Chapitre 4
Le cagibi contenait un lot de balais, des serpillières, quelques seaux parfaitement empilés et un nombre de produits d’entretien impressionnants. Cela laissait assez peu de place au sol, même en restant assis, recroquevillé sur lui-même. C’était pourtant là que le garçon dormait entre deux services. Il était encore très tôt lorsque Maître Loodmeyer ouvrit la porte qui n’était pas réellement verrouillée d’ailleurs et lui ordonna de se lever.
- Va prendre une douche. Complète. Lave-toi, les cheveux et les dents. Puis habille-toi.
Le garçon se redressa sans lever les yeux vers le Dominant et marcha en boitillant légèrement, trace d’une vieille blessure, jusqu’à la salle d’eau des soumis de prêts, qui se trouvait dans un réduit non loin de là. Il fut surpris d’y trouver un véritable shampoing et un savon au parfum doux, mais il les utilisa avec soin, s’acharnant sur ses mains crasseuses, sur ses dessous de bras, sur son entrejambe et finalement ses pieds. Il fit sa toilette méthodiquement, comme Maître Loodmeyer l’ordonnait et lorsqu’il sortit au bout de quelques minutes, les frissons sur sa peau se voyaient à l’œil nu. Faute d’ordres contraires, il utilisait toujours de l’eau froide. Il se sécha sommairement et enfila les vêtements qui avaient été placés près de l’entrée. Il n’y avait pas de sous-vêtements, mais un pantalon en lin fin juste assez opaque pour cacher son corps. Le haut en coton présentait des manches longues qui lui permirent de dissimuler ses bras décharnés. Il n’y avait pas de pull ou de chaussettes, mais une paire de sandales fines qu’il enfila de son mieux. Presque immédiatement la corde rêche pinça sa peau à la base de son gros orteil, s’il marchait longtemps, il présenterait sans doute une plaie à la fin.
En sortant de la salle d’eau, il trouva immédiatement le Maître qui l’attendait et qui vérifia rapidement l’état de ses ongles et l’absence de crasses derrière ses oreilles.
- Hum. Ça ira. Suis-moi.
Le garçon le suivit sans chercher à deviner où ils allaient même si ce n’était pas le trajet habituel qui le conduisait à l’hôtel. Cela faisait très longtemps maintenant qu’il n’avait pas eu d’autres tâches ou activités, mais il n’avait jamais pris cette routine pour acquis. Le Maître leur fit traverser deux portails et ils arrivèrent devant la devanture d’un nouveau club et une partie de lui s’alarma. Presque aussitôt, il combattit cette angoisse qu’il savait ne pas être sienne. Cela faisait juste trop longtemps qu’il n’avait pas été apaisé.
- Maîtresse Laira. Maîtresse Anatia.
- Bienvenu, Maître Loodmeyer.
Elles ne se tournèrent pas vers le garçon fluet qui attendait, sagement posté, dans l’ombre de son dominant.
- Merci beaucoup pour l’invitation, êtes-vous sûre que je ne vais pas me montrer… désobligeant ?
- Je l’ai été pour vous. Répondit Anatia.
- Oui, j’ai été très surpris. Agréablement surpris. C’était une faveur. Je n’oublierai pas.
Fixant ses pieds, le garçon perdit le fil de la conversation lentement et lorsqu’on le saisit par le bras, il sursauta à nouveau, son souffle se raréfia et il dut encore combattre l’angoisse. Il n’avait pourtant absolument pas peur, au fond de lui, de faire une scène ou d’être prêté ou même d’être violenté. Il était là pour les servir et peu en importait la manière. Il suivit le mouvement jusqu’à une petite salle totalement noire contenant simplement un fauteuil et une rangée d’objets de tortures et de plaisirs suspendus au mur derrière le fauteuil. Ce fut un tout petit coup d’œil qui lui révéla ces détails ainsi que la présence d’un maître au centre de la pièce.
- Maître Arkes, comme convenu, je vous propose ce soumis dont j’aimerais me défaire.
- Maître Loodmeyer, je vais l’évaluer et je vous rendrais ma conclusion dès que possible.
