63 : Ce que le jour doit à la nuit
« Entendre Romy me dire "je t’aime" alors qu’elle n’est plus là, je ne peux pas… »
Alain Delon, à propos du film La piscine, réalisé par Jacques Deray en 1968, au cours d’une interview accordée au magazine Vanity Fair en juillet 2017.
L’Étoile du Lac
Route du port
Saint-Jorioz (74)
le 17 mars 2008
19:47
Dans la sacoche qui m’accompagne partout, je retrouve ton écriture.
Celle d’avant le script du biopic que Stephen consacrera à Mitch.
D’avant le scénario mort-né d’un long métrage que tu n’as jamais pu réaliser.
Celle que tu aimais apposer sur les pages blanches de ton journal intime.
Pour y coucher tes confidences, tes émotions, tes deuils.
Celui de Romy y tient une place particulière…
***
Paris, le 2 juin 1982
Je suis encore sous le choc.
Romy est partie, pour toujours…
Les images de ses obsèques défilent sur l’écran de télé et je n’en reviens pas.
Comment peut-on mourir en pleine gloire et si jeune ?
Romy, c’était toute mon enfance, mon adolescence.
C’était les affiches de ses films placardées sur les murs de ma chambre, les César de 76 ; c’était la femme et l’actrice que je rêvais d’être.
C’était Sissi bien sûr. Et Marianne, et Hélène, et Rosalie. Et Elsa, et Lina dans La passante du Sans-Souci, son dernier long métrage.
Oui, Romy était toutes ces femmes-là, toutes celles que j’aurais aimées être…
Je me souviens aussi de ce que j’ai lu sur elle : l’interview parue l’année dernière dans Stern, peu avant le décès de son fils.
Je me souviens surtout de la femme et de la mère meurtries, dénonçant dernièrement les pratiques amorales d’une certaine presse.
Je me souviens de tout ça et ça m’attriste. Ça m’attriste tellement !
On ne devrait pas mourir de ça…
***
D’autres décès te marqueront au fer rouge.
Celui de ton père bien sûr, que tu as tant de mal à verbaliser.
Celui de ton ami Harvey aussi.
Mais plus inattendu encore, celui de Coluche, pour d’autres raisons.
Tu reviendras sur cette rencontre d’importance trois ans plus tard, au cours d’une interview-confession, sans faux-semblants.
Une rencontre-phare qui a contribué à forger l’icône politique de toute une génération.
Celle que tu seras avant de tirer ta révérence à ton tour…
***
La Clusaz (74)
juin 1989
— On l’ignore souvent, mais vous avez été l’une des premières personnes à vous investir bénévolement auprès de Coluche pour Les Restos du Cœur.
— Oui… Comme tout le monde, j’avais vu Michel aux infos, à l’occasion de l’ouverture de son premier « Resto » dans le dix-neuvième arrondissement de Paris. Je ne connaissais pas personnellement l’amuseur public, je n’étais pas spécialement cliente de son humour corrosif, mais ce jour-là, je me suis dit que ce type avait eu une idée de génie, avec cette volonté très altruiste d’agir, de trouver une solution pour venir en aide aux plus démunis. Je ne suis pas restée insensible à son appel à la solidarité, j’ai décroché mon téléphone et l’ai contacté directement. Le lendemain, on avait rendez-vous autour d’un déjeuner pour en discuter et voilà, ça a commencé comme ça…
— Mais vous avez toujours souhaité être en retrait, bénévole anonyme en quelque sorte ; pour quelles raisons ?
— Je voulais avant tout être utile, au plus proche des gens. Dans l’ombre, oui, mais pas plus que tous ces bénévoles qui œuvrent en coulisse pour que Les Restos perdurent et continuent d’aider tous ceux qui en ont besoin. Et puis, c’était Michel leur porte-étendard, pas moi !
— Cela va faire trois ans que Coluche nous a quittés, quelle image gardez-vous de lui ?
— L’image d’un mec qui ne se contentait pas de dénoncer, mais qui agissait. Au-delà de l’humoriste et du grand comédien qu’il était, c’est avant tout un homme qui a marqué son époque.
— Vous le connaissiez bien ?
— Même si on s’est beaucoup croisés la dernière année de sa vie, je ne peux pas dire que nous étions proches. On évoluait chacun dans notre propre univers artistique ou personnel. Mais j’ai toujours une pensée émue pour les deux enfants qu’il a laissés derrière lui : Marius et Romain.
— Deux univers bien distincts, effectivement, puisque une grande animosité existait entre Coluche et Paul Werner, votre époux. Cela a-t-il affecté vos relations ?
— Pas vraiment, non. Ils ne se sont jamais rencontrés et leur affrontement s’est toujours cantonné à la sphère médiatique. Leurs divergences d’opinions étaient essentiellement politiques, et c’est un sujet que j’ai toujours soigneusement évité en leur présence. On fait souvent l’amalgame entre mon mari et moi, mais je suis une citoyenne à part entière, et Michel le savait. Ce n’est pas parce que Paul adhère à un parti que je cautionne forcément ses idéaux…
***
De mon côté, c’est ton décès à toi qui me blesse et imprime irrémédiablement son empreinte dans mon cœur, laminé par la douleur de t’avoir perdue à jamais.
Te regarder, t’écouter ou te lire en sachant que tu n’es plus là est la pire des épreuves pour l’homme éperdument amoureux que je suis.
Mais sans ça, je n’aurais jamais pu te survivre…
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