23. L'horreur du lendemain
Rafaela
Nom de… Mais qu’est-ce qui m’a pris de boire comme ça ? J’ai l’impression d’avoir une épée plantée dans le crâne. Une horreur. Et comment j’ai atterri dans mon lit ? Et… Mon Dieu, mais qui m’a déshabillée ?
Je me tourne dans mon lit en grimaçant et referme brusquement les yeux en me prenant les rayons du soleil levant dans les yeux. Wow… La journée va être longue. Très longue, même. Heureusement que Bella arrive avec les enfants ce soir, cela va au moins m’aider à supporter mes obligations successives.
— Ah, tu es réveillée.
Ma première envie est de ronchonner. C’est Ellen qui a dû me réveiller en frappant à la porte. Mais l’odeur du café et la douceur de sa voix me tirent un sourire, qui doit plutôt paraître une grimace, si j’en crois le rire qui la prend.
— Toi qui en as marre qu’on te qualifie de belle femme, je peux t’assurer que ce matin, tu fais peur.
— J’ai un gros black-out, là… Il s’est passé quoi, au juste ?
— Angel ! crie-t-elle, me faisant geindre vu la douleur qui pointe dans mon crâne.
— Non, mais non ! Tu ne vas pas le faire venir mainte…
Trop tard, je l’aperçois du coin de l’œil et ai juste le temps de remettre mon drap sur ma tête pour éviter qu’il ne voie les dégâts.
— Qui m’a déshabillée ? bougonné-je.
— C’est moi, voyons, me répond Ellen, un sourire dans la voix. Pas de panique. Mais… tu étais dans un sale état, ma Puce. Qu’est-ce qui t’a pris de boire autant ?
— J’en sais rien, marmonné-je. Je discutais avec Matthew, on rigolait bien, et il me donnait un verre dès que… Ouais, il a cherché à me saouler, quoi. Oh. Mon. Dieu.
Je n’ai pas fait ça, quand même ? Non, c’est impossible… Ce n’est pas moi, ça. Ou peut-être que c’est la “moi” en manque d’orgasmes ? Oh non, j’ai dû halluciner, hein ? Je n’ai quand même pas collé le visage d’Angel… Oh là là là là !
— Je vais prendre une douche.
Je me lève rapidement et file à la salle de bain, drap sur les épaules, en tentant de passer outre la nausée qui me prend et la tête qui tourne. Plus jamais je ne boirai à ce point, c’est hors de question. Et il va entendre parler du pays, Matthew. Pourquoi je n’ai pas refusé les verres ? Du grand n’importe quoi. Aussi moche que ma tête de panda échevelé, d’ailleurs. Si Ellen m’a enlevé ma robe, elle a oublié la phase de démaquillage. Oh, je ne lui en veux pas, elle est déjà bien mignonne de m’avoir mise au lit.
J’ôte les restes de mon make-up et file prendre une bonne douche histoire de tenter de retrouver une contenance. Lorsque je descends, tasse de café tiède à la main et en jogging, j’ai le déplaisir de trouver mes parents attablés au bar de la cuisine pour petit-déjeuner. Ellen dépose du pain grillé dans une assiette qu’elle me tend et je m’assieds entre mon père et Angel alors que ce dernier m’observe.
— Eh oui, la star n’a plus rien de glorieux et magnifique sans ses belles robes et son maquillage, soupiré-je.
Je me rends compte que c’est la première fois que je ne fais pas l’effort de m’apprêter avant de descendre, et qu’il a finalement devant lui la vraie Rafaela. Bien loin des shootings photos, des interviews et autres obligations professionnelles.
— Tu remarqueras que je ne dis rien, persifle ma mère, mais j'avais raison. Heureusement que ton assistant t'a ramenée avant que tu ne commettes l'irréparable !
— Qu’est-ce que tu sais de la soirée, au juste ? Angel, tu lui as raconté ? m’égosillé-je en me tournant vers mon assistant.
— N'embête pas ce pauvre Angel, voyons. Je vous ai vus rentrer hier et il m'a juste dit qu'il avait géré. Je n'ai rien réussi à tirer de lui, mais franchement, tu abuses.
— Je n'ai en effet rien dit, ajoute doucement le beau brun qui a l'air en forme, contrairement à moi. J'ai déjà assez bravé tes ordres hier soir pour en rajouter ce matin. Tu me dis quand tu souhaites que je rassemble mes affaires et je verrai avec Quinn pour les questions administratives.