- J’attendrais.
Arkes hocha de la tête et observa le Dominant quitter les lieux sans un mot pour le soumis qui attendait, parfaitement immobile, même s’il avait sursauté lorsque la porte s’était refermée. Après des mois et des mois sans descendre dans sa zone, il était évident que le moindre bruit, la moindre surprise, devait le faire paniquer. Il le camouflait très bien. Arkes avait connu bien des soumis qui semblaient être dans un état bien pire au bout de seulement deux petites semaines.
- Comment t’appelles-tu ?
- Garçon.
- Tu n’as pas de nom ?
- Je… porte le nom que l’on me donne, Maître.
Arkes grimaça.
- Très bien, garçon, et si tu t’agenouillais juste là, devant moi ?
Le soumis avança. Il boitait. Il s’agenouilla en douceur, cherchant à avoir une position relativement droite même si elle n’avait absolument pas l’allure ou la prestance d’un Andreï. Classiquement, le binôme de Dominant et soumis se présentait de temps à autre sur scène. C’était d’autant plus attendu de la part d’un dresseur tel que lui. Tout le monde savait qu’il n’avait pas de soumis, alors ça ne posait pas de problèmes et il s’exhibait avec ses élèves les plus avancés voire faisait des démonstrations de dressages dans des cas très particuliers. Arkes n’avait jamais pensé avoir le moindre critère physique à ajouter à sa demande, mais l’elfe était si misérable qu’il ne put s’empêcher de penser à quel point ce serait une honte de le montrer sur scène. Et encore, il ne l’avait pas vu nu même s’il pouvait deviner sa maigreur à la manière dont ses vêtements coulaient sur lui. Cependant, ce n’était pas pour faire du show qu’il avait besoin d’un soumis et ce n’était pas un critère qu’il devait relever. Il tendit la main, exactement comme avec Andreï, mais sans surprise, le garçon ne bougea pas.
- Ton dossier ne comporte aucun de tes mots de sécurité. Quels sont-ils ?
- Je ne sais plus, maître.
- Tu es en train de me dire que tu as oublié tes propres mots de sécurité ?
- Oui, maître.
- Est-ce que je devrais te punir pour ça ?
Il attendit un long moment sans que le garçon dise ce qu’il en pensait, puis il tempêta :
- Et bien, réponds-moi !
- Excusez-moi, maître. Quelle était la question ?
- Est-ce que je dois te punir pour avoir oublié tes mots ?
- Je l’ignore, maître.
Arkes se pencha pour observer son visage neutre. Il avait de grandes poches sous les yeux et ses pupilles semblaient étrangement vides. Il ne regardait nulle part. Il aurait tout aussi bien pu être aveugle… Il ne semblait surtout pas là.
- Debout.
Le garçon se releva immédiatement, en faisant de son mieux pour ne pas mettre une main à terre. Des vieux restes de dressages.
- À genou.
Il obéissait directement, signe qu’il écoutait ce qu’il disait. Arkes le laissa à genoux après trois autres séries d’ordres, testant son obéissance.
- Nous allons débuter par quelque chose d’impersonnel. Nous les changerons ensuite pour que ces mots aient un sens auquel te raccrocher. Vert désignera un état où tout va bien et où tu peux poursuivre la séance. Orange désignera un état où tu ressens une difficulté importante et qu’une modification doit être apportée pour que tu puisses gérer la suite de la séance. Rouge désignera quant à lui l’arrêt immédiat de la séance. As-tu compris ?
- Oui.
- Quel mot dois-tu dire pour arrêter la séance ?
- Rouge, Maître.
- Et quel mot pour dire que tout va bien ?
- Vert, Maître.
- C’est bien, c’est très bien, je suis content de toi.
Le soumis ne remua pas. Aucun signe ne montrait qu’il appréciait les félicitations.
- Depuis quand n’as-tu pas plongé dis-moi ?
- Je l’ignore, Maître.
- Tu l’ignores ?
- Oui, Maître.
- Depuis combien de temps es-tu dans le club de LoodMeyer ?
- Je ne sais pas, Maître.
