Saone avait été braqué assez gravement, ce qui l’avait amené à se méfier des ordres en eux-mêmes. Avec un peu de travail pour le remettre en confiance, il n’irait plus à l’affrontement avec les Dominants et les relations pourraient revenir pacifiques. Il avait néanmoins conseillé à Anatia de le retirer des prêts et de le garder à son service pour quelques semaines au moins avant de planifier et d’assister à des séances plus classiques. La confiance était dure à remettre en place et facile à briser.

Le second soumis qu’on lui amena était bien moins intéressant à ses yeux. Il était tout ce qu’il n’aimait pas, un regard sournois, une bouche pincée, une obéissance feinte. Bien-sûr qu’il n’arrivait pas à plonger dans son espace, il était tout le temps dans la gestion de la situation.

- Tanis ?
- Oui, maître.
- Ferme les yeux.

Arkes se leva, saisit l’un des outils qui pendait au mur derrière lui, un simple foulard qu’il noua autour de ses yeux puis sans dire un mot, il commença à déplacer le soumis à travers la pièce, le faisant tourner et retourner dans tous les sens.

- À genou.

Le soumis obéit bien sûr, mais lorsque le Dominant s’éloigna il put le voir se contracter de plus en plus. Il semblait détester la perte de contrôle qu’il devait effectivement ressentir. Au bout d’un très long moment, Tanis demanda d’une petite voix crispée :

- Maître ?
- Tu n’as le droit qu’à l’un de tes trois mots. Dans quel état es-tu ?
- Cristal.
- Très bien, alors tais-toi.

Arkes s’était rassis sur son fauteuil et il attendait. La séance allait être longue, mais il devait amener le soumis à abandonner. Il ne maîtrisait rien puisqu’il n’y aurait rien à maîtriser, juste une longue attente. Et il ne saurait rien de ses envies, de comment le satisfaire ou même d’où il se trouvait. Autant de leviers que le soumis aimait habituellement utiliser et qu’il n’avait plus à disposition.

Vers la fin de la séance, Tanis était totalement détendu, il semblait presque avoir oublié ce qu’il faisait là. Lorsque Arkes posa sa main chaude sur son dos gelé, il ne sursauta même pas.

- Tanis, qui décide ici ?
- Vous, maître.
- Oui. C’est la seule leçon que tu dois retenir. Le Dominant décide. Comment te sens-tu ?
- Cristal, maître.
- Je vais te redonner à ton maître et je vais lui dire de te faire des choses que tu n’aimes pas. Qu’en penses-tu ?

Tanis sembla se détendre un peu plus encore et murmura :

- Vous décidez, maître.

Arkes se redressa vers le maître du garçon qu’il avait fait rentrer depuis un moment déjà et qui observait, sévèrement la scène.

- Je crois savoir que Maître Jensen prodigue des cours de shibari plusieurs fois par semaine dans l’immeuble d’en face. Trois séances par semaine au minimum. Contentions longues uniquement. Si vous ne voulez pas les faire, donnez-le en entraînement.

À ses pieds, le soumis ne frémit même pas, acceptant totalement le choix de ce dominant. Pas parce que c’était le mieux pour lui, mais simplement parce qu’à un moment donné, il s’était perdu dans son esprit.

- Vous me conseillez des privations sensorielles ?
- Non. Vous le briseriez.

Arkes saisit l’épaule du soumis et lui murmura de ramper jusqu’à son maître, il l’aida en le guidant et observant le soumis trembler contre les jambes du Dominant lorsqu’il le trouva enfin.

- Je le prendrais pour deux autres séances, mais uniquement si la pratique du shibari ne suffit pas à résoudre vos problèmes.
- Merci.

***

Il était épuisé lorsque vint enfin le moment de s’occuper de son propre soumis potentiel. Oh il n’avait pas à faire une véritable séance, mais il fallait l’évaluer pour décider s’il faudrait d’autres rendez-vous ou pas. C’était le seul dossier qu’il avait conservé, alors il avait mis certains espoirs dans cette rencontre. Lorsque Maîtresse Anatia le lui emmena, il se prit à le détailler avec une gourmandise rare. C’était tout à fait son type. Grand, des yeux bleus comme un ciel nocturne, un air sûr de lui qui renfermait pourtant une part de fragilité, blond d’une de ces couleurs très claires comme un sable blanc et une musculature fine qui se devinait sous ses vêtements. Aucun dossier n’était parfait pourtant et Arkes en avait parfaitement conscience. On lui avait décrit le soumis comme un coureur de jupons, se satisfaisant mal d’un seul et unique Dominant, ce qui n’était pas forcément un souci car dans le cadre de son travail, il pourrait être amené à prêter son soumis à d’autres.

