19. Les huiles, essentielles mais pas suffisantes
Rafaela
Je soupire en payant mon café, le regard planté dans le miroir derrière le bar. Foutus paparazzi, ils sont venus en nombre. Je ne peux même pas faire du shopping tranquillement. Elle est belle, la vie d’actrice… Et je dois faire mine de rien. En Californie, Halle Berry, Jennifer Garner et Adele ont œuvré pour que la loi soit durcie en ce qui concerne les photos de ces vautours, mais il s’agit de l’interdiction de prendre des photos des enfants. Nous… on doit vivre avec.
— Merci, Emmy. Bonne fin de journée.
La serveuse du café où j’ai mes petites habitudes me souhaite une bonne soirée et je prends mon courage à deux mains en sortant du bâtiment. Ils reculent pour me laisser de l’espace, c’est déjà ça et ils savent que je pourrais les attaquer pour harcèlement s’ils ne me laissaient pas tranquille. Chaussée de mes larges lunettes de soleil, quelques sacs de mes emplettes au bras, je rejoins ma voiture, garée à quelques pas d’ici. Angel m’y attend, adossé contre elle, un seul paquet en main. Lui qui disait avoir des achats à faire, il semblerait que Monsieur soit très soft et se cantonne à ce qu’il avait prévu. Pas d’achats impulsifs.
Je déverrouille la voiture et range mes sacs dans le coffre avant de me mettre au volant. Je sors mon téléphone de ma poche et grimace en voyant le message d’Ellen. Quelle galère…
— Bon, eh bien, il semblerait que mes parents aient décidé de faire leur vie. Ils sont déjà à la maison… Ils me font le coup deux fois sur trois, ils arrivent la veille de ce qu’ils avaient prévu comme s’ils cherchaient à me surprendre en mauvaise posture ou… je ne sais pas. Bref… C’est bon, vous avez trouvé ce que vous vouliez ?
— Mais tout n’était pas encore prêt dans leur studio ! Je suis désolé, je pensais pouvoir terminer ce soir, me dit-il, affolé.
— Quoi ? Je… Oh non, je vous jure que s’ils s’installent dans une chambre de la maison plutôt qu’au studio, je vous vire, grommelé-je en démarrant. Oh, le cauchemar, c’est pas possible !
Je m’énerve bêtement, je sais qu’il n’y est pour rien et que mes parents n’en font qu’à leur tête, mais l’idée de les avoir constamment sur le dos me stresse d’entrée. Et puis, c’est plus facile de s’agacer contre lui que de me dire que j’aurais dû davantage anticiper leur venue.
— Je ne pouvais pas prévoir, je ne connais pas vos parents, moi, s’agace-t-il à mes côtés. Et tenez, ça, c’est pour vous, ajoute-t-il en me tendant son petit paquet. C’était pour votre stress, je crois que ça ne peut que vous aider.
— Je ne suis pas stressée. Enfin… Bon, si, marmonné-je en récupérant le paquet. Merci, mais je ne vous ai rien demandé. Si vous connaissiez mes parents, vous aussi, vous le seriez.
— Vous avez quand même l’air bien tendue tout le temps. Je me suis dit que ces petites huiles relaxantes vous feraient du bien quand vous prenez votre bain. Il suffit de vous en mettre un peu partout sur le corps et vous verrez que cela vous fera un bien fou.
Comme si des huiles essentielles allaient faire quoi que ce soit à ce stress-là. Sauf peut-être si c’est lui qui m’en enduit sur tout le corps ? Oui, je suis sûre que ce serait bien déstressant, pour le coup. Mais… non, mon cerveau délire totalement.
— Mieux vaut ça qu’un Xanax ou deux, j’imagine. Je vous fais le topo rapide de mes parents ou vous voulez découvrir les joies de leur compagnie par vous-même ?
— Si je dois vous assister aussi avec eux, il vaut mieux que je sache, oui. Enfin, sans vouloir me montrer trop curieux non plus, hein ? J’ai juste besoin de savoir ce que je dois faire pour que votre vie soit plus facile.