Arkes se pinça les lèvres. Ce serait extrêmement dur de se sentir tout puissant face à une telle loque. Cela voulait dire que son propre espace lui serait interdit et c’était là le but premier de sa recherche. Néanmoins, le soumis n’avait commis techniquement aucune erreur. Même l’absence de réponse n’en était techniquement pas une, pas quand il était dans un tel état d’abrutissement et d’épuisement.
- Il n’y a pas tes goûts dans ton dossier. Je vais donner des noms de pratiques et tu vas me répondre comment tu te sens à l’idée de les faire. Vert, orange et rouge. Tu n’as droit qu’à ses mots. As-tu compris ?
Il hocha de la tête doucement.
- Pénétration anale.
Le garçon sembla rapetisser un peu plus encore alors qu’il haussait les épaules dans une tentative de communiquer un « je ne sais pas » silencieux, mais le Dominant attendait l’un de ces trois mots. Il tenta de réfléchir intensément et finit par répondre :
- Vert.
- Dilatation anale.
- Vert.
Cette fois-ci le garçon n’avait pas hésité.
- Fisting anal.
- Vert.
- Fisting anal à deux mains.
- Vert.
Aucune forme d’hésitation ou de réflexion. Arkes testa l’idée qui lui vint spontanément à l’esprit.
- Privation d’air.
- Vert.
- Privation d’air de plus de trente secondes.
- Vert.
- De plus d’une minute.
- Vert.
- Et si je te tuais simplement, garçon ?
Le petit elfe déglutit et se rappelant la règle, répondit simplement.
- Vert.
- Très bien. Que signifie « vert » ? Explique-le-moi avec tes propres mots.
L’elfe déglutit une nouvelle fois et sa voix éraillée se leva à nouveau.
- Vert est un code qui dit que je suis d’accord pour que vous me fassiez ce que vous voulez.
- Oui, tu as raison. C’est bien. Maintenant j’aimerais que tu me dises, est-ce que tu veux mourir ?
Il y eut un temps d’arrêt et le garçon finit par répondre aussi honnêtement que possible.
- Je voudrais vous servir, Maître.
- Très bien, une punition pour ne pas avoir répondu à ma question. Est-ce que tu veux mourir ?
- Je… je n’ai pas à prendre ce genre de décision, Maître.
- Deux punitions. Est-ce que tu veux mourir ?
Le garçon se figea silencieusement sans savoir quoi dire.
- Trois punitions. Réponds-moi ! Maintenant !
Arkes cria franchement et le bruit seul suffit à tendre le plus petit, mais aucune réponse ne vint, car le garçon ne savait pas. Il s’arrêta après avoir énoncé cinq punitions et changea de question.
- Que signifie rouge ? Avec tes propres mots.
- Rouge est un code disant que je ne veux plus poursuivre le reste de la séance.
- Très bien, tu as bien retenu, je suis content.
Aucune forme de soulagement, encore une fois.
- Que se passera-t-il si tu dis rouge ?
- Je l’ignore, Maître.
- Tu le sais, tu viens de le dire. Qu’est-ce qu’il se passera ?
- Je ne voudrais plus faire la suite de la séance…
- Et donc, que ferai-je ?
- Je l’ignore, Maître.
Arkes soupira. Il n’irait nulle part en continuant à le pousser. Il était déjà trop brisé pour ça. Le provoquer ne le mettrait pas en autodéfense et ça ne le réanimerait pas non plus.
- Je vais te punir à présent. Qu’en penses-tu ?
- Comme vous le voulez, Maître.
- Est-ce que tu penses que tes punitions sont méritées ?
- Je l’ignore, Maître.
Arkes carra la mâchoire et lâcha sèchement :
- Tends tes mains devant toi, paume vers le haut.
Le garçon obéit sans aucune forme d’appréhension.
- Je vais te punir cinq fois. Je vais te faire mal, je veux que tu me dises, sur une échelle de 1 à 10 où est la douleur. Tu n’auras le droit de dire que ces chiffres d’accord ?
