Le récit

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Je suis assis en face de mon épouse dans la chambre que nous occupons dans le palais. Calista finit de bander son poignet et déclare :

- C'est bon. La blessure va bientôt totalement disparaître. Nous n'en verrons plus rien.

- Merci, ma soeur.

Elle m'adresse un hochement de tête en souriant. Je constate :

- Tu étais au courant pour notre enfant. C'est pour cela que tu t'opposais à ce que ma femme se mette en danger pour venir me défendre.

- Oui. Je craignais pour elle, mais aussi et surtout pour l'enfant à naître. Il est facile de déclencher une fausse couche. Il suffit simplement d'un choc suffisamment puissant ou d'une nourriture inappropriée. Les foetus sont extrêmement fragiles. Les femmes enceintes aussi.

- Tu as entendu Calista ? demandé-je à la principale concernée. Tu devrais faire plus attention à toi et à notre petit.

Elle acquiesce, puis me questionne :

- Est-ce que tu m'en veux ?

- Pourquoi devrais-je t'en vouloir ?

- J'ai mis fin aux jours de ton frère. . .

- Au contraire : je te remercie d'avoir eu la force et le courage de le faire à ma place.

Elle m'adresse un petit sourire. Je reprends la parole :

- Tu nous dois des explications maintenant.

- Oui. Comme l'a dit et parfaitement compris Éric, je suis la princesse Jenna de Fieldisle que tout le monde croyait morte depuis des années. J'étais fiancée à ce dernier depuis ma plus tendre enfance et j'ai donc été élevée dans le but de devenir la reine idéale pour Forestisle. La reine Anna veillait à ma bonne éducation et la supervisait elle-même. En revanche, mon géniteur, le roi Lewis, ne vivait que pour profiter des plaisirs de la vie, négligeant ainsi ses devoirs familiaux, mais aussi et surtout ses devoirs de souverain. Il faisait sans cesse augmenter les impôts pour financer ses fêtes toutes plus somptueuses les unes que les autres. La population de Fieldisle, majoritairement composée de paysans et d'éleveurs, a fini par se révolter contre ce roi qui les écrasait d'impôts sans chercher à soulager leurs malheurs. Ce fut une véritable exlplosion : toute la douleur et la rancoeur qu'ils accumulaient depuis des années a éclaté d'un coup.

- C'est là qu'ils ont envahi le palais royal de Fieldisle pour se venger de toutes les injustices qu'ils subissaient depuis des années, réalisé-je.

Elle confirme mes dires d'un hochement de tête, puis poursuit :

- J'ai été réveillée en sursaut au milieu de la nuit. C'est la reine Anna en personne qui est venue me tirer de mon sommeil. Elle m'a expliqué que les insurgés étaient en train d'attaquer le palais et ses habitants et qu'il nous fallait fuir au plus vite. Je suis sortie de mon lit et elle m'a ordonné d'échanger mes vêtements avec ceux d'une servante de mon âge. J'ai obéi sans poser de questions. J'étais si abasourdie par ce qui se passait que j'étais incapable de réfléchir. Une fois l'échange fait, elle m'a fermement attrapé par la main pour m'emmener jusque dans un passage secret, mais elle ne m'a pas accompagné dedans. Elle est restée de l'autre côté du miroir et nos assaillants l'ont. . .

Sa voix se brise et des larmes perlent aux coins de ses yeux. Je m'approche d'elle et passe mes bras autour de ses épaules. J'ai tout compris : l'échange des vêtements servait à faire croire aux révolutionnaires qu'ils avaient bel et bien tué la princesse Jenna afin qu'ils ne se mettent pas en tête de la retrouver. La servante devait plus ou moins lui ressembler. Au milieu du chaos et de la confusion, aucun n'a remarqué que ce n'était pas la bonne personne. Ensuite, une fois sa fille en sécurité, la reine Anna est restée de son plein gré pour que les révolutionnaires s'emparent d'elle. Si elle était partie avec Jenna, elle l'aurait mise en danger.

La jeune femme prend de grandes inspirations pour retrouver son calme et poursuit :

- Je suis restée longtemps dans ce passage secret à pleurer jusqu'à tarir mes larmes. Ce n'est qu'ensuite que j'ai entrepris de marcher pour en atteindre l'autre bout. Quand je suis arrivée dehors, le soleil commençait déjà à se lever et les lieux étaient déserts : il ne restait plus qu'un champ de désolation et de cadavres. J'ai erré pendant longtemps, ne sachant que faire, ni où aller. J'étais seule et livrée à moi-même dans un monde que je ne connaissais pas. Je n'avais plus de parents ou de professeurs pour me guider. Je n'avais plus de domestiques pour me servir. Je n'avais plus rien. La seule chose qui me motivait à avancer malgré tout était ma volonté de faire honneur à tous ceux qui s'étaient sacrifiés pour me protéger. Je ne voulais pas que leur mort soit vaine. J'ai fini par atteindre un village où j'ai réussi à me faire embaucher dans une ferme en échange du gîte et du couvert. J'ai dû apprendre à travailler de mes propres mains. Les seuls travaux manuels que j'avais réalisés jusque là étaient l'écriture et la broderie. Ce fut difficile et ça m'a demandé énormément d'efforts, mais j'ai appris vite et bien.

- Voilà qui explique vos connaissances en travaux des champs ! s'exclame Robin.

Elle approuve encore une fois d'un hochement de tête. Je lui demande :

- Que s'est-il passé ensuite ?

- Les deux royaumes alliés de Fieldisle ont déclaré la guerre aux révolutionnaires. En apprenant que les troupes des deux armées étaient arrivées sur notre territoire, je me suis dit que c'était pour moi l'occasion idéale de me mettre définitivement en sécurité en rejoignant ma famille à Lakisle. Le soir-même, je me suis habillée en homme, ai coupé mes cheveux et suis allée rejoindre l'armée de mon oncle sous le nom de Jean.

- Pourquoi avoir pris une fausse identité s'il s'agissait d'alliés ? m'interroge Robert.

- Je ne voulais pas prendre le risque que l'information parvienne jusqu'aux oreilles de nos ennemis. C'est aux côtés de mes nouveaux camarades que j'ai appris le maniement des armes. Je me suis battue avec eux jusqu'à ce que je sois autorisée à me rendre à Lakisle pour accompagner un soldat blessé. Une fois que nous sommes arrivés et que je me suis assurée qu'il était entre de bonnes mains et qu'il allait s'en remettre, j'ai déserté l'armée pour rejoindre par moi-même le château royal. J'ai atteint ma destination en un soir pluvieux. C'était le soir de la mort de ma cousine, la princesse Linaë. . .

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