22. Donner de sa personne
Angel
Assis dans la voiture aux côtés de Rafaela, j’ai l’impression que je suis entré dans un nouveau monde. Je ne sais pas si c’est le costume qui fait ça ou le fait d’être aux côtés d’une actrice sublime portant une robe merveilleuse, mais là, j’ai vraiment le sentiment d’être passé en division supérieure. Et je dois dire que même si ça me surprend un peu, je suis ravi d’être où je suis et heureux que l’enquête n’avance pas si vite que ça. J’ai échangé avec Quinn qui a dit que je pouvais prendre tout le temps que je voulais car je remplis par ailleurs très bien les fonctions d’assistant. Donc, même si Morgan est en train de travailler sur les centaines de courriers reçus, je profite de ce temps où je ne trouve que peu d’indices pour découvrir cet univers qui m’était inconnu. Rafaela, par contre, a l’air soucieuse.
— Vous savez, cette robe ne vous boudine vraiment pas du tout, il ne faut pas s’inquiéter.
— Maintenant que nous nous sommes vus à moitié nus et que tu m’as tripotée, on peut peut-être passer au tutoiement, non ? Enfin, un truc moins formel, quoi. Qu’est-ce que tu en penses ?
— Je t’ai tripotée, moi ? demandé-je, surpris de sa formulation. N’importe quoi ! Et oui, j’ai horreur du vouvoiement…
— Ça va, je plaisante, sourit-elle. Et pour la robe, je sais… Enfin, je vais essayer de ne pas y penser même si ma mère m’a mis cette idée en tête et que je risque de me poser la question toute la soirée… Mais, merci.
— Ta mère est horrible. Comme si toi, tu avais des kilos en trop… Franchement, tu es parfaite, comme femme. Et tu verras, ta présence à cette soirée va illuminer les échanges. D’ailleurs, attends, je vais mettre une photo de toi sur les réseaux pour faire l’appel aux dons. Tu connais le lien où on peut s’inscrire pour apporter sa pierre à l’édifice ?
— J’ai envoyé le lien à Quinn ce matin par mail, tu dois pouvoir le trouver du coup. Quant aux kilos, honnêtement, c’est plus pour le boulot que je fais gaffe. Il y a trois ans, j’ai dû en prendre plusieurs pour un rôle et je m’aimais bien quand même.
— Tu as bien raison de bien t’aimer ! Il n’y a rien à jeter !
— Je rêve ou tu me dragues ?
— Je n’oserais pas. Tu es la patronne, quand même. Mais ça ne me déplait pas d’accompagner une si belle femme que toi. Il n’y a pas de petits plaisirs dans la vie, il faut tout prendre quand ça vient et juste profiter du moment. Mais bon, voilà que je me fais philosophe. Heureusement qu’on arrive, sinon j’aurais fini par citer Shakespeare dans le texte original.
— J’aimerais tellement que le premier mot des gens quand ils parlent de moi soit autre chose que dragon, diva ou jolie, canon… Il n’y en a toujours que pour mon physique, j’espère bien être autre chose que ça, marmonne-t-elle en me prenant le téléphone des mains pour faire un selfie. Tu peux poster des photos de la soirée aussi, les fans seront contents de voir tout ce petit monde. Évite les photos de buffet, tout ça…
— Si tu veux, on peut travailler à changer un peu l’image et montrer la vraie Rafaela Lovehart en dessous de l’image ? Moi, c’est un challenge qui me tente bien.
— Et si la vraie Rafaela, c’était la connasse imbuvable, hein ? Qu’est-ce qui te fait penser que je ne suis pas ce que décrivent les médias au quotidien ?
— Eh bien, j’avoue qu’à part quelques petits éclats, tu m’as plutôt bien traité depuis mon arrivée. Je ne comprends pas ce que les autres assistants faisaient pour t’énerver avant moi. Et toutes ces actions caritatives, tu ne rechignes jamais à les faire. Ce n’est pas pour l’image du tout. Bref, je suis sûr que si mon ex pouvait te voir comme je te vois maintenant plutôt qu’à travers le prisme des médias, elle serait surprise.
Elle me sourit et ne répond pas. J’ai l’impression qu’elle se perd à nouveau dans ses pensées et je respecte son silence. Lorsque la voiture s’arrête devant la salle où se déroule l’événement, je sors et suis surpris de tous les flashes qui me mitraillent. Je fais le tour de la voiture et ouvre la portière pour Rafaela qui sort avec son sourire d’actrice, celui qu’elle réserve aux journalistes. Elle me tend la main et je l’accompagne jusqu’en haut des marches où elle se retourne alors que je me mets un peu en retrait. Elle pose pour les caméras comme si c’était la chose la plus naturelle du monde alors que je ne sais pas trop comment agir. Heureusement, elle revient vite vers moi et nous pénétrons dans la grande salle illuminée par des centaines de chandelles, donnant à la pièce une ambiance un peu particulière. Chaleureuse mais aussi mystérieuse.
