11 : Ego Trip
— Tu sais c’que c’est un égoïste ?
— Oui, c’est quelqu’un qui pense pas à moi !
Coluche à un élève, dans Le maître d’école (1981), long métrage réalisé par Claude Berri.
La Clusaz (74)
janvier 1986
17:30
Des traînées de cendre dans un champ de blé. Une coupe à la garçonne pour un rôle de flic. Une courte halte dans le chalet familial, une pause éphémère entre deux tournages pour vous retrouver, Paul et toi.
Les cils ourlés de mascara et les lèvres peintes par habitude. Un maquillage discret sans lequel tu te sens nue, presque vulnérable. Un jean Levi’s, un col roulé griffé, un blouson aviateur et des bottines fashion. Masculine et so sexy.
Tu es dans le vestibule, en partance pour un imminent voyage cinématographique africain. Werner se faufile derrière toi sur un air de Wagner, avec l’agilité et la discrétion du prédateur qui s’apprête à piéger sa proie. Il te surprend en voilant l’azur de tes prunelles de ses longues mains aristocratiques.
— C’est pour moi que tu t’es faite aussi belle, ma princesse ?
Tu ôtes délicatement ce bandeau d’épiderme en te tournant vers lui pour l’embrasser.
— Si tu te montres patient, tu pourras éventuellement en profiter tout à l’heure…
D’une élégance toute britannique dans son pantalon à pinces et son cardigan jeté avec flegme sur une chemise Lacoste, ses traits se crispent sans raison apparente. Il coule sur toi un regard froid comme la lame d’un couteau, d’un gris irréel mâtiné de nuances sombres.
— A l’évidence, ton amant a beaucoup de chance…
Un frisson te parcourt l’échine. Son rictus est un fard dont il enduit sa face afin de ne pas la perdre. Un simulacre d’humour pince-sans-rire pour dissimuler une jalousie excessive. Une jalousie qui n’a pas lieu d’être. Le cynisme comme leurre.
— Voyons, Paul ! Ne me dis pas que tu as oublié…
— Oublié ? Et qu’aurais-je oublié ?
— Ma soirée avec Margaux ! Le Nemours projette en avant-première le film de Patrick Jamain, Azizah, la fille du fleuve ; nous irons ensuite dîner au Sapaudia… Enfin, je t’en ai parlé hier soir ! Tu ne t’en souviens pas ?
— Permets-moi de ne pas te croire sur parole, Solenn. Parce qu’après tout, tu n’es pas à un mensonge près…
— Pardon ?
— Ne feins pas l’offense, ma chérie. Tu peux duper le spectateur à ta guise, mais pas moi. Tu n’as jamais cessé de prendre la pilule, tu me mènes en bateau depuis plus de trois mois. Tu sais pourtant combien j’en ai envie, de ce gosse…
— Tu n’entends jamais mes arguments, Paul. Je te l’ai dit, ce n’est pas le bon moment…
— Avec toi, ce n’est jamais le bon moment ! Le mariage, ce n’est pas que toi et moi. C’est la base du foyer, de la filiation. Un couple sans enfant, ça n’a pas de sens…
— Paul, ma carrière se joue maintenant, pas dans dix ans !
— Ta carrière, toujours ta carrière… Merde à la fin ! Tu n’en as que pour ton boulot !
— Mais c’est grâce à lui – et donc à moi – que tu vends tes bouquins, mon cher…
— Ah oui, suis-je bête ! C’est vrai que Madame réussit mieux que moi. Elle ne gaspille pas son temps en futilité, elle… Sauf quand elle va aider son ami Coluche pour tendre la main aux nécessiteux !
— Et en quoi ça te dérange ? J’aime apporter du réconfort à ces gens…
— Tu fais la charité à des pouilleux, moulée dans des fringues qu’ils ne pourront jamais se payer, Solenn ! Tu t’achètes une auréole, cultives ton image parce que ça fait bien d’avoir de la compassion pour son prochain. Seulement, tu ne trompes personne…
— Tout le monde n’est pas né comme toi, avec une cuillère en argent dans la bouche !
— Ça te va bien de me dire ça, toi qui n’as jamais manqué de rien ! Ton altruisme de façade, ce n’est que du vent, parce qu’au fond, tu te fous royalement des autres…
— Et toi, tu n’es pas un privilégié peut-être ?
— De faire partie de ta cour ? Oh si, sans doute… De là à avoir droit à ta considération, il n’y a qu’un pas. La seule chose que je t’ai jamais demandée, Solenn, tu me la refuses ! Mais si tu m’aimais, si tu m’aimais vraiment, tu exhausserais mon vœu.
— Paul…
Il ne t’écoute plus. Sa manœuvre te conduit exactement là où il le souhaite. Te faire culpabiliser pour que tu lui donnes cet héritier qu’il te réclame. Tu t’exécuteras par amour, tu donneras naissance à Jérémie. Un enfant de salaud, avant même que tu ne lui prêtes vie. Un enfant de salaud, oui, pas un fils de pute.
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