L'espoir d'un peuple
Je vois se dessiner sous mes yeux les côtes de Fieldisle. Je ne m'imaginais pas revenir un jour lorsque je les ai quittées il y a quelques années.
- Qu'est-ce que ça vous fait de revenir ici ? me demande Fidel qui ne me quitte pas d'une semelle depuis notre départ.
- C'est difficle à décrire. Je suis à la fois heureuse de retrouver ma patrie et triste à cause des mauvais souvenirs qu'elle me rappelle. Je ressens aussi une certaine appréhension à l'idée que les choses ne se passent pas comme nous le voudrions.
- Vous êtes une femme formidable et une reine exceptionnelle. Ils vous écouteront aussitôt qu'ils s'en rendront compte et ils ne pourront que le remarquer.
- Merci, Fidel, lui dis-je avec un grand sourire.
Il me le rend au moment où le bateau accoste. Nous descendons de ce dernier et sommes aussitôt accueillis sur le port par des hommes armés. La troupe d'élite chargée de ma protection s'interpose aussitôt entre eux et moi. Je les calme immédiatement :
- S'il vous plait ! Il est inutile de paniquer. Je suis certaine que ces individus ne nous veulent aucun mal et souhaitent simplement nous escorter jusqu'à la capitale où doivent avoir lieu les échanges. Est-ce que je me trompe ?
- Nous sommes en effet venus dans ce but, confirme celui qui semble être leur commandant. Nous vous prévenons toutefois que nous avons reçu l'ordre de vous abattre au moindre faux pas. Faîtes donc bien attention à vos actes et à vos paroles.
- C'est entendu.
L'homme qui m'a adressé la parole fait un simple geste de la main à ses subordonnés. Ces derniers nous encerclent et nous conduisent jusqu'à une diligence suffisamment grande pour tous nous transporter. Ils montent ensuite sur leurs chevaux et les lancent au galop.
Je parviens, malgré les secousses, à admirer les paysages de mon pays natal : les routes sont bordées de champs, sur la plupart desquels pousse du blé, ingrédient indispensable à l'alimentation de base qu'est le pain. Nous longeons également de nombreuses prairies où broutent tranquillement des vaches et des moutons.
Le jeune brun remarque l'abondance des terres agricoles :
- C'est tout le contraire de Forestisle.
- Oui. Nos forêts sont plus rares car notre économie et la subsistance du peuple reposent majoritairement sur l'agriculture.
Ce n'est que plusieurs heures plus tard que nous atteignons enfin la capitale. Les hommes chargés de notre escorte nous ouvrent la porte. Fidel se dépêche de descendre le premier pour m'offrir son aide. Je l'accepte avec plaisir et suis suivie par nos hommes. Ces derniers gardent leurs mains sur les pommeaux de leurs épées en observant les alentours avec méfiance.
Nous sommes guidés jusqu'à l'hôtel de ville. Il s'agit d'un bâtiment en pierre à l'intérieur confortable. Il est décoré avec simplicité et élégance. Nous montons un escalier en bois et sommes introduits dans une grande salle au centre de laquelle trône une table rectangulaire. Plusieurs hommes semblent nous attendre. Le maire de la ville quitte sa chaise pour nous accueillir sur un ton formel :
- Bienvenue à Cérèsoppidum.
- Merci.
- Je vous laisse vous installer, poursuit-il en nous désignant les chaises vides.
Je prends place à un bout de la table. Fidel s'assied non loin de moi. Les autres restent debout pour être prêts à agir en cas de besoin.
- Nous tenons tout d'abord à vous exprimer notre surprise de vous savoir bien en vie. Nous vous pensions morte depuis le soir de l'invasion du palais.
- Je vous avoue que j'ai moi-même du mal à croire que j'ai survécu à tout cela. . . dis-je en souriant pour tenter de détendre la tension palpable.
Il laisse échapper un petit rire nerveux et reprend :
- Cela fait maintenant trois ans qu'un cessé le feu a été signé entre nos adversaires et nous et voilà que la fille du feu roi vient nous proposer une discussion diplomatique. . .
- C'est tout à fait exact. Mon mari est parvenu à un accord de paix temporelle avec vous. J'ai ensuite pu convaincre mon oncle et ma tante d'en faire de même. Nous tenions à ce qu'aucune autre mort inutile ne se déroule.