- Bonsoir.
- Maître.

Le soumis baissa les yeux, humblement, puis les releva tout en se passant la langue sur les lèvres avec un air glouton. Première erreur, cette avidité qu’il voyait n’avait rien de plaisant en soi. À cet instant-là, son expérience lui souffla que le tempo des erreurs serait rapide, bien plus qu’il ne pourrait le tolérer même avec toute la bonne volonté du monde, mais il se reprit. Il devait lui accorder une véritable chance et s’il devait rejeter son dossier, que ce soit pour une faute grave et pas pour un simple regard.

- Je suis ravi de vous rencontrer enfin. Murmura le soumis avec une attitude faussement timide.

Il s’appelait Andreï, il était expérimenté et Arkes le savait sûr de lui. Ce faux-semblant lui déplut, mais il ne pouvait pas le reprocher au soumis qui avait au moins le mérite d’essayer de lui convenir.

- J’espère que tu as fait bonne route.
- Oui, merci. Maîtresse Laira est venue me chercher. Le quartier n’est pas sûr.

Oui, effectivement, ils étaient dans une zone connue pour les rapts et les vols de soumis.

- Je la remercierai. Qu’est-ce qui t’amène à rechercher un contrat avec un Dominant tel que moi ?

Le soumis hésita et leva à nouveau les yeux vers lui, puis se mordilla la lèvre dans une attitude obscène avant de susurrer :

- Oh, mais tout les soumis rêvent d’un Dominant tel que vous.

Andreï s’approcha en ondulant des hanches avec un air prédateur qu’Arkes eut immédiatement envie d’effacer de son visage. C’était une autre erreur, grave à ses yeux, mais parfois les soumis ne révélaient leurs potentiels qu’au sein des séances, s’abandonnant enfin. Et les erreurs hors séances pouvaient se corriger parfois en discutant à peine quelques secondes. Arkes tentait de se résonner, mais une partie de lui-même avait déjà pris sa décision. Malgré tout, il demanda :

- Tu sais que je suis adepte de Discipline ?
- Oui, maître.
- Bien, j’aimerais te tester alors.

À nouveau ce regard enjôleur qui l’insupportait tant se posa sur lui, accompagné d’un sourire des plus charmants.

- Agenouille-toi pour moi.

Le soumis se mit immédiatement en position. Son temps de réaction était bon et la posture exacte qu’il prit pouvait être celle attendue par un Maître en Discipline tel que lui. Genoux joints, mains sagement posées sur les jambes, dos droit. Arkes l’observa un long moment, mettant la patience du soumis à rude épreuve, mais Andreï était étonnamment obéissant. Il était totalement présent, très loin de partir dans une transe de soumission, mais à ce stade-là, l’inverse aurait été surprenant.

- Rampe.

Andreï rampa, avançant à quatre pattes tout en tortillant des fesses. Lentement, il définit une nouvelle trajectoire pour que son maître puisse l’admirer, il modifia son allure et puis vint se frotter contre sa jambe. Une attitude plaisante pour bien des personnes, mais pas spécialement pour Arkes. Si c’était le soumis qui définissait quoi faire, alors son rôle n’avait plus aucun sens. À titre d’essai, il tendit la main sans un mot et observa Andreï se redresser pour se frotter contre elle en ronronnant presque. Il écarta à peine les jambes et le soumis se glissa entre elles sans un mot pour venir défaire les boutons de son pantalon, visiblement pour lui offrir une fellation. Il ne faisait pas que répondre à la gestuelle, il était sûr de savoir.

- Qu’est-ce que je t’ai demandé ?

Andreï se figea un instant, hésitant, puis fit un piètre sourire et répondit :

- D’être votre soumis ?
- Non. Je t’ai demandé de ramper. Puis-je savoir ce que tu es en train de faire ?