Rapidement, je me retrouve séparé d’elle et vais m’installer dans un coin un peu plus sombre afin d’observer ce qu’il se passe. Ce monde est tellement différent de celui auquel je suis habitué… Toutes les femmes ont revêtu des robes qui les mettent en valeur. Les hommes sont pour la plupart en costume, avec quelques-uns qui ont joué sur l’extravagance. Le champagne et l’alcool coulent à flots, mais je me tiens à la règle que je me suis toujours donnée et qui est de ne pas boire au boulot. A moi les jus de fruits !
Je cherche des yeux Rafaela alors que je sens une main se poser sur mon épaule. C’est Claire, l’assistante de Matthew, l’acteur célèbre, qui est venue me trouver.
— Oh, bonsoir Claire. Content de te retrouver. Tu es aussi de corvée, ce soir ?
Mes yeux continuent de scanner l’assistance à la recherche de la robe rouge corail de ma patronne, mais je ne parviens pas à la localiser.
— Comment tu vas ? Tu survis toujours au Dragon ? sourit-elle en cognant son verre contre le mien.
— Oui, oui, ça va. Mon objectif, c’est de battre le record de longévité, tu sais ? Et j’arrive toujours à mes fins. Tout va bien avec la Diva. Et toi ? Il ne te martyrise pas trop, ton Apollon ?
— Oh non, glousse-t-elle. Matthew est un amour, franchement. Je me demande comment ils peuvent s’entendre, tous les deux, d’ailleurs.
Je suis son regard et découvre en effet nos deux employeurs en grande discussion avec une autre jeune femme que je ne reconnais pas. Rafaela termine une coupe et en reprend immédiatement une autre.
— Ils sont beaux, riches et célèbres tous les deux. Ils sont fait pour s’entendre, non ? demandé-je en essayant de dissimuler un peu l’amertume que je ressens à ce constat.
— Je ne sais pas… Je crois qu’ils ont besoin de gens normaux à leurs côtés pour garder les pieds sur terre. Tu te rends compte que Matthew m’a appelée la nuit dernière pour me demander de lui acheter un donut au passage, ce matin ? Comme s’il ne pouvait pas m’envoyer un message ? Il leur faut une réponse dans la seconde, c’est… épuisant, à force.
— Tu comptes faire ça longtemps, toi ? Tu y trouves toujours du plaisir ?
Je parle sans la regarder car mon attention est portée sur Rafaela qui est en train d’enchaîner sur un troisième verre et je suis surpris quand je sens Claire s’appuyer contre moi et déposer un bisou sur ma joue barbue.
— J’adore ça. Je sais qu’il y a des sacrifices à faire, mais… je me sens indispensable à sa vie, tu vois ? Il y a une vraie relation intime entre nous, de confiance, un truc qu’il ne peut y avoir qu’entre une assistante et son acteur. Bon, je dis intime, mais c’est en tout bien, tout honneur, je suis libre comme l’air, si ça t’intéresse.
Je l’observe un instant en silence et me dis que ça pourrait être plaisant de prendre un peu de bon temps avec elle. Elle est plutôt jolie, et je crois que je ne lui déplais pas.
— Je ne voudrais pas me glisser entre toi et ton acteur, tu sais. Après, il risquerait de m’en vouloir.
Je glisse cependant mon bras derrière son dos et la rapproche de moi, ce qui me permet de ne pas lui faire l’affront trop frontal de rejeter ainsi ses avances tout en me donnant l’occasion de reporter mon attention sur l’endroit où se trouve Rafaela qui semble bien pompette au vu des rires qui éclatent. Je tends l’oreille et commence à comprendre que Matthew est en train de lui proposer de faire un striptease devant tout le monde, et qu’il donnera cinq mille dollars par vêtement enlevé pour l’association qui organise l’événement.
— Je crois que ton Matthew a trop fait boire ma patronne, murmuré-je à Claire en l’entraînant avec moi vers le lieu où ils se trouvent tous les deux. Il faut qu’on intervienne avant qu’elle ne fasse de bêtises, ajouté-je alors qu’elle est déjà en train de défaire une de ses bretelles.
— Oh, elle n’a pas besoin d’être pompette pour se déshabiller, tu sais, rit-elle. Mais tu vas perdre ton pari si tu ne l’empêches pas de se ridiculiser en public !
— Oui, désolé d’interrompre notre idylle naissante, ma relation intime avec mon actrice prend le dessus. Le devoir m’appelle.
