Chapitre 11
Arkes était songeur. Nedmin et Dimi terminaient lentement leur séance. Ils avaient simplement fait l’amour, mais pour la première fois, l’angoisse de la douleur n’avait pas amené Dimi à se contracter ce qui avait justement permis le coït. C’était le problème de base pour lequel Nedmin avait fait appel à lui. C’était un Dominant très doux, qui fréquentait les clubs surtout parce qu’il aimait préserver une certaine étiquette. Il n’avait jamais joué de la cravache sur son soumis et il ne le ferait jamais. Il ne le punissait presque jamais non plus et seulement avec des méthodes si tendres qu’Arkes aurait peiné à y voir une punition. Sur le visage du Dominant, il pouvait voir tout son soulagement d’être arrivé à ce point-là. Il faudrait peut-être faire une séance de transition, où Arkes serait présent en spectateur avant qu’ils n’y arrivent seuls ou peut-être était-ce suffisant ? C’était toujours difficile à dire dans ces moments où les progrès étaient assez remarquables pour être satisfaisants. Mais ce qui le rendait perplexe, ce n’était pas ses clients, mais son propre soumis. Le garçon n’avait pas plongé dans son propre espace. Il était resté totalement présent du début à la fin. Pourquoi ?
Peut-être était-il masochiste ? Il grimaça à cette simple idée. Il n’avait pas une très haute opinion des masochistes, estimant qu’il cherchait plus à prendre qu’à offrir à leurs Dominants. D’un autre côté, il savait de source sure qu’on avait fait vraiment très mal au garçon, sans qu’il ne descende et ceux pendant des jours et des jours. Ça ne collait vraiment pas au profil masochiste, mais visiblement, il y avait quelque chose dans la manière de l’aider à atteindre sa zone qu’il n’avait pas comprise.
Nedmin s’approcha, son angelot endormit entre les bras.
- Merci beaucoup, Maître Arkes.
- C’était une très bonne séance, vous pouvez être fier de vous.
- Devons-nous en placer encore une ?
- Je vais vous laisser tester, en duo, chez vous ou peut-être dans une salle privée au club ? Refaites le même protocole pour commencer et si jamais vous avez un souci, nous referons une séance.
- D’accord, merci. Vous n’avez pas idée à quel point c’était important…
Arkes acquiesça doucement. Il ne le disait pas, mais il comprenait que Nedmin n’était pas simplement le Maître de l’angelot. Il l’aimait. Il l’aimait réellement et il ne pouvait donc pas le remplacer comme un objet défectueux, ce qu’un bon nombre de Maîtres auraient fait dans une pareille situation.
Lorsque le duo partit, Arkes termina de nettoyer son garçon avec soin. Il contrôla son anus pour s’assurer de ne pas l’avoir blessé involontairement. Il était encore un peu distendu et visiblement très sensible, car son seul doigt qui venait de s’enfonçait avait suffi à le faire sursauter. L’utiliser ainsi était une bonne chose avec Dimi, mais il ne le ferait pas avec le second angelot. Il allait le laisser simplement se reposer.
- Retourne te mettre en position.
L’elfe obéit avec la grâce qui était la sienne -améliorable, mais pas absente-, sans sourciller. Il aurait sans doute mérité un compliment pour sa séance, mais il ne semblait ni être en attente ni être surpris de ne pas le recevoir.
Il s’agenouilla dans l’angle pendant qu’Arkes terminait de nettoyer la pièce, lui rendant son apparence d’origine. Il s’installa dans son propre fauteuil et médita doucement, pour retrouver le bon état d’esprit avant le soumis suivant. Les murs entre les différentes pièces étaient suffisamment insonorisés par ne pas entendre grand-chose, mais deux cris avaient déjà filtré et lorsque le bruit se fit un peu plus fort, Arkes nota tranquillement qu’ils devaient être dans le couloir.
Soudain la porte s’ouvrit avec fracas et un ange se jeta dans la pièce. Il s’immobilisa. Il était tendu et semblait immense pour un soumis. Ses grands yeux bleus étaient exorbités et se posèrent sans retenue sur le Maître présent. Presque aussitôt, ses ailes se redressèrent dans une posture guerrière très rare qu’Arkes n’avait vu qu’une seule fois auparavant, au cours d’une scène qui avait dû être arrêtée. C’était une posture meurtrière. Dans le couloir des bruits de courses s’approchèrent et il put voir toute l’horreur dans les yeux de l’ange qui sans la moindre hésitation s’élança en un battement d’ailes pour se propulser plus loin dans la pièce. Arkes le suivi simplement du regard sans dire le moindre mot. Il dut se retourner pour l’observer se recroqueviller derrière son garçon. Ce n’était plus qu’un petit tas de plume, fermement recouvert de ses propres ailes. Une autre posture rare, totalement défensive, mais qui lui permit de voir à quel point l’angelot était abimé. Deux crochets pendaient à l’arrière de ses ailes. Ils avaient été plantés directement le long de l’os, ce qui devait représenter une souffrance de tous les instants. Arkes observa également son garçon. Il ne semblait pas s’être rendu compte de la présence de l’autre. C’était faux bien entendu, il feignait juste parfaitement le calme et l’ignorance.
