12. Les premiers pas de l’Assistant
Angel
Je regarde tous les vêtements que j’ai étalés sur le lit et me demande lesquels choisir. Elle veut que je sois plus classe ? Vraiment ? Parce que ce que j’avais ne l’était pas, peut-être ? En même temps, elle n’a pas tout à fait tort. Pour faire mes planques habituelles, pas besoin de bien s’habiller, personne ne me voyait. C’était même le but. Se cacher pour mieux surveiller. Mais là, même si je vais devoir mener mon enquête, ça ne sera pas retranché dans ma voiture que je vais le faire.
Après un tri de tout ce que j’ai et me dis qu’il va falloir que j’aille faire du shopping si je veux avoir assez de vêtements pour tenir toute une semaine. Mais bon, chaque chose en son temps. Pour ce soir, je choisis un jean noir et une chemise de la même couleur. C’est le genre de tenues que je mets pour les mariages et les fêtes. C’est simple mais efficace, je trouve. Je fais un petit passage par la salle de bain pour tailler un peu ma barbe. Quitte à faire un effort, autant ne pas faire les choses à moitié.
Lorsque je monte dans ma voiture, j’envoie un message à Morgan pour lui dire que je commence ma mission et que vu le montant du salaire versé, nous allons pouvoir être tranquilles quelques semaines. Je repense à ma brève entrevue avec la Diva. Qu’elle est belle mais qu’est-ce qu’elle peut être cassante quand elle s’y met ! Heureusement qu’elle a un cul d’enfer et un décolleté à tuer, sinon c’est clair, je serais déjà passé à autre chose. Enfin, c’est ce que je me dis car je suis surtout là pour l’argent. Je vais quand même m’abaisser à jouer la bonniche pour star gâtée, sous couvert d’une pseudo enquête sur des menaces qui ne doivent avoir de réel que l’encre qui a servi à les écrire. Donc, toute justification est bonne à prendre.
Quand je me gare à nouveau dans le petit parc devant le domaine où je vais vivre ces prochains jours, je me dis que ça va me changer de mon train de vie habituel. Il va juste falloir que je mette de l’eau dans mon vin et que je ne réagisse pas au quart de tour à toutes ses provocations. Quand je monte à nouveau les escaliers, j’ai une pensée pour Jenny qui paierait pour se retrouver à ma place et côtoyer cette actrice qu’elle n’a pu voir que dans les magazines. Moi, ça ne me fait pas grand-chose qu’elle soit célèbre, à part que c’est ce qui motive aussi ma présence. Les gens connus, ça attire toujours des fous et ça, c’est un excellent moyen pour moi de trouver du travail.
Je suis accueilli par Ellen qui a eu la gentillesse de s’occuper de moi pendant que ma nouvelle patronne engueulait son agent. J’ai bien cru qu’elle allait me foutre à la porte, mais finalement, Quinn a su trouver les mots car me voilà embauché.
— Bonsoir, me revoilà. Juste à l’heure, vous voyez. Il est dix-huit heures trente, annoncé-je tout fier.
— La ponctualité est une qualité très appréciée ici, sourit-elle en me faisant signe d’entrer. Bienvenue, Angel. Je vous fais visiter ?
— Cela va nous prendre trop de temps, non ? La patronne voulait me voir, je crois.
— Rafaela est dans sa chambre, elle ne sera pas disponible avant un petit moment. Ce n’est pas si grand que ça, vous savez, rit-elle. Je crois que le plus impressionnant, pour les nouveaux arrivants, c’est la salle télé. Après, il n’y a que cinq chambres. Je peux vous assurer qu’il y a bien plus outrancier chez les acteurs.
Je repense à mon petit studio sans salle de bain et à mon bureau exigu et me dis qu’un peu d’outrance va me faire du bien.
— Vous pouvez me montrer où je vais dormir, que je puisse y déposer mon sac ? Et après, je vous suis pour la visite.
— Eh bien, on va allier les deux. Suivez-moi, sourit-elle en s’enfonçant dans la bâtisse. Vous avez déjà vu la cuisine, le salon et la salle à manger, du coup. Près de l’escalier, vous avez la buanderie et des toilettes. On va prendre l’escalier.
Je la suis et essaie de ne pas garder la bouche ouverte devant tout ce luxe. J’ai l’impression que chaque chose est à sa place, que l’ordre règne et qu’il ne faut rien déplacer. Je me demande même si quelqu’un vit vraiment dans cette maison ou si c’est juste une vitrine pour montrer au reste du monde que les propriétaires ne manquent pas d’argent.
— Vous dormez aussi sur place dans une des chambres ? lui demandé-je.
