Au delà de l'utopie
Malgré l’effervescence qui règne dans ce vieux théâtre, rien ne semble pouvoir enrayer la destruction du bâtiment. Pourtant les habitants des lieux, soutenus plusieurs riverains, tentent d'enrayer le processus. Ici on distribue des tracts sur les places de marchés et dans les boites aux lettres, là on emprunte l'antenne d'une radio locale pour diffuser nos programmations, plus loin des acteurs et des jongleurs racolent les passants. Le collectif d’artistes tente de se défendre, communique et présente les activités d'initiatives populaires sur l'une des places les plus symboliques du quartier d'Outre-Meuse (la Meuse étant le fleuve qui traverse la ville de Liège).
Une présentation publique du projet de réhabilitation doit être organisée par la mairie et les habitants du quartier sont donc conviés à venir s'y exprimer, invitation à laquelle nous répondons, empreints d'un espoir relatif.
L’homme qui préside cette assemblée est bourgmestre depuis plus de quinze ans, en campagne pour une énième réélection, ce qui relancerait son mandat pour six et ce qui adviendra quelques mois plus tard.
Après nous avoir présenté les aménagement verts et les nouvelles places de parking, vient la question des délais nécessaires pour raser le théâtre.
Différentes personnes prennent la parole dont certains d'entre nous qui veulent souligner l'importance de la dynamique sociale qui s'est créée autour de cette expérience, l'audience acquiesce.
Le bourgmestre prend une posture attentive, c'est qu'il se veut à l’écoute des actions misent en place par le collectif ; mais nous devons entendre que ce bâtiment est vieux, vétuste, dangereux, insalubre... Il ne peut décemment pas loger une troupes d'artistes et encore moins y accueillir du public. En revanche, l'homme d’État tient à s’assurer de la mise à disposition d’un nouveau local pour protéger les œuvres réalisées et s’engage à faire suivre des propositions de relogement aux habitants expulsés. Pour plus de sécurité, le théâtre sera rasé et la place réaménagée… Un projet qui s’inscrit dans le cadre d’un partenariat entre des investissements publics de la ville et de la région, et ceux d’une entreprise privée dans le cadre de l’exploitation d'un parking sous-terrain.
Ici, on ne se risquera pas à une résistance physique ; bien que les avis divergent, le TALP ne sera pas barricadé, nous jouons nos dernières représentations. Pour l'ultime face à face avec le public, nous avons prévu de nous faire plaisir et de déconseiller la séance aux jeunes enfants. « Romeo and Juliet in Garbage Garden » s’apprêtent à faire couler le sang de leurs passions. Notre ami photographe, également chroniqueur sur un site internet, a fait le déplacement depuis Bruxelles. Il nous honore en faisant de notre pièce le sujet de son billet hebdomadaire qu’il conclut ainsi : « Courez-y. Le théâtre n’a jamais été aussi proche de sa véritable essence. » On ne pouvait espérer meilleur « papier ».
Le lieu continue de vivre, de rire, de créer sans autorisation. Et ce jusqu’à ce que la police se présente pour évacuer la place, il n'y a plus rien à voir, l'homme d’État ne respectera pas ses paroles, l'ouvrage disparait.
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