Le Renouveau
Les carrosses s'arrêtent devant la cathédrale de Dianapolis. Le roi Éric est le premier à descendre, naturellement, suivi par son cadet. Mon mari me présente ensuite sa main pour m'aider à poser pied à terre, que j'accepte avec plaisir. Nous entrons dans l'immense monument aux façades en marbre sculpté. Les portes sont encadrées par deux nymphes des bois aux longs cheveux ornés de fleurs sauvages.
Nous les franchissons et je découvre alors que l'intérieur de l'édifice est encore plus luxueux : les innombrables bancs en bois sont recouverts de velours vert, les murs sculptés représentent un défilé de cerfs, de biches et d'ours parcourant leur forêt, les vitraux colorés forment des cèdres et des noyers et au plafond est peint un croissant de lune. L'autel est installé au pied d'une grande statue argentée à l'effigie de la déesse Diane, portant ses inséparables arc et carquois sur son dos et brandissant une torche en l'air. Elle est encadrée de deux chiens de chasse en marbre, couchés à ses côtés.
Nous nous intallons au premier rang, réservé à la famille royale. Viennent ensuite les nobles du royaume, puis le peuple. Nos amis se trouvent donc loin de nous, mais ce n'est que le temps de la cérémonie, qui commence aussitôt que le Pape de Forestisle arrive.
Il s'agit d'un homme de taille moyenne, au visage ridé, aux yeux verts plissés et à la longue barbe blanche.
- Je me demande pourquoi tous les Papes se laissent pousser la barbe, murmuré-je à l'oreille de mon époux.
- C'est un symbole de sagesse, m'explique-t-il.
- Vous n'êtes pas le moins du monde sage, dans ce cas, plaisanté-je en mettant ma main devant ma bouche pour retenir mon rire.
Il glousse, mais s'arrête quand il remarque le regard réprimandeur que son aîné lui lance. J'adresse à ce dernier un sourire innocent en guise d'excuse, tandis que Mathieu se contente de reporter son attention sur l'ecclésiaste.
Celui-ci est vêtu d'une longue robe blanche surmontée d'une mosette verte. Une tiare couleur émeraude orne son crane. Il se place entre la statue et l'autel, pendant que deux prêtres allument des cierges, embaumant la cathédrale de cette forte, mais délicieuse odeur épicée. Il s'adresse à nous en ces termes :
- Bienvenue à tous en ce glorieux jour de joie, que nous avons l'honneur de célébrer en compagnie de notre majestueux souverain et du prince héritier. Bien que des fêtes auront lieu dans tout le pays pour vous permettre de vous réjouir et de vous amuser en cet heureux jour, je vous rappelle que notre devoir est de remercier comme il se doit notre déesse d'avoir eu la bonté de faire renaître les forêts couvrant notre territoire afin de nous honorer à nouveau de leurs bienfaits. C'est la raison pour laquelle nous sommes réunis ici ce matin. Je vous invite donc à prendre les mains de vos voisins et à prier avec moi notre généreuse divinité.
Sur ces mots, il attrape les mains de ses subordonnés et reprend la parole :
- Ô, Diane ! Merci à toi de nous avoir donné la force et les moyens de tenir pendant ces longs mois hivernaux. Merci à toi d'avoir ensuite fait renaître tes forêts afin de nous honorer à nouveau de leurs bienfaits. Merci à toi d'avoir réveillé tes bêtes dévouées pour qu'elles nous procurent notre subsistance. Merci à toi de continuer à veiller sur nous encore et encore. Merci !
- Merci ! s'exclame l'assemblée en choeur.
Un silence s'installe ensuite pour permettre encore une fois à chacun de formuler un voeu personnel à la déesse dans son coeur.
Quelques minutes plus tard, le Pape annonce :
- Il est à présent temps d'offrir à la Grande Diane des présents en guise de gratitude. Notre bon roi lui a déjà fait cadeau de cette merveilleuse statue en argent, que nous avons fait installer pour cette occasion.
- Oh ! s'exclame la foule, admirative.
Le vieil homme fait revenir le calme d'un simple geste de la main, puis ordonne :
- Que tous ceux qui ont une offrande à nous présenter s'avancent vers moi !
Nous observons le long défilé d'hommes et de femmes qui marchent jusqu'au Pape pour lui confier leurs cadeaux à la divinité. La plupart sont des dons d'argent.
Quand le chef de l'Église de Forestisle finit enfin de recueillir tous les présents, il déclare :
- La cérémonie est à présent terminée. Merci à tous pour votre dévotion. Notre déesse saura vous récompenser comme il se doit. L'heure des réjouissances et des festivités est maintenant arrivée. Bonne journée à tous !
