15. Harcèlement multiple
Rafaela
Je me laisse tomber sur le canapé de la loge en soupirant et ferme les yeux quelques instants. Après un déjeuner sur le pouce avec Matthew, nous avons remis le couvert pour de nouvelles photos et la fatigue se fait sentir. J’ai mal aux jambes et je regrette d’être arrivée en chaussures à talons. Je rêve de tongs ou de me promener pieds nus pour le reste de ma vie. Si je connaissais l’imbécile qui a inventé les talons, je lui en planterais un dans l’œil. Alors, oui, c’est très esthétique, ça allonge les jambes, galbe ce qui peut l’être, mais qu’est-ce que c’est inconfortable !
La porte de la loge se referme et j’entrouvre un œil pour constater qu’Angel n’est pas resté piqué dans le studio, cette fois. Dommage pour lui pour le coup, là, j’étais seule et tranquille, j’avais mon intimité.
— Il va falloir que vous me preniez rendez-vous chez l’ostéo sur un créneau de libre dans mon planning. Et voyez aussi avec ma coiffeuse. Il faut compter trois heures et elle est à l’autre bout de la ville, par rapport à la maison. Les numéros sont dans le téléphone.
— D’accord. J’ai le droit de modifier des rendez-vous dans votre agenda ou vous ne préférez pas ? Parce que je connais un bon ostéo qui pourrait vous recevoir rapidement, mais il faudra peut-être que je bouge autre chose.
J’ouvre les yeux pour l’observer et constate qu’il est très sérieux. Il ne veut pas me proposer son coiffeur, tant qu’on y est ?
— J’ai mes habitudes. Mon ostéo, ma coiffeuse, mon esthéticienne. Et mon déjeuner du lundi midi avec ma sœur n’est absolument pas modifiable, sauf si je suis en tournage. Elle me tuerait. On peut me traiter de dragon, tant qu’on ne connaît pas ma sœur, on ne sait pas ce que c’est que la tyrannie.
Je suis sûre que Jane a bavé sur mon dos. Je les ai vus, tous les trois, papoter. Elle peut dire ce qu’elle veut, si elle en a pris pour son grade, la dernière fois, c’était pour une bonne raison. C’est elle, la maquilleuse professionnelle, pas moi. Pourtant, me coller du fard à paupière clair avec mes yeux marrons, c’était une très mauvaise idée. Tout le monde le sait. Du moins, tous ceux qui s’intéressent un minimum au make-up ou se renseignent sur Internet.
— Bien, donc je ne modifie rien, je case. Ça me va. Vous avez besoin de quelque chose, là ? Vous avez l’air fatiguée.
— Un bain et une énorme mousse au chocolat. Mais ça attendra la maison. Voyez avec Ben pour qu’il vienne nous chercher dans dix minutes à l’arrière du studio, je n’ai aucune envie d’être coincée pour signer des autographes. J’ai vu que Matthew avait posté un tweet sur le shooting. Il adore se faire mousser auprès de ses fans, mais il me fout dans la merde au passage, bougonné-je en me levant. Je me change et on rentre. Désolée, ces journées ne sont pas les plus épanouissantes possibles pour un assistant… Oh, attendez, avant d’aller voir Ben. Vous pouvez m’aider avec les boutons de cette robe ? Quelle idée de coller ça dans le dos.
— Je découvre le milieu, c’est intéressant, répond-il simplement en s’approchant de moi.
S’il le dit… Ce genre d’événements sont plutôt chiants, je dirais. Mais c’est peut-être parce que ma mère m’a fait faire mes premiers shootings alors que je n’étais qu’une gamine. Je récupère une pince dans mon sac et attache mes cheveux grossièrement en lui tournant le dos pour lui permettre de détacher cette robe sirène aussi magnifique qu’inconfortable.
Je me crispe en sentant ses mains sur ma peau et croise son regard interrogateur dans le miroir. Je l’enjoins donc à continuer d’un signe de tête et ai tout le loisir de profiter de la sensation de ses doigts qui descendent le long de ma colonne vertébrale tandis qu’il déboutonne une à une les attaches tandis que je retiens le haut de la robe contre ma poitrine. Un frisson me traverse lorsqu’il arrive au niveau de mes reins et je m’écarte un peu brusquement, surprise de ma réaction physique.
— Merci, je vais me débrouiller maintenant.
— Comme vous voulez. Je vous attends devant la porte. Appelez-moi si vous avez encore besoin d’assistance. Je vous assure que cette journée est plutôt épanouissante, ajoute-t-il en souriant avant de sortir.
Tu m’étonnes, il s’est fait draguer et n’a pas eu grand-chose à faire de son popotin. Tranquille, la vie. Et agréable à regarder, le fessier. Je me raconte n’importe quoi, il faut vraiment que j’arrête. Peut-être que je devrais inviter Tyler histoire de prendre une petite dose de plaisir et calmer mes hormones. Mais pas ce soir, je ne rêve que de calme, là. Et d’un bain.