Arkes les observait toujours lorsque sa porte claqua de nouveau. Cette fois-ci, c’étaient les Dominants. Ils étaient quatre et dans le lot, Arkes reconnut immédiatement un confrère dresseur qui s’appelait Denedail. Pas l’un de ces collègues qu’il recommanderait lui-même. Les crochets, c’était son œuvre, comprit-il immédiatement.
- Maître Arkes… Excusez-nous du dérangement, est-ce que vous n’auriez pas vu…
Denedail s’arrêta en plein milieu de sa phrase et un sourire mauvais apparut sur son visage.
- Oh ! Mais il est là.
Sans un mot de plus, il avança vers l’angelot. Dans sa main, une paire de menottes épaisses tintaient contre deux nouveaux crochets, plus lourds que les précédents que l’angelot avait dû simplement arracher. Arkes fit de son mieux pour rester neutre. Ce n’était pas son soumis, pas sa scène, pas son club. Il n’avait pas à s’en mêler. C’était dommage pour le petit ange, mais c’était ainsi. Il ne se leva même pas, laissant les quatre dominants faire ce qu’ils avaient à faire. Il venait de passer son fauteuil lorsque la petite voix de son elfe s’éleva tout doucement. Le garçon ne prononça qu’un seul et unique mot.
- Rouge.
Dans l’instant, un mur de flamme vint s’éclater contre le mur, séparant la pièce en deux. Arkes se leva presque tout aussi vite et se jeta entre son soumis et les quatre intrus. Un véritable mur de feu venait presque lui lécher le dos, il avait eu peu de place pour enflammer l’air et l’installer. L’angelot toujours recroquevillé derrière son soumis poussa un gémissement de pure angoisse, mais il resta dans cette position de défense. L’elfe ne sembla pas réagir au feu quant à lui.
- Peur ou douleur ?
- Peur, maître.
- Bien. C’est très bien. Tu as très bien réagi, je suis fier de toi. Est-ce que tu as peur de mes flammes ?
- Non, maître.
- Parfait. Tu n’as aucune raison d’en avoir peur. Et comment te sens-tu par rapport à ce petit ange ?
L’elfe hésita un moment puis murmura tout doucement, presque timidement.
- Vert, Maître.
Arkes lui ébouriffa tendrement les cheveux. C’était vraiment très bien. S’il commençait à employer réellement les codes, alors il y avait de l’espoir pour la suite.
- Je vais régler le souci. Ne touche pas aux flammes. Je serais de l’autre côté, si tu m’appelles je t’entendrais.
Arkes se redressa. Il lissa ses vêtements sur son corps puis laissa un peu plus de magie venir l’habiller. Les volutes d’énergie dansaient autour de lui quand il traversa les flammes d’un pas lent et élégant qui annonçait sans le moindre mot sa nature. Il était le Maître de ces lieux. Il n’avait pas vu de Djinn parmi les intrus et certainement aucun Djinn comme lui. Personne ne passerait ses flammes. Ses vêtements grésillaient, sauvés uniquement par sa magie.
- Arkes ! s’écria Denedail, outré.
- Excusez-moi pour le désagrément, mais je vais devoir vous demander de quitter la pièce.
- Mais qu’est-ce que tu fais ? Rends-nous le soumis !
- Non.
Denedail l’observa un instant sans comprendre.
- Non ? Mais… il ne t’appartient pas !
- En effet. Je demanderai une copie de son contrat dans les plus brefs délais.
- Tu n’as aucune autorité ici, alors arrêtes tes conneries Arkes !
Le Djinn se redressa un peu plus, le mur derrière lui sembla s’épaissir légèrement comme pour répondre à l’autre dresseur et très lentement, Arkes marcha jusqu’à son fauteuil où il retourna s’asseoir. Sans se presser, il finit par rappeler l’évidence :
- Loi Djinn. La pièce doit être une copie de ma propre salle, elle devient ainsi une représentation de mon domaine et les mêmes lois y seront appliquées. Je suis responsable de la sécurité de tout soumis impliqué dans une scène au sein de ma propre salle.
