Réalisation
Mes yeux s'écarquillent à l'entente de mon prénom et je sens les battements de mon coeur s'accélérer. Le roi de Forestisle semble conscient de l'effet de ses paroles sur moi, car il arbore un sourire de satisfaction. La seule chose que je parviens à dire est :
- Comment ?
- Comment ai-je découvert votre véritable identité ? C'est simple : le soir du Renouveau, vous vous êtes retirée de la salle de bal aussitôt votre danse avec le duc de Westforest terminée. J'ai trouvé cela étrange, alors, une fois ma conversation avec ce dernier achevée, je suis parti à votre recherche. J'étais sur le point de toquer à votre porte quand votre voix m'est parvenue, de l'autre côté. Je vous ai entendu prier Cérès, la déesse de Fieldisle, et j'ai aussitôt compris : la princesse Jenna, que l'on croyait morte depuis le soir de l'invasion du palais royal de Fieldisle, est venue das mon royaume sous l'identité de sa cousine, la princesse Linaë. Qu'est-elle advenue, d'ailleurs ?
J'essuie les gouttes de sueur que la panique fait perler sur mon front, prends une grande inspiration, puis lui réponds franchement :
- Elle a rendu l'âme le soir où je suis arrivée dans son château. La maladie a eu raison d'elle.
- Ses parents craignaient de voir leur alliance avec nous compromise par la mort de la fiancée de notre prince héritier, alors ils vous ont envoyée à sa place, en vous faisant passer pour elle, déduit-il.
J'acquiesce. Il commente avec un sourire amusé :
- Leur plan était ingénieux, mais votre foi persistante pour la déesse du foyer, des moissons et de la fécondité l'a fait tomber à l'eau.
Je baisse les yeux : il a raison. Mon oncle et ma tante comptaient énormément sur moi, mais je n'ai pas su répondre à leurs attentes. Enfin, d'un autre côté, je suis soulagée d'être enfin démasquée. Je peux enfin cesser d'omettre et de mentir.
- Je devrais punir Lakisle pour sa trahison, déclare mon interlocuteur sur un ton froid, en me lançant un regard glaçant. La majorité de leurs troupes sont concentrées à Fieldisle pour mener la guerre contre les révolutionnaires, leurs frontières sont donc mal protégées, je ne ferais qu'une seule bouchée de ce perfide royaume. . .
- Ce n'est pas à eux qu'il faut s'en prendre, rétorqué-je. Ce sont certes le roi Doris et la reine Jasmine qui m'ont proposé de finir ma vie sous l'identité de leur fille, mais c'est moi qui ai accepté de tenir ce rôle. Je suis responsable de cette trahison.
- Votre dévouement envers eux est admirable, mais vous châtier ne m'avancerait à rien, bien au contraire. J'ai justement besoin que notre mariage ait lieu et je vous conseille de vous plier à ma volonté, sans quoi je réduirais le royaume de votre oncle et de votre tante à l'état de ruines et de cendres recouvertes de sang. . .
Ses yeux violets brillent d'une lueur malsaine, la cruauté se lit sur son visage aux traits pourtant si parfaits et sa voix, bien que calme et posée, semble toute droit sortie des profondeurs de l'Enfer. En ce moment même, j'ai l'impression d'avoir le Diable en personne face à moi.
Cette pensée suffit à engendrer un frisson de pure terreur qui parcourt la totalité de mon corps en une fraction de seconde. J'ignore si c'est l'écarquillement de mes yeux ou les tremblements de mon corps qui me trahissent, mais l'homme à la longue chevelure châtain clair me murmure d'une voix qui se veut rassurante, en caressant délicatement ma joue :
- Chut. . . Il n'y a aucune raison d'avoir peur, car tant que vous êtes sage, je ne vous ferai aucun mal, je vous le promets.
Je recule prestement à son contact. Il n'accorde aucune attention à ma réaction et me demande :
- Alors ? Quelle est votre réponse ?
Je n'ai pas le temps de lui répondre, ni même de réfléchir, car trois coups viennent me faire sursauter et tourner la tête en direction de la porte. La voix de Calista m'adresse ces mots à travers le bois :
- Bonjour, madame. Puis-je entrer ?
Je suis si perturbée par la présence du monarque et la conversation que je viens d'avoir avec lui qu'aucun son ne peut sortir de ma gorge. Face à mon silence, la jeune femme tourne doucement la poignée et entre. En constatant que je ne suis pas seule, elle s'excuse :
- Oh, pardon. Je devrais peut-être repasser plus tard. . .
- Non, entre, lui ordonne l'autre.
Elle s'exécute et pose un plateau contenant une tasse, une assiette et des couverts sur la table de chevet, en déclarant :
- Je sais que vous n'êtes pas bien, ces derniers temps, mais il ne faut pas vous laisser aller. Je vous ai apporté une soupe bien chaude et une tisane, elles devraient vous faire du bien.
- Merci, Calista. Comment vous sentez-vous ?
Elle contemple la bague que lui a offerte Robert en silence pendant de longues secondes, puis répond :
- C'est dur, alors je me raccroche à mon travail pour ne pas penser à. . .
Elle s'interrompt et plaque sa main contre sa bouche pour contenir ses sanglots.
- Je suis désolée, dis-je en posant ma main sur mon bras pour la réconforter. Comment vont les deux autres ?
- Comme moi, elle se plonge à corps perdu dans le travail pour ne pas laisser les pensées négatives l'envahir, mais elle refuse de manger et passe ses nuits à pleurer. J'ai peur que sa santé ne finisse par se dégrader rapidement. . . Quant à lui, nous ne le voyons que rarement et il reste silencieux pendant les quelques minutes que nous passons en sa compagnie. Je crois qu'il s'isole pour pleurer, mais je ne peux rien affirmer avec certitude.
Je pousse un soupir. En clair, ils vont tous mal. La mort de mon époux et de nos amis nous affectent tous profondément. Le seul qui ne semble pas bouleversé par ce tragique événement est Éric, mais comme il est doué pour cacher ses sentiments, il est possible qu'il ne fait que dissimuler sa douleur. . . Quoique la disparition de mon mari semble finalement bien l'arranger, si j'en crois notre conversation. . . Un instant ! La mort de Mathieu tombe justement au moment idéal pour lui. Et si ce n'était pas qu'une simple coïncidence ? Et si. . .
Mes yeux s'écarquillent d'horreur lorsque je réalise ce qui s'est passé et je demande d'une voix horrifiée au roi de Forestisle :
- Qu'avez-vous fait ?
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