Je me dépêche de me changer et récupère mes affaires avant de sortir de la loge. Comme prévu, Angel m’attend et je salue rapidement Matthew avant de me diriger vers l’entrée arrière où nous attend Ben. Il est au téléphone et ne tarde pas à raccrocher en nous apercevant.
— On s’arrête acheter un café à l’adresse habituelle et on rentre, Ben.
Il acquiesce et m’ouvre la portière. La voiture est garée tout près et aucun fan n’a accès à ce parking, ce qui est plutôt agréable après une journée comme celle-ci. En revanche, je peux apercevoir au loin, de l’autre côté de la barrière, une voiture à la vitre ouverte et l’objectif d’un paparazzo. Ô, joie… J’espère qu’ils comptent suivre Matt plutôt que moi, et ça vaut mieux pour leurs scoops, parce qu’ils vont s’ennuyer s’ils prennent notre suite.
— C’est quoi, ça ?
— Comment ?
Je jette un œil à Ben et récupère une enveloppe glissée sous l’essui-glace avant du SUV. Qui peut bien avoir mis ça ici ? Instinctivement, je lève les yeux et regarde autour de nous, mais il n’y a personne d’autre que le photographe qui sort du bâtiment.
— Rien, rien…
Je monte en voiture et ouvre le courrier tandis que Ben démarre déjà. Je crois que c’est encore ce fan qui semble bien accroché… et bien énervé, si j’en crois ses propos “Sache que si tu ne viens pas à moi, je tuerai tous ceux qui se retrouveraient entre nous. Tu es à moi, je suis à toi”. Wow… Il se fait carrément des films, lui. Je sens que Quinn ne va pas apprécier des masses si je lui montre ça… Peut-être que je devrais le garder pour moi, sinon il va encore m’enquiquiner pour qu’on avertisse les flics.
Je relis les mots de cet admirateur qui ne me semble pas très équilibré et sens le regard d’Angel sur moi. Je devrais lui en parler, non ? J’espère qu’il ne sera pas aussi lourd que mon agent, parce que deux contre une, ça risque de me gonfler.
— Les joies de la célébrité, grimacé-je en lui tendant finalement l’enveloppe. Je ne sais pas comment il a fait pour arriver jusqu’à la voiture, mais ce fan est un acharné.
— C’est encore le cinglé ? m’interrompt Ben en me lançant un regard à travers le rétroviseur.
Ok… En fait, ils sont déjà deux contre une. Ou trois, même. Ellen m’a dit qu’elle était à deux doigts d’appeler elle-même la police. Mais qu’est-ce qu’ils vont bien pouvoir faire ? La réponse est simple : rien. Ils s’en foutent, ils ont d’autres problèmes à gérer.
— Je crois bien, oui, soupiré-je en jetant un œil derrière nous pour constater que nous sommes suivis par au moins deux voitures de paparazzi. Bref, le sujet est clos. Concentre-toi sur la route et laisse tomber l’idée de l’arrêt pour le café, je n’ai pas envie d’être emmerdée…
— Vous voulez que je fasse quelque chose concernant ce courrier ? Ce type est fou…
Je lui lance un regard suspicieux, surprise qu'il réponde de manière aussi posée après avoir lu ça. Silla a paniqué en lisant son premier courrier de fan dans le genre.
— Quinn vous en a déjà parlé, c'est ça ? grimacé-je. Vous n'aurez qu'à le lui donner quand vous le verrez. Il n'y a rien de plus à faire.
Il ne me répond pas mais remet le courrier dans l’enveloppe avec précaution et le glisse dans la petite pochette qu’il a prise avec lui.
— Quinn m’a dit qu’il était inquiet pour vous, oui, mais rien de plus. Ce qui est surprenant, c’est que sur le parking, il n’y a pas de fan, normalement… murmure-t-il entre ses dents. Je me demande s’il y a des caméras de surveillance…
— On s'en fout. Ce serait lui donner trop d'importance et lui accorder un certain statut. Il pense déjà assez de conneries comme ça.
Je glisse les écouteurs dans les oreilles pour mettre fin à cette conversation. J'en ai marre de toujours en revenir à parler de ce type bizarre. Tout ce que je veux, c'est un semblant de tranquillité, et le seul endroit où je me sens totalement en sécurité, c'est chez moi, où j'ai fait installer tout ce qu'il faut pour ne pas avoir à m'inquiéter qu'un fou me surprenne sous la douche ou me kidnappe au beau milieu de la nuit. Je suis sûre que toute personne qui entre chez moi trouve ça ridicule, mais je m'en fiche totalement. J'ai déjà vécu ça une fois, hors de question de me retrouver à nouveau face à face avec un inconnu dans mon propre salon.
Adèle berce le reste de mon trajet et je pique même un petit somme durant quelques minutes. C'est la main d'Angel qui me secoue doucement par l'épaule qui me réveille. Et le 4x4 de Tyler garé devant la maison fout en l'air le semblant de bonne humeur que j'avais réussi à conserver.