Je lui adresse un petit sourire auquel elle répond avant de reporter son attention vers la scène qui se déroule au milieu de la pièce. Rafaela est en train de négocier avec Matthew et de lui dire qu’une bretelle, c’est déjà cinq mille dollars, mais lui ne veut payer que pour les deux bretelles. Comment je vais faire pour l’arrêter sans la ridiculiser, moi ? Je suis un peu désespéré de la voir agir ainsi et regarde frénétiquement autour de moi pour avoir une idée de diversion. Les applaudissements et les encouragements commencent à se faire plus fort, ce qui semble combler ma patronne vraiment bien saoule. Désespéré, je fais le seul truc qui me vient en tête. J’attrape un plateau rempli de verres et le balance de l’autre côté de la table avant de vite reculer pour ne pas me faire surprendre. Le bruit capte l’attention de tout le monde et j’en profite pour me faufiler entre les convives et attraper Rafaela par le bras. Je ne lui laisse pas le choix et l’entraîne à ma suite loin du centre de la pièce, jusqu’à la porte d’entrée où elle parvient enfin à me stopper.
— Désolé, Patronne, mais ça allait déraper, là, dis-je en rattachant la bretelle qu’elle était parvenue à défaire.
— Mais… c’est pour la bonne cause, glousse-t-elle. Laisse-moi y retourner !
— Tu veux vraiment te mettre toute nue devant tous ces acteurs et faire la une des magazines people demain pour ton manque de retenue ? Je ne peux pas te laisser faire ça… Au pire, si tu veux qu’ils aient de l’argent, tu n’as qu’à leur faire un don toi-même sans te ridiculiser, la tancé-je en l’entraînant à nouveau derrière moi vers la sortie.
— Non, non, je ne peux pas déjà partir, Angel, arrête-toi ! Il est trop tôt ! Et tous ces gens m’ont déjà vue à poil, au cinéma ou sur le net, qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ?
— Tu es bourrée, Rafaela. Si je te laisse faire, demain, tu t’en voudras. Je sais que tu vaux mieux que ça, alors viens avec moi, s'il te plaît.
J’espère que l’air frais va un peu refroidir ses ardeurs et j’envoie un message à Ben pour qu’il vienne rapidement nous retrouver. Je ne suis pas sûr de pouvoir l’empêcher d’y retourner si l’attente dure trop. Heureusement que les paparazzi ne sont pas dans le coin. A cette heure-ci, ils doivent tous être en train de se réchauffer dans leur voiture et ne s’attendent sûrement pas que quelqu’un quitte la soirée aussi rapidement.
— Mais je ne suis pas bourrée, geint-elle en enlevant ses chaussures après avoir vacillé, j’ai un coup dans le nez, c’est tout. Ça va vite passer, je suis sûre !
— Et pourquoi tu enlèves tes chaussures ? Tu fais n’importe quoi, là. Je te ramène à la maison, et tu pourras m’engueuler demain, tout ce que tu voudras si tu penses que je suis en train de faire une connerie. Mais là, tu as plus qu’un coup dans le nez, je t’assure !
— T’as déjà essayé de marcher avec douze centimètres de talon et un coup dans le nez ? pouffe-t-elle en s’appuyant contre moi. Je t’assuuuure que c’est la merde, moi.
— Donne-les moi, je vais m’assurer que tu ne les perdes pas, dis-je en les récupérant. Regarde, voilà Ben qui arrive avec la voiture, on va pouvoir rentrer. Allez, monte, ça vaut mieux, je pense.
— T’es pire que ma mère et mon père réunis, c’est dingue, grommelle-t-elle. Mais plus mignon, quand même.
— Plus mignon ? Heureusement ! Attends, je t’aide pour attacher ta ceinture.
Je me penche sur elle pour attraper la boucle mais quand j’essaie de me redresser, elle écrase ma tête sur sa poitrine en riant aux éclats.
— Petit coquin, t’en profites, hein ? ricane-t-elle. Mon dieu, je fais n’importe quoi, là, non ? Ça faisait longtemps que je n’avais pas autant apprécié une soirée et toi tu me fais rentrer, t’es nul !
— Oui, je sais que je suis nul. Tu pourras me virer demain, mais au moins, tu ne feras pas la une de la presse à scandale avec une réputation d’ivrogne qui ne tient pas l’alcool, répliqué-je en me dégageant et en l’attachant. Vas-y, Ben, c’est bon. On peut rentrer. Et content de t’avoir rencontré, je crois que demain, je suis bon pour tirer ma révérence.
Ou à continuer mon enquête à distance, parce que là, vu le regard noir qu’elle me lance, je crois que c’est foutu pour mon contrat d’assistant. Heureusement qu’elle sombre rapidement dans une sorte de coma qui m’arrange bien car j’avoue que je vis mal cette colère qu’elle éprouve à mon égard. Je suis sûr d’avoir raison et de faire ce qui est bien pour elle, mais pas sûr qu’elle me pardonne de l’avoir ainsi forcée à partir de la soirée. Quand on arrive à la maison, elle ne se réveille pas. Ben et moi la détachons et nous la portons tous les deux jusqu’à sa chambre. Une fois encore, la chance est avec nous et nous ne croisons qu’Ellen sur le chemin qui nous accompagne jusqu’à la chambre de Rafaela où nous la laissons s’occuper de notre patronne. Je pense que la seule chose positive de cette soirée, c’est qu’elle a dit que j’étais mignon. Il faut savoir se contenter de peu pour être heureux, non ?
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