— Hein ? Mais… Non, laisse tomber cette idée, soupiré-je en plongeant mon nez dans ma tasse. Je crois que mon niveau de connerie a atteint son summum hier soir…
— Tu peux le dire, ça, en remet une couche ma mère. Tu sais que des carrières ont été brisées pour moins que ça ? Franchement, tous ces efforts qu'on a faits pour toi pour en arriver là…
— Bibiche, s'il te plait, n'en rajoute pas. Tu vois bien que Rafie n'est pas en forme. La pauvre… Ça ne va pas être facile, l'interview. Heureusement qu'ils ont de bonnes maquilleuses.
Rafie va surtout vriller si sa mère continue comme ça… Rafie en a marre que même dans son cercle familial, on la juge constamment. Rafie est crevée et a la gueule de bois. Et Rafie en arrive à penser à la troisième personne, ça promet… Moi qui pensais que mon père venait à ma rescousse, je me prends une petite punchline quand même. Magique.
— Bien je vous remercie pour toute cette considération à propos de mon image, mais je suis une grande fille. Je fais ce que je veux de ma vie, en fait, et personne n’est parfait. Vous ne voyez que le beau d’Hollywood, vous, et absolument pas les coulisses, vous ne savez rien de ma vie, en fait. Et si ce beau Hollywood n’était pas si attaché au paraître, je pourrais sortir sans honte avec ma tronche fatiguée.
Est-ce que j’ajoute quelque chose sur la possible fin de carrière pour moins que ça ? Je ne suis pas loin, mais je me retiendrai de tout commentaire sur des violeurs qui continuent leur carrière dans le cinéma sans souci. Hollywood pardonne tout, apparemment.
— Moi, je te trouve toujours jolie, intervient Ellen qui ramène du jus de fruits. Même fatiguée, tu fais tourner les têtes, ma chérie. En plus, ça te rend plus humaine, plus proche de tes fans, c'est pas plus mal. Et Angel a l'air d'accord aussi. Qu'il est mignon quand il rougit, le barbu !
— Ne vous entichez pas trop d'elle, mon petit. Si elle continue comme ça, elle n'aura bientôt plus les moyens de s'offrir vos services.
— Ne vous inquiétez pas pour moi, Madame. Votre fille assure. Je suis sûr que l'interview va être excellente et que ce ne sont pas quelques verres de champagne qui vont remettre en cause son talent. D'ailleurs, qui vous dit qu'elle n'a pas organisé tout ça pour avoir des éléments afin de mieux jouer son prochain rôle de mégère jalouse de la réussite de son amie ? demande-t-il, l'air de rien.
Je lui jette un coup d’œil en me demandant ce qu’il raconte. Mon cerveau a du mal à émerger, ce matin, et est plus prompt à l’engueulade qu’à la discussion, même si je trouve que je suis plutôt patiente avec ma mère. J’avoue que mon seul objectif, là, c’est de tenir le coup jusqu’à ce soir et que ma sœur et ses enfants n’arrivent pas dans un climat de guerre froide.
— Peut-être qu’on pourrait arrêter de charger la mule pour ce matin, non ? Je crois que j’en ai suffisamment pris pour mon grade. Votre fille n’est pas parfaite, sacrilège. C’est la vie. On accepte et on passe à autre chose ?
— Tu as raison, ma fille. D'ailleurs, pour revenir à l'interview, tu crois que tu pourras demander à Jerry s'il est d'accord pour faire une photo avec nous trois ? Tu sais que nous sommes fans !
— Oui, bien sûr. Je verrai ça. Je vais aller bosser un peu dans mon bureau. Tu me rejoins quand tu as fini de déjeuner, Angel ?
— J'arrive dans cinq minutes, oui.
Parfait. Je me lève et vais mettre mon assiette au lave-vaisselle avant d’embarquer ma tasse, ravitaillée par Ellen, jusque dans mon bureau. Je me laisse tomber sur le canapé en baillant et ferme les yeux en espérant vainement que le tambour dans mon crâne se calme et que mes parents deviennent juste fiers de leur fille. C’est trop demander, non ? Il semblerait qu’ils soient tout simplement incapables de se satisfaire de ce que j’ai fait.
Il faut que je me sorte tout ça de la tête, mais quand c’est le cas, c’est mon comportement d’hier soir avec Angel qui me revient en mémoire. Du grand n’importe quoi. J’ai tellement honte… Mais hors de question de revenir là-dessus avec lui, hein ? Je crois que mon ego n’y survivrait pas. Il vaut mieux faire comme si rien ne s’était passé.
