Un début de matinée comme les autres au château de Westforest. . . ou pas. . .
J'ouvre les yeux pour découvrir le visage endormi de mon mari. Il est encore plongé dans le sommeil alors que le soleil est levé depuis un bon moment, déjà. On dirait qu'il aime les grasses matinées ! Je souris en pensant que, moi aussi, j'appréciais dormir aussi longtemps que possible, autrefois. Seulement, depuis, j'ai pris l'habitude de me lever tôt et de ne disposer que de peu d'heures de sommeil et je ne parviens pas à m'en défaire.
Je repousse donc les draps du lit, pose mes pieds sur le doux tapis ornant le sol et ferme les rideaux pour que mon époux ne soit pas dérangé lorsque j'ouvrirai les volets et les fenêtres pour éclairer et aérer la chambre. Je me dirige ensuite vers la chaise où il semble avoir pris l'habitude d'abandonner ses vêtements et les plie soigneusement, avant de les reposer là où je les ai trouvés. Une fois ce petit rangement terminé, je m'habille et peigne mes courts cheveux blonds, avant de m'engager dans le couloir.
Je quitte le donjon pour aller jusqu'aux cuisines où je trouve déjà la vieille servante en train de préparer le petit déjeuner. Je la salue :
- Bonjour, Aurélie !
- Bonjour, madame ! Comment allez-vous, ce matin ?
- Je suis en pleine forme, merci ! Et vous même ?
- Je suis toujours en bonne santé, Diane merci.
Je souris et me dirige vers les placards où elle range les couverts. En me voyant faire, la bonne femme s'exclame :
- Vous n'êtes pas obligée de dresser encore une fois la table, madame ! Je vous assure que je me débrouille parfaitement bien toute seule !
- Je l'ai déjà fait une fois et ça ne m'a pas tuée, je peux bien recommencer. Cela me fait plaisir de vous aider.
- Vous êtes trop bonne. . .
- Ce n'est vraiment rien comparé à tout le travail que vous faites quotidiennement. D'ailleurs, n'est-ce pas fatiguant d'effectuer toutes les tâches domestiques seule ? Je ne crois pas avoir croisé d'autres servantes au château. . .
- En effet, il n'y a que moi, mais comme nous ne sommes pas nombreux à vivre ici, je m'en sors. Mon travail est moins fatiguant que celui de bien d'autres domestiques. J'ai de la chance de travailler pour monsieur le duc !
- Vous êtes à son service depuis longtemps ?
- Je le sers depuis sa naissance. Avant d'être sa cuisinière et femme de chambre, j'étais sa nourrice.
- Oh, vraiment ? ! Vous devez bien le connaitre, alors. . .
- Personne ne connait mieux monsieur que moi ! affirme-t-elle en levant le menton avec assurance et fierté.
- Je n'en doute pas, dis-je en riant doucement. Bon, je vais vite poser ces couverts sur la table avant que les autres ne se réveillent.
- Oh, mais les jumeaux sont déjà debouts. Ils s'occupent de nourrir les chevaux en attendant que le repas soit servi. Il n'y a que monsieur le duc qui ne soit pas matinal.
Je ris encore, à la fois amusée et surprise de constater que cette simple domestique ne ressent aucune gêne, ni aucune crainte à parler ainsi de son maitre devant la propre épouse de ce dernier.
Je quitte ensuite les cuisines pour rejoindre la salle à manger, en me promettant d'interroger plus longuement Aurélie une prochaine fois. Elle doit sûrement avoir les réponses aux questions que je me pose sur le duc de Westforest.
Je croise les deux roux à l'entrée du donjon. Ils me saluent d'une courbette aussitôt qu'ils me voient :
- Bien le bonjour, madame ! me disent-ils en choeur.
- Bonjour, messieurs, leur adressé-je avec un sourire.
- Voilà que madame nous prend encore pour de grands seigneurs, lance Robin à l'intention de son jumeau en lui lançant un coup de coude et un clin d'oeil taquins.
- Mon frangin a raison, nous ne sommes que de simples roturiers. On a l'habitude d'être appelés par nos prénoms.
- On nous donnait même des noms moins sympas, il y a quelques années, pour ne pas dire des insultes.
- C'était avant que le duc de Westforest ne vous prenne à son service ?
- Oui.
