Frère et soeur

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Une fois notre petit déjeuner terminé, je quitte le banc sur lequel je suis assise en informant les personnes encore attablées :

- Je me rends de ce pas au village pour soigner le reste des malades. La nuit tombe vite en cette saison, alors je ne dois surtout pas tarder.

Robert s'apprête à se lever pour m'accompagner, comme d'habitude, lorsque le duc de Westforest l'interrompt, en se mettant rapidement debout :

- C'est moi qui t'escorterai, aujourd'hui, ma soeur. Allons-y !

- Oui, dis-je en m'exécutant, malgré la surprise que me provoque cette décision innatendue.

J'entoure mes épaules de ma cape, que j'avais posé de côté avant de me mettre à table, et m'engage dans le couloir, puis descends l'escalier en bois sculpté du donjon aux côté de mon maître, qui a déjà revêtu son manteau de fourrure sombre.

Nous sortons dans la cour et marchons en silence jusqu'aux écuries. Seul le craquement des flocons de neige sous nos pas et le souffle du vent se font entendre. Nous sellons nos montures, les guidons jusqu'à l'extérieur, puis montons sur leurs dos et les lançons au trot. Robert, qui a profité du temps que nous avons passé à préparer nos chevaux, pour aller nous ouvrir les portes du château, nous salue d'un signe de la main lorsque nous passons devant lui, avant de refermer les battants en bois.

Il ne nous faut que quelques secondes pour entrer dans la forêt. Nous avançons alors entre les arbres, dont seuls les chênes et les conifères gardent encore leurs feuilles, pour les uns, et leurs aiguilles, pour les autres.

Je garde le silence, me contentant d'observer mon compagnon sans oser prononcer ne serait-ce qu'un mot, ne sachant pas quoi dire. Mon calme excessif semble l'intriguer, car il finit par me demander :

- Es-tu toujours aussi peu bavarde avec Robert ?

Je secoue la tête. Il poursuit :

- Pourquoi l'être avec moi, alors ?

- C'est que. . . hésité-je.

- Parle sans crainte. Je te promets de ne pas m'énerver contre toi si c'est ce dont tu as peur, me rassure-t-il.

- Je me sens plus à l'aise avec votre garde du corps, lui avoué-je d'une petite voix en rentrant la tête dans mes épaules, tout en détournant le visage.

- Est-ce à cause de la différence de nos conditions ou parce que nous ne nous connaissons encore que peu ?

- C'est plutôt à cause de la seconde option.

- Je comprends, mais c'est justement pour apprendre à mieux nous connaître et dissiper ce malaise entre nous que j'ai tenu à t'accompagner aujourd'hui, ma soeur.

Il cesse de me fixer pour lever son regard violet en direction du ciel. Il l'observe en silence pendant quelques secondes, d'un air triste qui semble exprimer le regret, avant de dire, sans changer de posture :

- Si le roi Frédéric n'avait pas tenu à ce qu'Aurélie ne se consacre qu'à mon éducation et s'il s'était montré moins cruel envers tes parents, nous aurions grandi ensemble, tous les deux, comme de véritables frère et soeur. Il m'arrive d'imaginer, depuis que je connais le lien qui nous unit, les jeux que nous aurions pu réaliser ensemble et les moments que nous aurions pu partager avec Aurélie et peut-être Éric, aussi. . . Je souhaite rattraper le temps perdu, ajoute-t-il en plongeant à nouveau ses yeux dans les miens.

Je les sens s'écarquiller, tandis que mes joues rosissent sous l'effet de l'émotion. J'esquisse ensuite un sourire, puis effectue un hochement de tête afin de consentir à son souhait. Je m'attends à ce qu'il me rende mon sourire, mais au lieu de cela, il baisse les yeux et déclare d'une voix pleine de remords :

- Je tiens d'ailleurs à m'excuser pour les agissements de mon père. Je ne comprends vraiment pas pourquoi il s'est montré aussi ignoble à votre égard, mais sache que je n'approuve absolument pas ses actions. J'en ressens au contraire une grande honte et je lui en veux même de s'être rendu coupable de tels crimes, alors sois sûre que jamais je ne les réitérerai. Je ne condamnerai jamais des innocents et je ne me permetterai jamais de briser des familles comme le précédent roi l'a fait, parce que je connais la valeur d'un foyer et la douleur que cause la perte d'un être cher. Je ne peux donc me permettre de la faire subir à autrui.

- Et moi, je sais que vous ferez un excellent roi, lorsque vous monterez sur le trône, lui affirmé-je avec un doux sourire.

- Si je monte sur le trône. . . Quand mon frère aura un enfant, je me retrouverai en seconde position sur la liste de succession, mais je m'en moque bien, parce que le pouvoir ne m'intéresse pas, contrairement à lui.

- Les probabilités que notre souverain actuel ait un autre successeur que vous sont minces, maintenant que sa fiancée est décédée.

- Je me souviens avoir ressenti de la peine pour cette pauvre jeune femme, bien que je ne la connaissais pas le moins du monde, me confie-t-il. Ce doit être terrible de mourir dans de telles conditions. . . Je prie Diane pour qu'elle n'ait pas trop souffert, au moins. . . Enfin, les vivants sont plus à plaindre que les morts !

- Oui, prions pour que cette guerre cesse bientôt et que tout rentre dans l'ordre. C'est ce qu'il y a de mieux pour tout le monde.

- Je suis d'accord avec toi, ma soeur. Les habitants du duché n'auraient jamais connu de pareilles souffrances si ce maudit conflit n'avait jamais existé.

- Certes, mais ils se portent mieux aujourd'hui et c'est l'essentiel, n'est-ce pas, monsieur le duc ?

- Calista, si cela ne te dérange pas, j'aimerai que tu m'appelles "mon frère", désormais, car c'est ce que je veux être pour toi. Si tu as besoin de te confier sur quelconque sujet que ce soit, si tu as besoin de réconfort et de protection, sache que je suis là et que je serai toujours là pour toi. Tu peux me faire confiance, comme je te fais confiance, ma soeur.

Mes yeux couleur indigo s'écarquillent à nouveau et s'embuent de larmes. Je sens les battements de mon coeur s'accélérer, mais ils ne m'apportent pas le même trouble que je ressens avec Robert. Je me sens juste heureuse et apaisée. J'offre donc un sourire au jeune homme qui chevauche à mes côtés, tandis que je lui déclare :

- Je vous fais déjà confiance, mon frère. Merci pour tout !

Il secoue la tête. Je m'attends à ce qu'il rétorque : "Ne me remercie pas", mais au lieu de cela, il me rectifie :

- Le vouvoiement n'est pas de mise entre frère et soeur dans notre famille.

- Oh, pardon ! m'excusé-je en mettant ma main devant ma bouche comme si j'avais dit une bêtise ou une grossiéreté.

- Ha ha ha ! Ce n'est rien, mais maintenant que tu es prévenue, ne te trompe plus, ma soeur.

- Ha ha ha ! Je ferai de mon mieux, c'est promis.

Nous nous regardons dans les yeux pendant quelques secondes, en souriant, avant de reporter notre attention sur la route. En regardant le ciel, j'ai l'impression qu'il est moins nuageux que tout à l'heure, ou peut-être est-ce simplement mon coeur qui s'est allégé. Quoiqu'il en soit, je me sens mieux et je le dois à mon "frère".

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