2 : Destins parallèles

3 minutes de lecture

« Personne ne peut se renier. Peut-être ne peut-on tout simplement pas faire tomber en se secouant toutes les influences qui ont marqué une enfance. »

Romy Schneider, évoquant sa liaison amoureuse avec Alain Delon.

Extrait du journal intime de l’actrice paru dans le livre Moi, Romy : le journal d’une vie.

Meythet (74)

le 16 mars 2008

21:30

Mes potes sont partis. Pour eux, tu n’évoques rien. Rien de plus qu’une célébrité à l’existence houleuse, mise en exergue sous les flashs des paparazzis. Une comédienne au parcours artistique plutôt osé, une poupée L’Oréal couchée sur les clichés glacés des magazines féminins. C’est cette image, de prime abord un peu floutée, qui danse devant moi. La caméra ajuste la netteté de ta silhouette, se rapproche et tourne autour de toi. Une neige artificielle volette dans une lueur blanchâtre nimbée d’obscurité. Maquillage et tenue sophistiqués, tu l’as toujours été. Une blondeur plus ou moins claire, parfois cendrée. Une coiffure alambiquée laquée d’Elnett, une épaisse chevelure dorée à peine retenue par une barrette fantaisie, un carré long ou court et dégradé. Tout dépend de l’humeur, des obligations, des rôles. Persistance rétinienne…

Mina range le bordel que mes invités ont laissé derrière eux. Ce ne sont pas réellement des amis, ils n’ont pas été comme toi, témoins impuissants de notre expulsion d’un centre de transit provisoire. Mais ils savent que tu t’es battue pour nous, les Sans-papiers de Bobigny.

En 1980, je ne foule pas encore le sol français. J’ai dix piges à peine, je joue au foot sur la terre africaine et je n’ai qu’une très vague idée de ce qu’est le théâtre ou le cinéma. Du haut de l’insolence de ta jeunesse effrontée, tu rêves de conquérir Hollywood et moi, je prie pour que ma sœur cadette puisse assister un jour de plus au lever du soleil. D’un continent à l’autre, les aspirations divergent.

Au petit matin, le soleil se lèvera sans Fatou, ses paupières se sont closes pour toujours. Treize ans plus tard, transie d’émotion et de colère, tu crieras cette insoutenable vérité :

« Les gens crèvent dans ce pays. Les gens crèvent… »

Tes mots défileront plusieurs semaines durant dans tous les médias, sur toutes les ondes radios et les écrans télévisés. Une goutte d’eau dans un océan de misère humaine. Le minot que je suis lorsque tu débutes ta carrière sous les feux de la rampe, à des milliers de kilomètres de chez moi, en prend cruellement conscience, bien plus tôt que la future star en devenir. C’est pour ma frangine que je retiens mes larmes, que je deviens un homme avant l’heure. J’ai grandi trop vite…

***

Paris. En moins de trois mois, L’Autrichienne est un triomphe, Stephen Crozats un génie du spectacle, et toi le joyau de sa couronne. Tu as les honneurs de la presse, de Jacques Chancel et son Grand Echiquier, des nuits parisiennes. Dans la constellation d’étoiles du show-business, un nouvel astre est né.

Février. Un inconnu est adossé à un réverbère de l’avenue de Marigny. Il attend que tu sortes de ta loge, s’avance vers toi d’un pas très assuré. Il est fan de l’actrice, très attiré par la femme. Il s’en dira éperdument amoureux ; la rançon de la gloire, penses-tu. Vous déambulez nonchalamment sur les pavés humides. Il t’offre une cigarette, tu l’acceptes presque innocemment. Ce grand brun drapé d’une élégance surfaite t’allume. Les volutes de fumées t’enrubannent de chimères. Paul Werner te séduit avec ses armes, sous ses dehors endimanchés de prince charmant. Et toi, tu n’y vois que du feu…

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