- Je suis curieuse de savoir comment vous vous êtes rencontrés.
- Nous vous en parlerons volontiers, accepte Robert, mais laissez-moi d'abord vous aider à porter ces couverts, ajoute-t-il en tendant ses bras vers moi.
- Je vous remercie pour votre sollicitude, mais ce ne sera pas la peine. Je suis parfaitement capable de porter ces quelques objets jusqu'à la salle à manger.
Sur ces mots, je m'engouffre dans le donjon et gravis l'escalier en bois, suivie par les deux hommes. Je dispose les couverts sur la table et prends place sur une chaise. Les deux hommes s'asseoient à leur tour et je leur demande :
- Alors ? Comment était votre vie avant votre rencontre avec le duc ?
- Nous vivions dans la forêt, m'explique Robin. Nous nous nourrissions des fruits des bois et du gibier qui vivait dans les alentours.
- C'était du braconnage ! m'exclamé-je.
Les deux hommes acquiscent. Je leur pose cette question :
- N'aviez-vous pas peur de vous faire prendre ? Vous risquiez votre vie en enfreignant cette loi. . .
- Si nous n'avions pas chassé, nous serions morts de faim. Quoique nous choisissions, la mort nous guettait. Nous avons préféré nous battre pour notre survie, quitte à nous faire prendre par les autorités.
- Quel courage !
- Il n'y a rien d'admirable là-dedans, rétorque Robert. Nous avons simplement suivi ce que notre instinct de survie nous dictait. La plupart des gens sont prêts à tout pour sauver leur peau, quitte à commettre des crimes. Nous faisons partie de ceux-là.
Je comprends parfaitement ce que vient de dire l'homme à la longue chevelure rousse. J'ai moi-même ressenti pleinement cet instinct de nombreuses fois et je l'ai toujours suivi afin d'assurer ma survie. Il faut croire que ces jumeaux et moi avons bien plus de points communs que je ne le pensais.
- Je ne vous vois absolument pas comme des criminels, déclaré-je aux deux hommes, mais simplement comme des êtres humains qui faisaient tout leur possible pour survivre dans ce monde cruel et impitoyable.
Ils me regardent d'abord avec des yeux ronds, sans doute surpris et étonnés par mes paroles, puis leurs visages se radoucissent pour arborer un sourire, que je leur rends avec plaisir.
C'est ce moment que choisit mon époux pour faire son entrée. Il nous salue :
- Bonjour à tous !
- Bonjour ! lui répondons-nous en choeur.
- Est-ce que tout le monde a passé une bonne nuit ?
Nous hochons la tête et je lui demande :
- Et vous ? Avez-vous bien dormi ?
- J'ai passé une excellente nuit !
Il avise la table dressée et constate :
- Vous avez encore joué les domestiques. . .
- C'est un réel plaisir pour moi que d'aider une femme aussi gentille et serviable qu'Aurélie ! affirmé-je avec un grand sourire.
- Votre compliment me touche énormément, madame ! Merci ! déclare la vieille femme en entrant avec un grand plateau entre les mains.
- Je vois que tu es en pleine forme, comme toujours ! lui dit le duc de Westforest avec un sourire bienveillant.
- Contrairement à ce que certains pensent, le travail, c'est la santé ! affirme la servante en posant le plateau sur la table.
Mathieu s'installe en face de moi, pendant qu'Aurélie se charge de servir tout le monde, avant de s'asseoir à son tour. Nous commençons à manger et, cette fois, c'est moi qui lance la discussion :
- Il faudrait qu'on se procure des graines au plus vite, dis-je à l'intention de mon mari.
- Nous allons tout simplement récupérer les graines des fruits et légumes que nous récoltons dans notre cour.
- Si nous les plantons maintenant, les premiers légumes auront fini de pousser d'ici quelques semaines seulement. En revanche, il faudra attendre quelques années pour les arbres fruitiers. . .
- Vous avez l'air de drôlement bien vous y connaitre en horiculture. . . me dit le duc de Westforest sur un ton étrange, presque suspicieux.
- Je m'intéresse à tout, lui expliqué-je avec un sourire innocent.
Je porte ensuite ma tasse de thé à mes lèvres, en me disant que je devrais être plus prudente à l'avenir, si je ne veux pas que mon époux découvre la terrible vérité qui m'entoure. . .
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