Le soumis offrit un nouveau sourire et murmura tout en se frottant à sa jambe dans une attitude délicieuse.

- Je vous offre ce que vous voulez.
- D’accord. Nous ne sommes pas compatibles. Tu peux repartir.
- Hein ? Quoi ? Non ! Non, attendez, je peux faire mieux. Je suis désolé si j’ai fait quelque chose qui vous a déplu, mais je peux apprendre.
- Ça suffit Andreï. Mets-toi à genoux devant moi.

Le soumis obéit, mais son air profondément choqué ne le quitta pas un instant.

- Si tu le demandes, je te fournirais une évaluation succincte par écrit. Tu es un bon soumis, tu désires plaire et satisfaire. Tu seras parfait pour un Dominant désirant jouer, taquiner et baiser, je n’en doute pas un instant. Seulement, tu n’es pas fait pour la Discipline et il te faut un Maître plus… laxiste que moi.
- Il n’y a personne. Les Dominants ne veulent pas partager. S’il vous plaît… On m’a dit que ça ne serait pas un problème pour vous. Je peux apprendre à obéir comme vous le désirez. Je serais sage.
- J’ai dit que nous ne sommes pas compatibles et le simple fait que tu insistes le prouve encore plus. Tu ne peux pas me convaincre, mais j’espère que tu trouveras la personne idéale.

Sans rajouter quoique ce soit, Arkes sortit pour demander à ce que l’un des Dominants présents ramène le garçon à son club contre une petite rétribution. Ce ne serait pas lui, toujours pas, et Arkes ne pouvait que s’en sentir des plus déçus. Il observa Andreï repartir avec un air si défait qu’il en fut touché car ce qu’il voyait était un reflet de sa propre peine. Ne pas trouver de binôme était particulièrement lourd à porter que ce soit pour un soumis ou pour un Dominant. Anatia les observa tous les deux un moment et laissa un peu de temps à Arkes avant de l’aborder pour effectuer le débriefing.

- Maître Arkes ? Nous serons dans mon bureau, n’hésitez pas à nous rejoindre dès que vous vous serez reposé.
- Non, non… Ça ira. Je préfère discuter des dossiers avant. Répondit-il tout en s’avançant jusqu’au bureau directorial.

C’était un espace charmant comportant non pas un, mais trois espaces de travail. Deux bureaux dans le fond de la pièce se faisaient face. Ils croulaient tout deux sous les piles de papiers et des tiroirs entiers semblaient eux aussi remplis. Vers l’avant de la pièce, un autre bureau était installé, visiblement davantage dédié aux réunions de ce type. Il s’installa sur le siège des visiteurs et débuta immédiatement face aux deux Dominantes.

- Merci de m’avoir reçu pour la journée.
- Merci d’être venu, vous avez fait de l’excellent travail, tous les soumis sont ressortis en excellent état.
- Pour Saone, je vous conseille d’effectuer chaque jour une à plusieurs séances de pures obéissances. Rien de volontairement humiliant, gardez les séances privées. Rien de douloureux. Rien de trop difficile non plus. Ne demandez que des choses qu’il réussira facilement et récompensez chaque succès. Il a besoin de reprendre confiance en lui et en sa capacité à obéir. Le reste devrait suivre. Est-ce que le retour à la réalité s’est bien passé ?
- Oui, il a pris presque une heure, il n’arrivait plus à se décoller de moi. Répondit Anatia en souriant.
- Parfait. Il a besoin d’une relation de confiance, faites en sorte que chaque Dominant reste le temps complet de la redescente. Il ne doit surtout pas être laissé seul, je sais que cela se fait beaucoup pour les soumis de prêts, mais il n’en est pas capable aujourd’hui.

Arkes soupira et reprit.

- Pour Tanis, il ne doit plus être en mesure de faire des choix. Il se sent en contrôle lorsqu’il obéit donc, les enchaînements d’ordres l’éloignent de sa zone. J’ai conseillé à son Maître de faire des séances de contentions longues pour qu’il se perde dans les sensations et qu’on lui retire toute forme de maîtrise. Je vous conseille de vous assurer qu’il atteint son espace régulièrement avant de réaccepter le binôme au club.
- Quels sont les risques en soi ?
- Tanis peut se durcir de plus en plus et sa zone finira par devenir hors d’accès. À ce stade-là, il sera perdu pour de bon et on sait ce qu’il se passe alors…

Lorsque les soumis n’arrivaient plus du tout à s’apaiser dans cet état second si désirable, ils se sentaient de plus en plus mal. Dans les pires cas, ils finissaient par se faire du mal dans l’espoir de plonger et cela pouvait finir de manière dramatique. Les deux Dominantes acquiescèrent.