- Ce n’était pas une scène !
- Mon soumis personnel a dit « rouge ». Cela est largement suffisant pour désigner ce moment par le mot « scène » et c’est tout aussi suffisant pour que je vous attaque afin de le défendre. Par ailleurs, aucun Dominant n’est autorisé à pénétrer les lieux sans mon invitation directe. Je ne suis pas l’un de ces soumis que tu peux faire courber Denedail. Je suis un Dominant. Je suis un Maître. Et je suis un Dresseur. Quant à toi… tu es ici chez moi.
- Le club va te jeter dehors.
- Peut-être. Peut-être pas. Respecter la loi d’un Djinn est le minimum lorsqu’on l’invite et tout le monde sait à quel point nous pouvons être … pointilleux. J’ai parlé. À présent, tu appliques. Dehors.
- Il doit être prêt pour dans trois jours à peine, pour son mariage ! Tu ne peux pas faire…
Denedail se tut soudainement, pour observer le mur de feu qui s’était mis en mouvement. Il avançait lentement vers eux, les chassant de la pièce.
- Son futur mari va te faire vivre l’enfer. Tu es en train de déprécier son achat !
Arkes ne répondit pas. Il traversa simplement le feu qui avançait de plus en plus vite vers la porte s’assurant de les brûler ou de les chasser. Ce n’était pas du bluff. Personne ne se plaindrait décemment d’une brûlure dans un tel endroit. C’était son droit de se défendre. Il retourna jusqu’à son garçon et lui demanda simplement :
- Comment tu te sens ?
- Vert, Maître.
- Très bien.
Arkes le contourna pour observer la boule de plumes tremblotante qui n’avait pas bougé, restant dans une position défensive. Sans trop d’hésitation, il caressa ses plumes, plusieurs étaient en train de se détacher. Ça pourrait facilement être camouflé pour le mariage, mais c’était une réelle blessure chez cette espèce. Les crochets avaient également fait de lourds dégâts. En soupirant, il poussa un peu de puissance dans sa voix.
- Je te veux à genoux, angelot.
La masse trembla très sèchement, mais le soumis n’obéissait pas pour autant. Arkes poussa encore un peu plus de force.
- J’ai dit à genoux.
C’était inefficace. Le jeune était trop perdu dans sa peur pour réussir à se faire obéissant.
- Très bien. Tu vas m’écouter attentivement. Je vais te sortir d’ici et te protéger. Je vais amener ton cas au défenseur des droits Djinns, mais pour avoir la moindre chance que l’on nous écoute, tu vas devoir m’obéir un minimum. Je ne te punirai pas. Tu ne risques rien. Seulement… Tu n’as pas le choix.
Arkes poussa une autre forme de magie hors de lui et prit littéralement le contrôle de l’angelot, l’amenant à déplier son corps et à se tenir à genoux. Il ne relâcha pas la pression, caressant sa tête et manipulant son menton pour mieux l’observer. Le soumis était couvert de marques. Le long de ses côtes, une longue ligne bleutée dévoilait une série de blessures potentiellement graves. Il avait peut-être les côtes cassées.
- Je vais te libérer lentement, je veux que tu restes concentré. Tu as le droit de t’accrocher à mon garçon si tu veux, je ne te demanderai rien de difficile, juste une obéissance de base. Est-ce que tu peux faire cela pour moi ?
L’angelot sembla un peu perdu, il ne se rendit pas immédiatement compte qu’il avait de nouveau le contrôle de son corps. Puis lentement, il bascula contre l’elfe à la recherche d’une sécurité impossible à trouver.
- Très bien, c’est vraiment très bien. Je suis content de toi.
Le petit rebelle l’observa sans comprendre. Le simple fait que ces mots puissent lui être adressés était si étrange qu’il n’y pensa même pas. Il en déduit simplement que l’elfe avait dû être satisfaisant. Le Dominant se recula à son plus grand soulagement et se mit à incanter un peu plus loin dans la pièce. Si les petites formes de magies qu’il avait employées jusque-là ne lui avaient demandé aucune forme de préparation, ce tour-ci était bien moins évident.
De la copie à l’original.
À peine réussie, une immense fatigue s’abattit sur lui. Il se tourna vers les deux soumis et espéra de tout cœur que l’angelot allait se montrer un minimum sage, ce qui était sans doute vain. Son tempo semblait incroyablement élevé, mais les circonstances ne permettaient vraiment pas d’en tirer la moindre conclusion.
Lentement, il marcha jusqu’à la porte et l’ouvrit. C’était son appartement. Ils étaient chez lui. On les retrouverait rapidement, mais ce n’était pas un souci, il ne comptait pas se cacher.
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