68 : Les "fiancés" de l’Europe
« Je l’ai aimée comme un enfant, comme un homme, comme je n’ai jamais plus aimé. Son corps était parfait et elle était ma lumière. Elle avait un grand cou pour poser des baisers et des cheveux blonds, doux, dans lesquels parfois, quand elle voulait bien, je cachais mon visage. Ses yeux me donnaient des frissons. Elle ne marchait pas, elle dansait. Un ange avec des seins comme des oiseaux. »
Bernard Giraudeau, Les dames de nage (2009)
Aéroport Otto-Lilienthal de Berlin-Tegel (Allemagne)
février 1995
Je me souviens de notre retour d’Amorgos avant ça.
D’une trop courte escale aéroportuaire, en transit pour la France.
De la salle des pas perdus, du dédale de longs couloirs où l’on se perd.
Où l’on court trop pressés, avides.
Vers quelle destination, quel vertige ?
Je ne me souviens plus exactement à quel moment, juste de la résonance de nos deux corps qui se cherchent et s’appellent dans nos silences trop las de ne pas pouvoir se l’avouer, d’un message codé de nos yeux en écho, de cette urgence de s’aimer n’importe où mais tout de suite.
Comme si nous appréhendions l’atterrissage final, comme si suspendre le temps encore quelques minutes pouvait changer durablement le cours des choses à venir, retarder l’avènement d’une réalité future qu’on préférerait ne pas avoir à affronter.
Comme si on savait…
Je me souviens d’un amour orgasmique trop furtif, dans des chiottes dénués de tout romantisme, de cette impérieuse pulsion qui nous pousse l’un contre l’autre dans l’incongruité de ces lieux.
Je me souviens de ce fruit défendu que nous nous apprêtons à mordre à dents pleines.
Je me souviens de la sauvagerie d’un coït trop brutal, sans aucune retenue, d’une trivialité affirmée, assumée, sans fausse pudeur, de la crudité de nos mots, de tes maux indicibles, de l’indécence de cette félinité presque animale qui nous anime et nous encolle à l’insipide paroi chancelante, vibrante des violents assauts que l’on se livre, assoiffés l’un de l’autre dans la trop grande brièveté de l’étreinte.
Je me souviens de ces désirs débridés, de cet instinct de luxure qui nous possède et nous a guidé là, précisément à cet endroit.
De la fulgurance du plaisir, de cette délivrance que l’on déverse autant qu’on la hurle, celle qui nous éloigne soudainement l’un de l’autre sous l’effet d’une brûlure : l’électrochoc d’une voix off annonçant l’imminence de notre prochain vol dans des haut-parleurs nous ramenant presque à la raison.
Parce qu’il est des rendez-vous qui ne se refusent pas, même si l’on n’en connaît jamais l’issue d’avance…
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