieil arbre et se remit en garde en le voyant se mettre en position d'attaque.
Le combat dura à peine plus longtemps que les précédents, la seule amélioration étant qu'elle était parvenue à garder l'équilibre, s'empêchant, de ce fait, de se retrouver au sol une nouvelle fois. À peine l'eut-elle quitté des yeux pour ramasser l'arme qu'elle sentit ses chevilles être percutées et une nouvelle rencontre avec le sol en résultat.
- Concentre-toi, on ne tourne jamais le dos à un adversaire, quelqu'en soit la raison.
« Mais vous êtes malade ! »
Sian s'était précipitée sur Hayjie en la voyant tomber sous le coup porté par ce qu'il semblait être son professeur et lui feula dessus en sortant les griffes quand celui-ci tenta d'approcher son amie. Cette dernière attrapa délicatement son poignet pour la calmer en voyant la situation dégénérer.
- Rentre les griffes, tout va bien.
- Il n'a pas à te faire ça !
- Mais tout va bien.
Ses canines rétrécirent et les griffes disparurent pour laisser ses mains revenir à leur forme originelle : signes qui témoignent d'un proche retour au calme.
- Mais ce n'est pas sain comme façon de faire, regarde dans quel état tu es.
- Mais je vais bien et je sais encore ce que je fais. Essaie de me faire confiance pour une fois.
- C'est ce que j'essaie de faire toutes les fois, mais à chaque...
Kâya vint clore le débat en apparaissant près de Circa dans un volute bleu scintillant.
- Depuis quand me voles-tu mes élèves ?
Sa voix était douce et bienveillante, et un léger sourire était visible sur son visage serein en remarquant la situation délicate dans laquelle il s'était mis en acceptant la présence d'un chat.
- Depuis qu'ils viennent perturber mes cours. Peux-tu la récupérer ?
- C'est ce qui est prévu. Nous devrons parler, toi et moi. En privé.
- Nous ferons ça. Merci.
Elle hocha simplement la tête et, en souriant, tendit une main en direction de Siannlie.
- Viens avec moi, chaton. Ils ont certainement à parler, et nous aussi.
Celle-ci hésita quelques secondes et voulut protester, mais fini tout de même par attraper sa main, de peur de la décevoir.
Circa attendit qu'elles eurent disparu pour aider son élève à se relever et l'inviter à le rejoindre sous l'ombre du vieil arbre.
- Je te laisse vérifier qu'il n'y a personne autour et nous pourrons discuter au sujet de ton rôle dans la prophétie.
- Quelle prophétie ?
- Vérifie et je t'expliquerai après.
Elle utilisa la magie dont elle était pourvue pour scanner les environs sans grande conviction. À part quelques petits animaux, des arbres, et des buissons, il n'y avait pas grand chose aux alentours.
- Il n'y a personne.
- C'est le résultat que j'obtiens également. Viens t'asseoir maintenant. Ce que j'ai à t'annoncer risque de t'ébranler.
Annotations