Il y a bien des choses qui me rendraient la vie plus facile, mais peu qu’il puisse réaliser lui-même, malheureusement.
— Pour la faire courte, mes parents sont super fiers de leur fille aînée mais… disons qu’ils sont aussi super collants. Ils considèrent que je leur dois tout. Evidemment, si je suis actrice, c’est grâce à eux. C’est sûr que c’est très équilibrant de coller leur gamine dans des concours de miss et des castings pour des séries et des films plutôt que de la mettre à l’école. J’adore mon métier, hein, mais la façon d’y arriver n’est pas idéale. Sans compter que maintenant, ils se permettent de tout critiquer. Honnêtement, les journalistes ne me font pas plus peur que ça, il suffit d’écouter mes parents pour être blindée. Des années à vouloir les rendre fiers et dès que je fais un petit pas de travers, j’en prends pour mon grade…
— Ah oui, je vois. Je pense qu’il n’y a quand même pas grand-chose à critiquer chez vous, à part parfois votre mauvais caractère, vous devriez être tranquille, répond-il sans se rendre compte qu’il vient à son tour de me critiquer.
— Mon mauvais caractère ? J’aimerais bien vous y voir, moi. Entre l’emploi du temps blindé, les paparazzi, les critiques, les fans cinglés et la famille, je peux vous assurer que votre sens de l’humour douteux et votre sourire en prendraient un coup !
Je vois qu’il se rend compte de sa boulette et, face à ma colère et mon énervement, il m’adresse un petit sourire désolé avant de se renfoncer dans son siège sans me répondre. C’est un peu dommage, je me serais bien défoulée davantage avant d’arriver à la maison. Au lieu de quoi, je me retrouve à conduire en silence en pensant aux jours qui vont suivre. Heureusement que mon planning est chargé jusqu’à vendredi soir, j’aurai au moins autre chose de prévu que de subir les remarques des parents.
Je grimace en voyant la voiture garée dans ma cour. Tout ceci est bien réel, mes parents sont là et ma vie va être toute chamboulée pendant quatre jours. Heureusement que ma sœur arrive vendredi soir et que je vais pouvoir profiter de mon neveu et mes deux nièces. En attendant, je vais devoir les supporter en solo pendant deux jours et ça risque d’être très long. Entendons-nous bien, je les aime, mes paternels, et oui, je leur dois ma carrière, mon train de vie, mon statut d’actrice. Mais ils oublient parfois comme j’ai trinqué pour ça, comme j’ai travaillé et je travaille encore. Et ils n’ont aucune idée de la pression que tout ça représente.
Je sors de la voiture et laisse Angel récupérer mes sacs dans le coffre avant de grimper les marches, suivie par mon assistant qui ne dit toujours rien. C’est Ellen qui nous accueille dès l’entrée et me lance un sourire qu’elle veut rassurant alors que de la musique latine résonne déjà dans la maison. Adieu, calme…
Je vais baisser le volume et les trouve aux fourneaux, ma belle cuisine toujours propre déjà bien investie. Ils me sourient et viennent me prendre dans leurs bras avec force, comme s’ils avaient peur que je ne me barre déjà en courant. Ou alors, ils sont tout simplement heureux de me voir ? Oui, sans doute.
— Angel, je vous présente Diego et Allyson, mes parents. Maman, Papa, mon nouvel assistant.
— Enchanté de vous rencontrer. Votre fille m’a beaucoup parlé de vous et j’avais hâte de faire votre connaissance. Vous êtes bien installés dans votre studio ? Je n’avais pas fini de tout préparer, mais je vais m’en occuper dès maintenant, si vous voulez.
— Oui, oui, enchanté, jeune homme, soupire mon père. Un nouvel assistant ? Mais où est passée Silla ? Tu l’as virée, ou elle a démissionné, celle-là ?