Il posa une tape légère sur la paume droite du garçon et puis dut lui réclamer un chiffre. Le garçon hésita un long moment puis marmonna : « 1 ». Il frappa à nouveau, un peu plus fort. « 2 ». Arkes sortit une baguette souple et cingla sa peau sans y mettre de force.
- 4.
La voix du garçon était vraiment très étrange et il semblait avoir plus de difficulté à suivre l’exercice qu’autre chose, comme si les coups étaient anecdotiques. Arkes arma son bras et sans prévenir, cogna son dos. Le bruit de la baguette cinglant l’air puis s’abattant sur son dos retentit. Il parvint à arracher un halètement au garçon.
- 6.
C’était le dernier coup. Il le laissa tomber sur l’arrière-train du soumis et l’entendit souffler péniblement « 4 ». Immédiatement, Arkes abandonna son arme qui flotta tranquillement jusqu’au mur où elle s’immobilisa. Il se pencha sur le soumis et le redressa jusqu’à l’attirer sur ses genoux. Là, assis sur son fauteuil, il serra le soumis entre ses bras et lui murmura qu’il était très fier de lui parce qu’il avait vraiment réussi à faire de l’excellent travail. Il attira magiquement une couverture à eux et recouvrit l’elfe avec, sans le lâcher pour autant. Le garçon ne se détendit pas, puisqu’il ne s’était pas vraiment tendu avant, mais il resta sagement dans ses bras à profiter de ce contact surprenant.
Comme Anatia l’avait dit, le soumis n’était plus apte à employer des mots de sécurités. Ces chiffres étaient sans doute le premier retour digne de ce nom qu’il offrait à un Dominant depuis des mois au moins. Mais ce n’était pas le seul problème même si c’était un point particulièrement difficile qui aurait suffi à faire reculer n’importe quel Dominant digne de ce nom. Non, en prime, le garçon n’arrivait plus du tout à accéder à son espace. Il obéissait, froidement, sans y mettre réellement de conscience, mais son esprit restait toujours là, captif du moment présent et incapable de se prendre à flotter. Et cerise sur le gâteau, le garçon offrait tout, mais il donnait l’impression de ne plus rien avoir à offrir. Il était sorti des prêts après plusieurs plaintes : les dominants ne parvenaient pas à atteindre leurs propres espaces d’euphories avec lui.
Le berçant doucement dans ses bras, Arkes continua à lui raconter à quel point il était heureux de sa prestation et à quel point il avait bien travaillé. Le garçon suivait les mouvements sans rien dire. Il avait terriblement sommeil et sans pouvoir s’en empêcher, au bout d’un long moment, il s’endormit.
Arkes resta là un très long moment à contempler deux idées qui revenaient sans cesse dans son esprit. La première était à quel point ce soumis n’était plus apte à vivre tout simplement, même en quittant les milieux de Discipline extrême qu’il aimait fréquenter, même à travers les détails les plus légers qu’un Dominant pourrait envisager. Il n’était plus apte à plonger normalement. C’était aussi triste que source de colère, car ça l’amenait à penser à tous ces incompétents qui avaient choisi de l’utiliser d’une mauvaise manière. La seconde idée était encore plus terrifiante et c’était elle qui l’empêchait de se lever pour sortir et dire simple « non, il n’est pas en état ». C’était une idée toute simple et toute bête. Le soumis n’avait pas commis la moindre erreur à ses yeux. Il n’avait pas su être satisfaisant, mais son comportement général était parfait. Il n’était pas provocateur, il faisait passer son Dominant en premier, il était centré sur son partenaire et réellement à l’écoute. Arkes n’était jamais ennuyé par les bêtises, même s’il pouvait choisir de les punir voir de les punir très sévèrement. Non, tant que le soumis essayait réellement de faire le nécessaire pour son Dominant, cela lui convenait…
« Et puis, tu as trouvé un début de piste pour l’aider et ça, ça pourrait te conduire à ta zone. » Pensa-t-il avant de se maudire. Aucun Dominant ne pouvait accepter un soumis aussi dégradé ! Qu’avait-il donc en tête pour ne serait-ce qu’hésiter ?
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