- Pourquoi ne pas être venue nous voir immédiatement dans ce cas ? Pourquoi avoir attendu trois ans ?
- J'ai été retenue pendant tout ce temps par des affaires familiales. Je me suis cependant présentée aussi vite que je l'ai pu pour vous proposer une paix définitive.
- C'est-à-dire ?
- Je souhaite que tout conflit cesse en ce monde. J'ai autant souffert de cette guerre que vous. Il est grand temps de mettre fin à tout cela. Nous ne sommes pas obligés de nous entretuer.
- Quelle est votre solution ?
- Je sais que vous ne faîtes plus confiance à ma famille à cause des injustices dont s'est rendu coupable mon paternel. Je peux cependant vous assurer que je ne suis pas comme lui. Les habitants du duché de Westforest et même tous ceux de Forestisle en sont témoins. Je suis loin d'être parfaite, mais j'ai à coeur le bien de ceux qui vivent sous ma protection.
- Est-ce que vous êtes en train de nous proposer de devenir notre reine ? me demande mon interlocuteur sur un ton méfiant et suspicieux.
- Oui.
- Quelle honte ! s'exclame l'un des hommes présents. Nous proposer de retourner vivre sous la servitude et les injustices alors que nous avons durement gagné notre liberté !
- C'est un scandale ! lâche un autre.
- Elle n'est pas comme le roi Lewis ! rétorque Fidel en se levant brusquement. Cela fait des années que je la connais et que je suis à son service. Je n'ai jamais eu à me plaindre d'elle une seule fois ! Vivre sous ses ordres et sa protection est même la plus belle chose qui ne me soit jamais arrivée ! Je peux vous garantir que le duché de Westforest et Forestisle tout entier ne se sont jamais aussi bien portés que sous sa gérance et celle de son époux.
Je fixe le jeune homme avec des yeux brillants d'amiration et d'émotion. Je lui suis si reconnaissante de prendre ma défense avec autant de dévouement et de franchise !
- Voici justement le souci : elle est mariée à l'actuel souverain de Forestisle. Cela signifie que notre terre serait sous la domination de ceux qui hier encore étaient nos ennemis.
- Je vous ai proposé de devenir reine de Fieldisle. Je ne vous ai jamais suggéré que mon mari devienne votre roi. Il n'aura aucune responsabilité sur ce territoire. Je serais la seule à le gouverner avec votre consentement et les conseils des plus sages d'entre vous.
- Qu'adviendrait-il si jamais nous acceptions et que la mort vous emporte ? Le trône ne reviendrait-il pas de droit à votre époux ?
- Je le léguerais à ma descendance. Fieldisle resterait ainsi une nation indépendante.
- Comment nous assurer de votre bonne foi ? Comment être certains que les mêmes erreurs ne se répéteront pas ?
- Je signerais un acte affirmant que je m'engage à respecter vos droits. Nous nous mettrons d'accord sur ces derniers ensemble. Si je viole ne serait-ce que l'un d'entre eux, je serais déchue et je devrais renoncer à tous mes droits sur cette couronne. Cette solution vous convient-elle ?
Un long silence s'installe dans la salle. Chacun semble réfléchir à tout ce qui vient d'être dit. Le maire de Cérèsoppidum finit par déclarer d'une voix émue :
- Jamais je n'avais encore entendu un souverain proposer un accord entre son peuple et lui et se soucier des droits de ses sujets. Il est évident qu'elle n'est pas comme l'ancien roi.
Il adresse ces derniers mots à ses compatriotes. Ils échangent tous des regards dans lesquels ils semblent partager leurs pensées en silence.
Le maire reprend ensuite la parole :
- Nous vous laissons une chance de nous prouver votre bonne foi.
- Je vous remercie. Il va cependant falloir que je convainc le reste du peuple de m'accepter en tant que reine.
- Ils sont si las de l'instabilité politique qui secoue notre territoire depuis le début de la révolution qu'ils ne seront pas difficiles à convaincre. Ils ne rêvent plus que d'un État stable qui leur apporte ce dont ils ont besoin. Ils placeront cet espoir en vous lorsqu'ils vous entendront. Faîtes en sorte de ne pas les décevoir. . .
- Je vous le promets.
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