1 : Correspondance

4 minutes de lecture

« Nous sommes toutes des étoiles. Il suffit juste d’apprendre à briller. »

Marilyn Monroe, Fragments

Malakoff, le 30 novembre 1979

Ma Margotte adorée,

Je m’en veux de ne pas t’avoir donné de mes nouvelles plus tôt. Je sais que c’est indigne de notre amitié, seulement, j’ai des excuses… Non, tu as raison, aucune excuse n’est valable. Mea culpa !

Mais vois-tu, je croule sous un emploi du temps surchargé, ma belle. Parce que Paris… Paris me happe complètement, tu ne peux même pas imaginer à quel point ! Quand j’y pense, je me dis que je ne regrette rien. Non, je ne regrette absolument pas d’avoir tout quitté pour vivre mon rêve de petite fille. Je ne pouvais pas rester en province à errer comme une âme en peine, à fantasmer mon destin de star. Les strass et les paillettes, il me fallait les chercher là où ils se trouvent.

Parce que oui, ça y est, Margaux : j’ai enfin un rôle, un vrai grand rôle ! Je vais incarner Marie-Antoinette dans L’Autrichienne, une pièce avant-gardiste écrite et mise en scène par Stephen Crozats, mon idole. Tu sais, c’est ce réalisateur iconoclaste et controversé, celui que j’aime tant : l’auteur du magnifique long métrage Thé Noir, Thé Blanc ; ce film coup de poing dénonciateur de l’Apartheid qu’on avait vu ensemble, l’année dernière au Nemours. Eh bien, figure-toi qu’il m’a repérée alors que je donnais la réplique à l’un de ses élèves du Cours Florent – j’y ai fait une courte escale – dans une scène de Dom Juan, et que c’est là qu’il a eu l’idée de m’engager sans avoir à organiser de casting ! Il dit avoir eu un vrai coup de foudre artistique pour moi, tu te rends compte ? J’ai une chance inouïe, et je n’ai pas l’intention de la laisser passer…

Parce que oui, je le touche enfin du doigt, mon rêve : demain, c’est ma première au Théâtre Marigny. J’ai à la fois ce trac irraisonné que tu me connais, celui qui me tétanisait en classe, et cette envie irrépressible de me retrouver sur les planches, devant le public. Il y a des affiches partout dans Paris, avec mon nom écrit en lettres capitales ! C’est complètement fou, je crois que je ne réalise pas vraiment ce qui m’arrive…

Oh mon Dieu, j’aimerais tant que tu vives cette aventure à mes côtés, Margaux. Nos fous-rires et nos délires d’adolescentes me manquent. Tu me manques…

Le temps s’écoule si vite, sans que je puisse le retenir. Je ne profite de rien du tout. Du coup, je ne fais que passer dans mon logement de fortune, pour n’y dormir que quelques heures… Ce n’est pas raisonnable, je sais !

A propos, toi aussi tu m’en fais, des cachotteries ! Parce que j’ai appris pour Guillaume et toi. Mes parents se sont empressés de m’en faire la confidence ; il paraît que c’est encore secret… Je suis très heureuse pour vous deux. Ce bonheur d’être ensemble, vous le méritez. Et après ces fiançailles en catimini, le mariage bien sûr ! Bon, il est hors de question que tu choisisses quelqu’un d’autre que moi comme témoin sous prétexte que j’ai un planning de ministre. C’est une évidence, je serai toujours là pour toi. Souviens-toi de tous nos « pas sans toi ! », et de nos sempiternelles « croix de bois, croix de fer… » ! Alors s’te please, ma Margotte, communique-moi au plus vite la date de tes futures épousailles, de façon à ce que je puisse m’arranger avec Stephen.

Bon sang, ma cocotte, tu réalises ? Te voilà déjà casée alors que nous n’avons même pas vingt ans ! Il va vraiment falloir que je m’active si je ne veux pas finir Catherinette… Cela dit, le break Volvo et les marmots à venir, très peu pour moi. J’ai toujours eu d’autres aspirations, tu le sais bien. Alors que toi, c’est pas pareil : toi, t’as toujours été amoureuse de Guillaume, depuis la maternelle ; t’as toujours rêvé de faire ta vie avec lui. T’as rencontré le prince charmant, le futur père de tes enfants, sur les bancs de l’école communale, tandis que moi, mon unique vrai béguin m’a plantée à peine deux jours après m’avoir embrassée à la boum de mes quatorze printemps. Tu parles d’une love story ! Mais t’inquiète, je ne suis pas pressée pour ça, mes priorités sont ailleurs. Pour mes vingt ans, en janvier prochain, je serai sur les planches et c’est tout ce qui compte à mes yeux. Avec toi bien sûr ! Parce que même si je devais devenir riche et célèbre – ne soyons pas inutilement pessimiste –, tu seras toujours ma Margotte à moi. A jamais.

Je m’étends, je m’étends, mais en vrai, la fatigue m’habite déjà et me fait cligner des paupières. Pourtant, il n’est même pas 22 heures – je te vois venir, mais non, j’ai beau avoir deux mois de plus que toi, ce n’est pas encore la vieillesse qui me guette… Mon lit m’appelle, ma belle, et demain est un grand jour pour moi. J’espère être à la hauteur des espérances de mon mentor. Et surtout, n’oublie pas que je te souhaite le meilleur – est-ce que je t’envie ? Non, même pas en rêve ! Et promis, si j’ai l’occasion de faire un saut par chez nous, je te fais signe.

Sur ce, je t’embrasse, ma cop's.

A très bientôt.

Ta "vieille copine"

So-so

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