— Oh non, ou très rarement. Je passe beaucoup de temps ici quand Rafaela n’est pas en voyage, mais j’ai mon chez-moi. Mon mari travaille aussi ici. C’est lui qui s’occupe des extérieurs et de tout ce qui touche au bricolage. Vous avez une salle de sport, ici, si des fois vous trouvez le temps…
— Vous n’avez pas l’air très convaincue que j’aurai du temps libre. Elle est si exigeante que ça, notre cheffe ?
— Elle apprécie que les choses soient bien faites. Mais c’est surtout qu’elle a beaucoup d’obligations et emmène son assistante… enfin, son assistant, pardon, partout avec elle. J’espère que vous aimez voyager, je crois qu’il y a un séjour à Paris de prévu dans quelques semaines. Bref, ici, il y a deux chambres, mais elles sont occupées par sa sœur et ses nièces quand elles viennent. A moins que vous ne vouliez un lit bébé ou une chambre pleine de jouets, on va plutôt vous installer dans la grande chambre du fond. Regardez-moi cette vue, sourit-elle en s’accoudant à la rambarde qui donne sur le salon en contrebas. Le coucher de soleil, d’ici, est superbe.
Voyager ? Elle en a de bonnes, elle. Comme si j’en avais les moyens et le temps. Et puis, Paris, bien entendu. Rien que ça. C’est beau d’être riche… Ma chambre est à l’image du reste de la maison : grande, confortable, bien décorée. Il y a de magnifiques tableaux au-dessus du lit, je suis sûr que ce sont des originaux… Je pose mon sac dans une des armoires et suis surpris de voir qu’Ellen est toujours là quand je me retourne.
— Oups, désolé, vous m’avez fait peur !
— C’est moi qui suis désolée. Je vous promets que je ne suis pas envahissante. C’est moi qui gère le linge et le ménage, donc… n’hésitez pas. Je vous laisse faire votre lit quand même, et évitez de laisser traîner des poils dans le lavabo, plaisante-t-elle en pointant ma joue du doigt. Salle de bain privative, petit balcon avec vue sur coucher de soleil, y a pire, non ?
— J’avoue. Vous savez si je dois manger avec Rafaela ou alors je dois me débrouiller ?
— Eh bien… disons que ça dépend un peu de son humeur, grimace-t-elle. Dans tous les cas, il y a toujours à manger. Si vous sentez qu’elle est un peu sur les nerfs, demandez-lui son avis, ça évitera qu’elle… Enfin… Bon, je ne dis rien, sinon vous allez vous faire une idée sans même avoir commencé à travailler pour elle.
— Elle m’a accueilli avec le sourire, je ne la trouve pas si terrible que ça.
— Le vrai sourire, ou le sourire poli de convenance ? rit-elle.
— J’ai l’impression que c’était le vrai, mais l’avenir me le dira. Je peux aller frapper chez elle pour lui demander ce qu’elle veut faire ce soir ?
— Ça, je vous le déconseille. A moins que vous ne vouliez qu’elle déchire déjà votre contrat ? On dîne d’ici trente minutes, j’imagine qu’elle descendra à ce moment-là et que vous pourrez discuter en tête-à-tête.
— Bien, je vois. Un vrai tyran, soupiré-je. Merci pour votre gentillesse, Ellen, ça devrait m’aider à affronter le dictateur qui gère cette maison.
— Gagnez sa confiance et vous aurez sans doute droit à la vraie Rafaela. Ce n’est pas chose aisée, mais… qui sait, peut-être que vous changerez d’avis à son sujet, jeune homme. A tout à l’heure, me dit-elle en tournant les talons pour sortir de la chambre.
Je range rapidement mes affaires avant d’allumer le téléphone qu’elle m’a remis. Il y a un code pin qui m’empêche d’accéder à l’historique des appels, mais j’ai plus de chance avec l’ordinateur qui s’allume et se connecte sans que je n’aie rien à taper. Je copie l’historique des recherches et des pages consultées que j’envoie à Morgan afin qu’elle puisse l’étudier et me dire s’il n’y a rien de suspect. A dix-neuf heures pile, j’ouvre ma porte et tombe nez à nez avec ma nouvelle voisine, qui s’est changée et semble s’être mise à l’aise dans une robe simple de couleur beige et sans aucun maquillage.
— Oh désolé, dis-je en faisant un pas en arrière pour lui laisser un peu plus d’espace.
— Pas de souci. Je venais vous proposer de dîner avec moi. Nous avons plein de choses à voir, et Ellen est une cuisinière en or qui bichonne les papilles. Je crois que si elle n’aimait pas tant me remettre à ma place et s’occuper de moi, elle pourrait bosser dans un étoilé.