Je me redresse lorsque j’entends la porte s’ouvrir et vois mon assistant me chercher dans la pièce avant de venir s’installer dans le canapé en face du mien, un sourire aux lèvres.
— Je rêve ou tu te moques de moi ? lui demandé-je en me redressant pour m’asseoir.
— Non, non, tu as juste l’air au bout de ta vie. Et puis, je souris aussi parce que je suis content de toujours avoir le boulot. J’ai vraiment cru que tu allais te débarrasser de moi.
— Le Dragon est cruel, mais honnête. Merci pour hier soir, grimacé-je. J’ai dû être imbuvable.
— Disons qu’il vaut mieux que tu ne boives pas autant. Tu voulais bosser sur quoi ? Pas trop mal à la tête pour discuter ? Ça peut attendre, tu sais.
— Je voulais surtout m’éloigner des ondes négatives de la cuisine… Et voir le planning de la semaine prochaine. J’ai vraiment envie de décrocher du boulot pour le weekend, sauf pour mon texte. Et je voudrais voir avec toi ton plan pour “améliorer l’image de Rafaela”... Moins dragon, moins Diva… Plus moi. C’est bien de ça que tu parlais hier soir ?
— Oui, je te côtoie depuis quelques jours et je trouve que l’image du Dragon est une construction que tu utilises pour te protéger, mais qu’elle est loin de la réalité. On peut développer un plan de communication pour donner de toi une nouvelle image en insistant sur le côté engagé, le côté féministe. Faire quelques mises en scènes, des interviews bien préparées. Tu peux commencer dès ce matin d’ailleurs. Je suis sûr que Jerry adorerait t’entendre prendre la défense des actrices victimes de harcèlement ou de viol.
— La dernière fois que j’ai fait ça, on m’a presque clairement répondu “sois belle et tais-toi”, tu sais ?
— Eh bien, tu pourras répondre à ça que justement, parce que tu es belle, tu as ton mot à dire, parce que tu n’es pas qu’un physique !
— Si tu le dis… Bon, et donc, la semaine prochaine ? Pas trop chargée, j’espère ?
— A toi de me dire. Pour l’instant, il n’y a pas grand-chose, tu voulais du temps pour apprendre ton texte pour le prochain film. Je peux remplir ou laisser comme ça, c’est toi qui décides.
— J’espère que mes parents vont repartir dimanche, ou lundi matin au plus tard… J’aimerais au moins une demi-journée de libre par jour, histoire de vraiment pouvoir me plonger dans le texte sur la semaine et bien avancer. Et Tyler me harcèle de messages… Tu pourrais voir avec son assistante pour nous caler un rendez-vous ? Un déjeuner… Histoire qu’il y ait quelques photos de faites.
— Juste le déjeuner ou je prévois toute l’après-midi après ?
Je soupire en me disant que le plus sérieux serait un déjeuner, l’après-midi et même un retour ici, mais… J’en ai marre de jouer la comédie même dans ma vie. J’ai de plus en plus de mal à supporter Tyler, et ces rumeurs de grossesse n’arrangent rien. Vivement que le papier du Nearer sorte pour qu’elles s’arrêtent enfin.
— Après-midi avec, il faut bien respecter ce foutu contrat, marmonné-je en me rallongeant sur le canapé. Je crois que c’est tout, de mon côté.
— Bien, je note. Je passe te réveiller dans dix minutes pour aller à l’interview ?
— S’il te plaît.
Je lui lance un sourire en espérant qu’il ne ressemble pas trop à une grimace et tire la couverture du dossier pour la poser sur mon visage. Visage…
— Laisse tomber, il faut que je monte me coller du fond de teint sur le visage, sinon en plus des rumeurs de grossesse, on va me dire malade, grimacé-je en me levant. Les joies de notre société.
Je soupire et quitte le bureau pour rejoindre ma chambre. Mon lit me fait de l’œil et une partie de moi rêverait d’avoir la possibilité de se glisser à nouveau sous la couette pour y passer la journée… Malheureusement, la journée va être chargée avant de pouvoir retrouver la maison et ma sœur, mes nièces, mon neveu… Et elle va passer d’autant plus lentement que la fin de journée qui m’attend me fait grandement envie. Ah, les aléas de la vie d’artiste…
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