— La pauvre, en rajoute ma mère. Elle a dû bien déguster avec toi pour partir si vite. Monsieur, vous avez bien du courage d’avoir accepté de venir aider notre fille. J’espère que vous ferez l’affaire.
— Elle a démissionné, mais j’y ai gagné au change. La pauvre bosse pour Vic, alors ça va, pas d’inquiétude pour elle. Pourquoi vous êtes venus si tôt ?
— Oh mais ma chérie, on était impatients de te voir ! Et on se disait que ça pourrait nous rappeler de bons souvenirs si on pouvait t’accompagner à des shootings ou à un tournage. Angel, elle a quoi de prévu où on pourrait se joindre à elle ?
Je ne sais pas si je lance davantage un regard suppliant ou menaçant à Angel, toujours est-il que je prie pour qu’il ne leur propose pas de me suivre partout durant les prochains jours. Je n’y survivrais pas, c’est sûr. Et j’aurais une raison supplémentaire de mériter mon surnom de dragon.
— Oh, elle a un emploi du temps bien rempli, c’est sûr. Je crois qu’on devrait pouvoir s’arranger pour que vous la rejoigniez après-demain en début de journée pour assister à une interview avec Jerry pour son talk show, mais vu le programme de jeudi, ça risque d’être compliqué de faire plus.
Pas mal, l’assistant. Et je ne parle pas de son jean ajusté ou de son tee-shirt moulant… Il assure. Un talk-show, ils ne seront pas seuls à regarder et ne pourront ni intervenir, ni me coller la honte. Parfait.
— Vous vous souvenez que j’ai une soirée demain soir, aussi ? ajouté-je. Je vous avais dit de ne venir que vendredi soir, comme Bella, parce qu’on va peu se voir d’ici là.
— Tu vas encore à ces soirées de débauche ? Tout ce que font les gens dans ce genre de fiestas, c’est se droguer et forniquer dans tous les coins. Ce n’est pas digne de toi, ça ! s’emporte mon père. Et vous, vous la laissez faire ? lance-t-il à Angel qui ouvre de grands yeux.
— J’ai déjà un père, ça me suffit amplement. Angel n’est pas là pour ça. Et j’adore ces soirées de débauche. Rien de mieux qu’un petit rail de coke et une tournante pour repartir du bon pied.
Je souris en voyant le regard outré de mes parents. Eux et leurs clichés du showbiz… Dire qu’ils voulaient que je fasse partie de ce monde, pour au final toujours le descendre. Magnifique. Pas de coke pour moi, au pire je finirai pompette. Et les tournantes… un doux fantasme, rien de plus. Quoi que je ne sais pas si “doux” soit le mot approprié. Toujours est-il qu’il m’est déjà arrivé de ne pas rentrer seule.
— Rafaela, vous voulez que je vous laisse en famille ou vous avez encore besoin de moi ? demande Angel qui évite volontairement de répondre à mon père.
— Je vous épargne ce moment… Vous pouvez vaquer à vos occupations. Je crois que ça vaut mieux. Oh, et vous croyez que je pourrais me baigner dans un bain d’huiles essentielles ? Ce serait sans doute plus efficace, non ? souris-je.
— Je pense que vous allez en avoir besoin oui. Bipez-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit, je serai là.
J’acquiesce et l’observe se diriger vers l’escalier. Est-ce qu’il serait possible de remonter le temps de deux petites heures ? Quand mon plus gros problème, s’il en est un, c’était lui ? Ou les paparazzi ? Parce que je crois que je n’étais pas prête à retrouver mes parents, clairement. Là, j’ai juste hâte d’être à vendredi soir pour retrouver ma sœur et mes petits anges plus si petits que ça. J’en aurais presque hâte de me coltiner une journée de folie, vendredi. Bon, honnêtement, je sais que j’en rajoute, ils ne sont pas si terribles que ça, mes parents. Juste bien collants et bien jugeants. Sinon, tout roule.
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