— Je vous suis, Madame. Ravi de pouvoir découvrir cette bonne cuisine, alors.
— Appelez-moi Rafaela. Dîner dehors, c’est bon pour vous ? Autant profiter de la température clémente, me dit-elle en s’éloignant déjà.
Je n’ai pas vraiment le choix de toute façon, c’est elle qui semble prendre toutes les décisions, ici.
— C’est vrai qu’il fait bon. Vous savez ce qu’il y a au menu ? Est-ce que j’ai le droit de parler pendant le repas ? Je ne veux pas faire d’impair.
— Parler ? Pour quoi faire ? Pourquoi pas respirer, tant que vous y êtes, me rétorque-t-elle de manière tout à fait sérieuse en descendant l’escalier.
Ouh là, elle a l’air de moins bonne humeur que tout à l’heure. Ça promet pour le repas qui s’annonce compliqué à gérer. Je descends à mon tour et hume son parfum vanillé que j’apprécie particulièrement. Je passe à côté d’une salle qui ressemble à un cinéma, mais ne voulant pas être en retard, je ne m’arrête pas avant d’avoir rejoint ma cheffe à côté d’une table sur la terrasse. Je fais mine de m’étouffer avant de prendre une grande respiration.
— Je suis désolé, je ne dois pas être à la hauteur, il va falloir que vous fassiez des concessions pour que tout se passe bien. Je suis obligé de respirer, il semblerait.
— Je ne transige pas à ce sujet, désolée. Il va falloir prendre des cours d’apnée, me répond-elle avec un léger sourire qu’elle corrige immédiatement en s’asseyant.
— Bien, je note ça sur mon programme de training. Vous avez d’autres demandes pour votre assistant ?
Je m’assois en face d’elle et me dis que la chance est vraiment de mon côté. Qui aurait cru il y a peu encore que je me retrouverais ainsi à la table d’une célébrité comme elle ?
— Eh bien, faites ce que je demande et, par pitié, évitez de me coller la honte. Pas mal, cette tenue, c’est mieux, tout de même.
— J’essaie de faire ce qu’on me dit, oui. Content que ça réponde à votre niveau d’exigence. Vous croyez vraiment qu’un assistant peut vous coller la honte malgré votre beauté et votre célébrité ?
Elle récupère le saladier et se sert avant de me le tendre, gardant le silence jusqu’à ce que mon assiette soit à son tour remplie.
— La beauté ne fait pas tout, vous savez. Et j’aimerais autant que vous évitiez ce genre de remarques. Entendons-nous bien, ce n’est pas contre vous, mais peu importe l’article, le reportage, la critique, tout ce qui est à mon sujet, somme toute, est agrémenté d’une remarque sur mon physique, vous voyez ? Je suis une actrice, et on me juge comme une mannequin. C’est très désagréable de passer pour un morceau de viande au quotidien, d’être rabaissée à ça.
— Oh, ce n’est pas ce que voulais dire, vous savez ? Enfin, pas que vous êtes laide non plus, mais ce que je voulais dire, c’est qu’une femme comme vous, qui a tout, qui est intelligente et belle, qui est célèbre, ne devrait pas être touchée par ce que les gens pensent de son assistant. Bref, je m’enfonce, là, non ? Je… Bon appétit, dis-je pour mettre fin à ma gêne.
— A vous aussi. Et détrompez-vous, dans ce monde, tout est jugé, tout le temps. Et quand on vit dans un monde où l’apparence est essentielle, on a beau dire qu’on s’en fout… Mais, passons au sujet qui nous intéresse vraiment. Demain, départ huit heures pour la journée. Nous avons une bonne heure de route, ça me permettra de vous expliquer certaines choses. Shooting photo pour mon prochain film. Et puis on a un déjeuner avec les acteurs. Dans ce contexte, les assistants déjeunent entre eux et nous… Enfin, vous voyez, quoi. Quinn m’a dit que c’était votre première expérience, alors j’aime autant que vous me posiez des questions si vous ne savez pas, plutôt que de faire de la merde.
— Ce n’est pas mon genre de faire de la merde, commencé-je alors qu’Ellen arrive avec un plateau, stoppant ainsi naturellement notre discussion.
J’ai l’impression que l’arrivée de la vieille dame adoucit tout de suite les traits de Rafaela, comme si elle jouait un rôle quand elle était avec moi. C’est fou la différence. Je sais que je ne suis pas vraiment là pour faire l’assistant, mais une partie de moi a vraiment envie de bien m’occuper d’elle pour qu’un jour elle puisse m’adresser le même type de sourire qu’à sa cuisinière. En tout cas, ça montre que je prends mon travail à cœur.
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