16 : "Ma femme est une actrice"
« Ce n’est pas un salaud, c’est un mec tout à fait normal. »
Patrick Deweare, à propos de Franck Poupart, le personnage qu’il incarne dans Série Noire (1979), long métrage réalisé par Alain Corneau.
Meythet (74)
le 17 mars 2008
En tailleur sur le lit, un tailleur gris souris me sourit.
Ma boîte à trésors transpire ton souvenir…
Un vieux paquet de Royale Menthol s’y éternise, une étole chamarrée imbibée de toi.
Ton étole.
Je la respire.
Je m’enivre de sa fragrance.
C’est stupide ?
Bien sûr que c’est stupide !
Avec les années, le parfum s’évente…
Je le respire malgré tout, je te respire malgré moi.
Ton essence, ses effluves.
La réalité n’est pas très loin…
YouTube est une source inépuisable d’archives, celles que ma mémoire voudrait brûler.
L’autre est là, suffisant dans son rôle de cador.
C’est sa première télé, et il y brillera.
Il va endormir votre vigilance et gagner ses galons d’orateur.
***
— Paul Werner, bonjour et bienvenue sur notre antenne. Si votre nom n’est pas encore très connu du grand public – excepté celui qui feuillette périodiquement la presse à scandales – il commence à se faire une place dans l’univers très fermé des penseurs qui comptent dans l’Hexagone. En effet, près de deux mois après la sortie de votre essai pamphlétaire Une France, un pays, une patrie, celui-ci excite toujours autant les passions en soulevant un vent de polémiques. Comment l’expliquez-vous ?
— Bonjour et merci de m’accueillir sur votre plateau, de m’offrir cette tribune pour défendre ce qui est injustement traîné dans la boue. Et pourtant, je ne fais qu’y distiller des vérités, celles auxquelles une large frange de la population adhère sans jamais l’avouer.
— Des vérités ? Quelles vérités ?
— Le socialisme d’État est en train de ruiner notre pays et nos concitoyens. On indemnise les boulets de la société française, ceux qui passent leur journée à ne rien faire, sur les deniers de la République et de ceux qui se lèvent tous les matins pour aller bosser.
— Est-ce à dire que vous vous érigez contre la mise en place du Revenu Minimum d’Insertion ?
— Parfaitement. Entre l’allocation chômage et le RMI, la France qui travaille se sent flouée. Et elle a raison. Évidemment que le chômage est un fléau qu’il faut enrayer, mais il existe d’autres méthodes que celle qui consiste à assister ces gens qui se complaisent dans leur situation.
— Votre réponse est pour le moins radicale…
— En quoi est-elle radicale ? Elle est pragmatique, mathématique même ! Dans les années 60, notre pays souffrait d’un déficit de main-d’œuvre. On est allé la chercher là où on sait, on lui a construit ces grands ensembles aujourd’hui tant décriés alors qu’ils étaient à la pointe de la modernité de l’époque. Seulement, les années fastes sont derrière nous, nous devons faire face à la crise de l’emploi. Et ce sont ces étrangers sans emploi que nous devons renvoyer chez eux puisque nous n’avons plus de travail à leur proposer. Ce n’est pas leur rendre service que de les faire vivre, assez mal d’ailleurs, aux crochets de la société sans aucune contrepartie.
— Dans votre livre d’ailleurs, vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère lorsque vous évoquez la question maghrébine. Vous utilisez même des termes choquants en opposant, je vous cite, « la race supérieure des blancs à celle, inférieure, des peuples de couleur ».
— Écoutez, cher monsieur, je trouve ce procès d’intention d’une extraordinaire hypocrisie. Pendant des siècles, on a conquis des territoires qui n’étaient pas les nôtres, on en a exploité les richesses, on les a colonisés, on a guerroyé pour prouver la supériorité de la civilisation chrétienne, occidentale, et d’un revers de manche, vous voudriez effacer cet héritage du passé ? Soyons sérieux ! A votre avis, pourquoi aucune personne de couleur n’occupe de poste stratégique en Europe ?
— Reconnaissez que votre propos est extrémiste ! Il a même provoqué un attentat meurtrier dirigé contre votre épouse, Solenn Avryle, en juillet dernier.
— J’ai été indigné que l’on prenne ainsi en otage la vie d’innocents. Ma femme est une artiste. Son métier est de divertir son public, de lui apporter de l’évasion, du bonheur. Elle repeint le gris de son quotidien de teintes plus chatoyantes. Qu’importe ses idéaux politiques ! Elle a évidemment une sensibilité citoyenne lorsqu’elle se rend aux urnes, mais ça relève de la vie privée. D’ailleurs, qui vous dit qu’elle partage mes opinions ? Ce n’est pas parce qu’on occupe le même lit qu’on est forcément d’accord sur tout. On n’est plus au Moyen-Age, la femme soumise au desiderata de son homme n’est plus.
***
Werner se tait.
Son habileté et sa verve me fascinent.
Il est doué, indéniablement.
C’est comme ça qu’il a conquis ses électeurs.
Et il faut que ça cesse.
Oui, il faut que quelqu’un ait les couilles de l’arrêter…
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