THE BOX
Alisson s'étire, tend le bras et cherche ses lunettes. Elle ne les trouve pas, puis se redresse dans... Son lit n'est plus. Elle regarde autour d'elle : quatre murs blancs, plafond, plancher d’un mètres et demi au carré chacun, environ.
C'est sûrement un rêve en couche d'oignon.
Alisson frappe la cloison, essayant de comprendre ce qu'il se passe. Elle s'imagine déjà dans un container, perdu parmi des centaines d’autres containers stockés sur les docks. Effrayant.
Attends. Pas logique. Oxygène, lumière...
Alisson cherche les failles, tout est blanc, mais pas de lampe. L'oxygène, aucune source. Pas un courant d'air. Elle s'assoit contre la cloison. Paniquer est inutile. Après la semaine merdique qu'elle vient de passer, se réveiller enfermée dans une boîte vide est plutôt reposant.
Parce qu’aller bosser dans une boîte dans laquelle vos collègues sont aussi utiles que des plantes en plastique... pas vraiment top, la déco. Une vraie maternelle. Chacun pointe l'autre du doigt, touchant un salaire sans faire son travail. Le pompon c'est quand ils se prennent pour plus intelligents que les autres ou pour des chefs qu'ils ne sont pas. Parfois pire : les deux. Incapables d'aligner deux mots sans erreur de syntaxe. Dans une école ! Alors tu ramasses leur merde et la directrice te fait passer pour le Cerbère de service. Oui, la directrice. Aucune cohésion, aucune solidarité, aucune cohérence. Bon sang, cette semaine, quel traumatisme !
Alisson s'allonge. Ce silence lui fait du bien. Elle ferme les yeux.
Tu croyais être enfin débarrassée de tes problèmes ?
Alisson ouvre les yeux dans un sursaut d'étonnement mêlé à un sentiment incertain d'angoisse, d'un « je ne sais quoi » d'encore plus indéfinissable. Elle se redresse, dubitative.
Tu te demandes...
Je me demande… ironise la jeune femme. Bravo la science fiction ! Elle sort d'où ta voix ?
Alisson cherche. Alisson scrute le moindre détail. Ses doigts caressent la surface blanche immaculée des murs, du plafond, du sol.
Si tu veux sortir de la boîte, tu devras répondre à une série de questions. Sois honnête. Si tu mens, tu restes ici. Mourir de soif n'est pas une agonie des plus agréables.
Alisson s'assoit. Elle fait une moue de môme en pleine réflexion.
D'accord.
Quelle partie de ton corps mangerais-tu si c’était la seule chose qui te permettait de survivre ?
Vous êtes sérieux ?
Réponds.
Alisson réfléchit longuement.
Rien. Je me laisserais mourir. C’est ridicule de vouloir s’alimenter avec soi-même alors qu’on risque l’hémorragie fatale. Votre question est stupide !
Bien.
Alisson ouvre grand ses yeux bleu nuit, surprise que son interlocuteur invisible ne lui impose pas de conditions.
C’est l’heure de dormir.
Mais…
Dors.
Alisson s’endort aussitôt. L’intérieur de la boîte sombre dans l’obscurité totale.
Debout là-dedans ! C’en est assez, de l’oisiveté !
Alisson sort doucement de sa torpeur.
Qu’est-ce que… ?
Troisième question.
Pardon ?
Pour survivre il faut que tu manges quelqu’un, qui sera l’heureux élu ?
Vous avez vraiment un problème avec le cannibalisme !
Réponds.
Personne. Je meurs de faim, lance Alisson croisant les bras, excédée par l’interrogatoire de « l’homme invisible ».
Trois pauvres petites questions et tu es déjà à bout, petite fille ?
Deux. Vous avez posé deux questions.
Trois. Alors on ne sait plus compter Alisson ? C’est l’heure de dormir.
Non !…
Alisson s’affale sur le sol blanc de la boîte. Serait-ce le sol ou le plafond ? Toutes les surfaces sont absolument identiques.
C’est l’heure de manger !
Alisson ouvre les yeux. Devant son visage elle trouve un bol de riz. La prisonnière se redresse lourdement et saisit le contenant. Elle regarde autour d’elle, puis commence à manger avec les mains. Alisson finit le riz et colle son dos contre la paroi blanche immaculée.
Quatrième question.
En fait, ça me gonfle.
Quatrième question.
Non mais franchement. À quoi on joue ? Ça vous mène à quoi de savoir qui je veux manger ? Vous pouvez me laisser mourir, ça m’est égal. Personne ne m’attend. Pas même le bel inconnu dans le parc.
Alisson s’allonge.
Quatrième question.
Alisson ferme les yeux.
Si tu devais placer quelqu’un dans la boîte, pour sortir d’ici, qui serait l’heureux élu ?
Alisson ouvre les yeux.
Personne.
Alisson referme les yeux.
La lumière blanche traverse ses paupières. Éblouissante. Des sirènes de pompiers hurlent de plus en plus fort. De plus en plus près :
— Mademoiselle ? Mademoiselle ?
— On la perd. Mettez-la sur le brancard. Un, deux, trois.
Les sirènes hurlent dans les rues de Londres. De plus en plus loin. Quelque part, dans l’abîme.
« C’est la fin du monde, ton Dopple[1] vient te chercher. C’est la fin du monde n’entre pas dans cette maison. C’est la fin du monde, ton Dopple te guette. C’est la fin du monde, qui t’attire dans ce piège. C’est la fin du monde, ton Dopple va te tuer. Ton Dopple a pris ta place. C’est la fin du monde. »
*
— Comment supportez-vous votre traitement Alisson ? demande le psychiatre à sa patiente.
— Ça peut aller. Je me sens éreintée chaque jour, mais puisqu’il le faut.
*
[1] Dopple, diminutif de Dopplegänger : double maléfique.
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