Nous quittons la cathédrale dans le même ordre que nous y sommes entrés et montons à nouveau dans le carrosse pour retourner au palais royal.
*
Je descends du véhicule et me dirige vers le carrosse qu'ont emprunté nos amis pour le trajet. J'arrive à leur hauteur au moment où Robert prend la main de Calista pour l'aider à le rejoindre. Il la garde ensuite dans la sienne, tandis que son jumeau se charge d'offrir son aide à Aurélie. Je leur demande :
- Est-ce que tout va bien ?
- Oui, me répond Fidel. Qu'en est-il de vous ?
- Nous allons bien. Sa Majesté nous a expliqué qu'un bal serait donné au palais, mais qu'il n'est reservé qu'aux membres de la noblesse. Cela m'attriste de savoir que nous ne pourrons pas nous amuser ensemble.
- C'est vrai que c'est dommage, admet notre épéiste, mais ce n'est pas bien grave. La population de Dianapolis a aussi prévu des festivités pour le Renouveau. Nous nous joindrons à eux.
- C'est entendu, mais faîtes tout de même bien attention à vous, d'accord ? Je sais que vous êtes tous des adultes responsables, mais je vous demanderai tout de même de ne pas rentrer tard, sans quoi nous nous inquiéterons pour vous, Mathieu et moi.
- Ne vous en faîtes pas, madame, me rassure la plus âgée des cinq. Je veillerai en personne à ce qu'ils ne fassent pas de bêtises et rentrent suffisamment tôt pour ne pas vous inquiéter.
- Tu comptes venir avec nous ? lui demande notre archer bien-aimé.
- Évidemment ! Il faut bien qu'une personne ayant constamment la tête sur les épaules vous accompagne.
- N'oublie pas que le but premier de cette fête est de nous amuser, lui rappelle Calista.
- Je le sais bien. Je ne suis pas née du dernier arbre, ma fille ! J'en ai connu, des fêtes !
- Bon, allons-y ! déclare Robert en riant. Nous vous souhaitons de bien vous amuser, ajoute-t-il à mon intention.
- Merci, je vous le souhaite aussi !
Je les regarde s'éloigner jusqu'à ce qu'ils se fondent dans la foule, puis retourne aux côtés de mon mari et du roi de Forestisle.
- Vous voilà enfin, madame, m'adresse ce dernier. Nous vous attendions justement pour nous rendre dans la salle de bal.
- Où sont passés les autres ?
- Ils sont allés s'amuser avec le peuple de Dianapolis.
- Allons nous amuser aussi, dit-il en me présentant son bras, que je prends.
Nous nous engouffrons dans le palais, suivis par les membres de la noblesse et guidés par leur charismatique souverain jusqu'à la salle de bal.
Elle est ornée pour l'occasion de guirlandes de fleurs. Un orchestre, installé sur une estrade, attend qu'on lui donne l'odre de jouer. L'homme à la longue chevelure châtain clair, maintenue en une queue de cheval par un ruban rouge, effectue de grandes enjambées assurées jusqu'au trône installé ici pour l'occasion et s'installe dessus. Nous prenons place dans des fauteuils à ses côtés. Il scrute la foule de courtisans et d'invités nobles amassée devant lui en silence, d'un regard impassible, puis fait signe aux musiciens de commencer leur travail. Ces derniers se mettent alors à souffler dans leurs instruments, en grattent les cordes ou les frappent en rythme, guidés par le maestro.
Un air enjoué emplit aussitôt la salle, mais personne ne bouge : c'est au roi de décider quel couple ouvre le bal. Il se met debout et lance à son frère :
- Si cela ne te dérange pas, j'aimerai t'emprunter ton épouse un instant.
Le ton employé est courtois, mais en constatant qu'il n'attend même pas la réponse de son cadet pour se diriger vers moi, je comprends qu'il ne s'agissait pas d'une demande, mais d'un ordre.
Éric me présente sa main, un sourire charmeur sur le visage. Je me tourne vers mon mari et constate qu'il nous observe avec des sourcils froncés. La situation ne lui plaît visiblement pas et je le comprends, mais ne souhaitant pas lui attirer d'ennuis, j'accepte tout de même l'invitation de son aîné. Je pose ma main sur la sienne et il tire doucement sur mon bras pour m'aider à me lever, puis me guide jusqu'au centre de la salle. En passant devant Mathieu, je lui souffle :
- Je vous réserve la prochaine danse.
Il m'adresse un sourire, ce qui me rassure.