- Et Ludni ?
- Il pense plus à lui qu’à son Dominant, ce qui est assez problématique. Mettez-le en prêt pour les pratiques qu’il n’aime pas.

Elles grimacèrent de concert. Arkes haussa des épaules et rajouta.

- Il doit réévaluer les priorités. Ça l’aidera. Assurez-vous simplement qu’il plonge assez souvent et ça ira.
- Très bien, merci beaucoup.

Il acquiesça et sans attendre, se releva. Il n’y avait plus qu’à rentrer chez lui et dormir un long, un très long moment.

- Maître Arkes ?

Il s’arrêta et se retourna vers les femmes qui l’observaient paisiblement. Il aimait beaucoup ce genre de Dominantes très en contrôle.

- J’ai cru comprendre que cela ne s’était pas bien passé avec Andreï.
- Je vous remercie de l’avoir amené et d’avoir accepté de nous prêter vos locaux pour cette rencontre. Mais la manière dont cela s’est passé ne vous concerne pas.
- En effet. J’ai simplement pensé à un autre soumis qui pourrait vous convenir si vous êtes toujours en recherche. Ce n’est pas un profil idéal, en faites, je pense qu’il n’est pas digne de votre recherche, alors je suppose que personne n’osera vous le présenter.

Arkes hésita un instant, troublé, puis se rassit pour observer Anatia dans les yeux. Deux yeux dorés de prédatrices.

- Qu’entendez-vous par « pas digne » ? Je n’ai fait aucune demande autour de la qualité du soumis.
- C’est ce que j’ai noté oui, néanmoins Andreï est une première main. C’est le cas de tous les soumis que l’on vous a proposé à moins que je n’abuse ?
- Non, vous avez raison.
- Le soumis en question est une sixième main d’après mes renseignements. Je ne vous en parle pas pour vous insulter néanmoins, mais parce que vous avez fait un excellent travail ici avec nos soumis et parce que je suis sensible à votre situation.
- Avez-vous son dossier ?
- Il se trouve que oui. C’est un soumis que l’on me propose régulièrement comme soumis de prêt et je dois vous prévenir que j’ai toujours refusé de le prendre au club. Il présente un certain nombre de défaillances qui le rende dangereux pour la majorité des Dominants.

Assis sur le fauteuil confortable, le dos droit, la bouche serrée dans une position neutre, il écouta toutes les mises en garde. Effectivement, proposer un soumis usagé à un Dominant pouvait être vu comme insultant, mais il n’en était plus là, plus du tout. Seulement les divers problèmes qu’elle annonçait étaient loin d’être anecdotiques. Il aurait fallu que ce soumis fasse des séances de dressage avec l’un de ses premiers Dominants au lieu de quoi, les problèmes s’étaient accumulés et avaient pris une proportion ingérable.

- Si je comprends bien, actuellement il n’a plus aucune forme d’utilisations ?
- Maître Loodmeyer l’envoie travailler au nettoyage de l’hôtel Carter. Je suppose que cela a le mérite de l’occuper et de rembourser les frais. Mais il avait contracté un contrat complet avec option de vente, vous pourrez obtenir la même chose et s’il ne vous convient pas…
- S’il ne me convient pas, je le saurais avant de l’emmener avec moi.
- Oui, oui, c’est vrai. Désirez-vous le rencontrer ? Je peux le faire venir pour demain à la première heure.

Arkes hésita un moment. Ce serait sans doute juste une déception supplémentaire, mais on ne lui avait jamais proposé un tel profil… C’était inconvenant par bien des abords, mais c’était également le dossier le plus proche de ce qu’il pouvait désirer. Un soumis ouvert à toutes formes de pratiques tant qu’elles incluaient une part d’obéissance. Un soumis désirant vivre une vie de Discipline. Un soumis prêt à vivre dans un contrat complet.

- Oui. Faisons ça.