Je sors de la voiture et monte les marches qui mènent à l'entrée en grimaçant. J'espère vraiment que Pedro, mon ostéo, sera disponible rapidement, parce que je vais finir par me casser comme un cure-dents si je continue à grimper sur des échasses au quotidien. J'entre dans la maison, me déchausse et soupire en posant les pieds à même le sol. Je sais qu'Ellen n'est plus là, et j'avais espoir d'une soirée tranquille, mais voir encore une fois Tyler avachi dans mon canapé comme s'il était chez lui me donne des envies de meurtre.
— Je n'avais pas souvenir qu'on devait se voir, ce soir, et mon assistant ne m'a pas dit que c'était le cas. Qu'est-ce que tu fais là ?
— Ah ces assistants qui ne sont au courant de rien. Je voulais juste te voir, ma chérie. C’est ce que font les gens qui s’aiment, non ?
— Heu… Oui, en effet. Les gens qui s'aiment vraiment, pas ceux qui jouent la comédie. Et Angel n'y est pour rien puisque tu devrais être chez toi et pas chez moi.
— Angel ? C’est quoi ce nom pourri ? Elle est où la petite Silla ? Je l’aimais bien, elle.
Tu m'étonnes. Je suis sûre qu'il lui a fait du rentre-dedans et je me demande même s'il ne l'a pas sautée. En soi, je m'en fous, tant que ça ne sort pas dans les médias.
— Ce qui est pourri, c'est ta visite imprévue alors que la journée a été longue. Il va falloir que tu arrêtes de venir ici comme si c'était ta maison, Tyler. On fait semblant, je te rappelle. Alors, oui, parfois on baise, mais ça s'arrête là. Si tu as besoin de me demander quelque chose, il y a ce qu'on appelle le téléphone, tu vois ? Ça t'évitera un déplacement et ça nous évitera à tous les deux les sourires factices et le pseudo attachement respectueux.
— Euh… Désolé, je ne voulais pas vous déranger, nous interrompt mon assistant qui vient de pénétrer dans la pièce. Je vais vous laisser. Appelez-moi quand vous aurez besoin de moi.
— Vous pouvez rester, Angel. Tyler va virer son cul de mon canapé et rentrer chez lui se taper sa femme de ménage. Et il va surtout arrêter de se pointer ici. Plus la peine de tenter, je préviens l'organisme de surveillance de ne plus te laisser entrer sans m'avoir appelée d'abord.
— Quoi ? Mais tu ne peux pas me virer comme ça ! On a signé un contrat, tous les deux ! s’énerve le blond.
— On a signé pour jouer le jeu en public. Tu vois un public, ici ? lui demandé-je en tournant sur moi-même. Ah ben non. Donc, oust. Chez moi, c'est mon espace, mon intimité, mon havre de paix. Appelle-moi, la prochaine fois que tu veux tirer ton coup, si je suis dans le mood, on verra ça.
— Putain, tu fais chier. Pourquoi t’es pas dans le mood ? Tu te tapes ton nouvel assistant, c’est ça ? Je te jure que je vais revoir mon agent et que les journaux vont pas te lâcher si tu me jettes comme ça.
— Elle vous a dit de partir, non ? intervient Angel en se rapprochant de Tyler. Qu’elle couche ou pas avec moi, cela ne vous regarde pas. Alors maintenant, vous partez ou c’est moi qui vous fais partir.
Tyler se redresse mais quand il se relève, il apparaît presque chétif à côté de mon assistant dont la carrure est vraiment impressionnante. Et il ne rigole pas, on dirait. Une partie de moi est soulagée qu'il s'en mêle pour que les choses ne s'enveniment pas davantage, l'autre est piquée qu'il ait pu penser que j'avais besoin d'aide.
— Je ne te jette pas en public, dans le cadre de notre contrat. Mais là, tu es en dehors du contrat. Et fais attention à ce que tu fais ou dis à mon sujet, je doute que tes petits fans apprécieraient de savoir certaines choses à ton sujet. Et comme tu te tapes ta femme de ménage, je pourrais jouer la femme trompée sans aucun souci et c'est sur toi que ça retombera. Sur ce, bon retour et bonne soirée, Ty'.
Je n'attends pas sa réponse et fais signe à Angel de me suivre jusqu'à mon bureau. Je ne regarde même pas s'il le fait, je ne sais pas vraiment si c'est immédiat, toujours est-il que nous nous retrouvons finalement en tête à tête. J'imagine qu'il doit avoir des questions, mais je n'y répondrai pas. Ce contrat est une connerie monumentale orchestrée par nos agents respectifs et je le suis depuis le début.
— Pas de commentaire sur ce qui vient de se passer, merci, soupiré-je. On voit le planning des prochains jours ensemble et je vous libère pour la soirée.
Et je vais prendre un bon bain chaud, me glisser dans mon lit avec un plateau repas et hiberner pour la soirée. À moins que je ne profite de la piscine… À voir, en tout cas, assez de boulot pour la journée.
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