Je suis l'autre homme et nous ouvrons le bal avec une valse. Je me laisse conduire par les pas agiles et grâcieux de mon cavalier, qui déclare :
- J'ai enendu dire que le redressement du duché et sa bonne gestion vous étaient dûs. Je me dois de vous en remercier.
- Le bonheur des villageois et leur bien être sont tout ce que je souhaite en échange de mes efforts, rétorqué-je. Et puis, il faudrait aussi remercier mon époux qui a su se montrer compréhensif envers ses protégés en ne leur imposant pas l'impôt qu'ils lui devaient quand ils n'avaient pas les moyens de le payer. C'est aussi grâce à lui et ses hommes que le village fût sauvé lors de l'assaut qu'il a subi. Je n'aurai jamais pu faire face à tous ces adversaires sans eux. Ce que je veux dire, c'est que je ne suis pas la seule à qui tout ce bien est dû. C'est le fruit d'un travail d'équipe. Il faudrait remercier mon mari et le féliciter pour ses efforts. Je suis sûre que ça lui ferait plaisir, surtout venant de vous.
- Il ne fait que son devoir. Quand un domaine est confié à une personne, elle se doit de veiller et d'oeuvrer à sa prospérité. Le remercier reviendrait à lui faire croire que ce qu'il fait est une faveur et non une obligation. C'est pourquoi je ne peux me le permettre.
- Pourquoi m'avoir remercié, dans ce cas ?
- Vous êtes son épouse. Votre seul devoir est de lui offrir un ou des héritiers. La gestion du domaine ne fait pas partie de vos obligations. Cependant, je suis ravi de constater que ma belle-soeur est capable de bien plus que ce qu'on attend d'elle.
- Je vous remercie pour le compliment, mais si je puis me permettre une remarque et un conseil : cette fête est le moment idéal pour passer du temps avec votre frère et profiter de sa présence à vos côtés. Je lui ai promis la prochaine danse, mais je pense que ce serait une bonne idée de vous réunir ensuite pour tenter de rattraper le temps perdu. Qu'en dîtes-vous ?
- C'est une excellente idée ! affirme-t-il en regardant son cadet, tandis qu'une lueur de malice traverse ses yeux violets.
Une fois notre danse terminée, nous nous dirgeons ensemble vers mon mari, qui nous attend dans son fauteuil. Le roi de Forestisle se rassied sur son trône en disant à Mathieu :
- Quand tu auras fini de danser avec ta belle, tu me rejoindras. J'aimerai que l'on discute un peu, toi et moi.
- C'est entendu, lâche le jeune homme sur un ton étonné, mais je vois l'espoir briller dans ses yeux.
Il prend ensuite ma main et je retourne avec lui au centre de la salle pour me lancer dans une nouvelle danse.
Il profite de notre face-à-face pour me demander :
- Que pensez-vous de mon frère ?
- C'est un homme pour le moins intriguant. Il est difficile de savoir ce à quoi il pense s'il ne nous le dit pas lui-même.
- Il a toujours été ainsi.
- C'est grâce à son parfait contrôle sur ses émotions : il sait quand laisser paraître ce qu'ils ressent et quand il ne le faut surtout pas.
- Et vous a-t-il montré ce qu'il ressent réellement pendant votre danse ?
- Il s'est montré courtois et charmeur, sans doute par politesse et pour gagner mon admiration, mais ses paroles, en revanche, n'étaient pas le moins du monde hypocrites, même si j'ai l'impression qu'il ne m'a pas tout dit.
Mon cavalier préféré éclate de rire, puis m'informe :
- Il n'a jamais tout dit à personne, pas même à moi. Il n'y a donc aucune raison d'être jalouse.
- Je ne suis pas jalouse, rétorqué-je en faisant mine d'être vexée. En revanche, il me semble bien avoir lu la jalousie dans votre regard quand Sa Majesté m'a invitée à danser.
- Je ne suis pas jaloux, affirme-t-il en détournant la tête. Je sais bien qu'il n'a aucune chance !
- C'est pourtant un séducteur talentueux. Il me suffit d'observer les femmes présentes ici pour deviner qu'il a bon nombre d'admiratrices.
- C'est vrai, mais vous n'êtes pas comme les autres femmes, sans compter que votre coeur est pris depuis bien longtemps, n'est-ce pas ? me demande-t-il en me couvrant d'un tendre regard.
- Oui, lui répondé-je simplement.
Bien que l'envie ne me manque pas, je n'ose lui donner un baiser devant tous ces inconnus. Cela ne semble pas le déranger, en revanche, car il se penche sur moi pour me l'offrir lui-même et je ne peux alors m'empêcher de le lui rendre.
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