Chapitre 12
Arkes était encore en train de réfléchir à comment retirer ses foutus crochets sans l’abimer davantage lorsque Aeternia, défenseuse des droits Djinn se présenta. Contrairement à lui qui maniait à la perfection le feu, elle manipulait l’air. Cette simple différence faisait d’eux des étrangers dans le monde très fermé des Djinns.
- Maître Arkes, vous avez demandé la présence d’un défenseur après avoir fait de la haute magie de secours. Puis-je vous aider ?
- Oui. Un soumis est entré dans la salle qui m’avait été préparée.
Elle se tourna vers les deux soumis qui se tenaient non loin. Aucun des deux n’était en bon état. Le peu d’informations qu’elle avait réussi à obtenir avant son arrivée stipulait un contrat court entre un soumis cassé -détruit même- et le dresseur. Si elle n’avait pas lu la mention « elfe », elle n’aurait pas su départager les deux soumis au premier coup d’œil. Pourtant, en y revenant, les détails étaient légion. L’elfe était maigre, famélique même, mais son teint n’était pas cireux. Il était sans doute en train d’être remis en état. Il semblait avoir assez mangé, assez bu et assez dormi dans les jours qui avaient précédé. Ce n’était pas le cas de l’angelot.
- Un soumis qui vous est étranger ?
- Oui.
- Un soumis avec qui vous n’avez aucun contrat ?
- En effet.
- Hors séance dit-on.
- Pas tout à fait. J’ai un contrat court stipulant une soumission permanente. Je suis donc toujours en séance.
Elle l’observa et acquiesça doucement. C’était loin d’être suffisant pour justifier une quelconque intervention. D’une voix douce, elle demanda :
- Néanmoins, vous n’étiez au cours d’une séance active ?
- En réalité si, soupira Arkes.
- Ah ?
- Mon soumis a employé un code « rouge » ce qui rend la séance particulièrement active.
Aeternia émit un très léger rire. Effectivement, si ces Dominants balourds avaient réussi à braquer le soumis d’un Djinn au point qu’il demande son intervention, ils avaient de la chance d’être encore en vie.
- Je vous remercie d’avoir su vous montrer… pondéré.
- À présent qu’il est à ma charge, j’aimerais m’assurer que les intérêts de l’angelot sont correctement respectés. Plusieurs points problématiques m’amènent à conclure que ce n’était pas le cas avant mon intervention.
- J’ai fait la demande de dossier. Nous ne suivons pas activement tous les angelots, un défenseur des droits de cette espèce pourrait être plus indiqué à moins que vous n’acceptiez de le garder ?
Arkes grimaça. Le club avait sans doute une forte influence sur le défenseur des droits des anges, après tout, il était spécialisé là-dedans. Personnellement, Arkes ne pourrait faire réellement confiance qu’à un défenseur Djinn. C’étaient toujours des personnes qui ne lâchaient rien.
- Je n’en ai aucun intérêt, bien au contraire.
- En effet. Seulement, si aucun Djinn n’est impliqué, pourquoi travaillerions-nous sur son cas ?
- Très bien. Un contrat temporaire suffira-t-il ?
- Oui, s’il l’accepte pleinement. J’ai cru comprendre qu’il était des plus rebelles ?
- Deux crochets plantés dans l’os ont visiblement su le rendre extrêmement dangereux et inquiet oui.
Elle se figea et observa de nouveau l’angelot. Elle avança, non, flotta plus qu’autre chose, jusqu’à lui et le contourna pour voir d’elle-même l’atrocité. Que l’angelot obéisse ou non, qu’il signe le contrat ou pas, il avait à présent deux génies dans son camp, pensa-t-elle sombrement.
- Je vous laisse trois jours pour lui faire signer. Je m’en occuperai néanmoins.
- Merci.
Arkes était sincèrement soulagé. Les défenseurs avaient beaucoup de pouvoir. Si elle lui avait ordonné de rendre l’angelot, il aurait été contraint de le faire ou de se mettre lui-même en danger.
- Puis-je vous recommander d’être discret ?
- Ils savent où j’habite, avec qui je travaille, quels clubs je fréquente. Non. Nous ne serons pas discrets.
- Très bien. Ont-ils été menaçants ?
- Le futur époux du petit devrait me faire vivre un enfer m’a-t-on dit.
- Délicieux.
Elle se détourna un moment, sans rien dire, avant de revenir vers lui en souriant.
- Loi Djinn. Toute parole peut être respectée. Amusez-vous bien. Bonne journée, Maître Arkes.
Sans un mot de plus, elle disparut. Elle ne passa pas la porte, elle ne partit pas par une sortie quelconque. Non, elle disparut. L’angelot glapit à côté, il tremblait comme une feuille secouée par de grandes bourrasques.
Arkes grimaça. Ce ne serait pas évident, elle venait de l’inviter à faire de la très grande magie. Ce genre de magie qu’il ne faisait jamais. S’il voulait tenter une chose pareille, il allait devoir se préparer un peu et avant ça, il devait vraiment soigner un minimum l’angelot.
Il avança jusqu’à s’accroupir devant le jeune ange. Ses yeux s’exorbitèrent d’autant plus et ses ailes frémirent. Heureusement, il ne se mit ni en position purement défensive ni en position réellement offensive. Il semblait surtout choqué.
- Tu vas rester avec nous quelques jours. Mais je préfèrerais que tu n’aies plus ces crochets dans les ailes, pour ça, je vais devoir te toucher. Tu vas avoir mal. Est-ce que tu comprends ?
Arkes attendit patiemment une réponse, mais l’angelot ne remua pas beaucoup plus, penchant seulement son corps vers l’elfe.
- Mon garçon ?
- Oui, Maître.
- Retire le premier crochet. Doucement.
L’elfe n’hésita pas longtemps. Il se redressa pour atteindre le premier crochet et le saisit. Lentement, il le fit pivoter, arrachant un halètement horrifié à l’ange. Il trembla d’autant plus fort. Malheureusement, l’elfe n’avait pas terminé. Il dut forcer davantage pour réussir à l’extraire de son corps. La douleur rendit l’ange totalement fou, il jeta ses ailes en arrière pour se défendre. Cependant, il ne réussit jamais à atteindre sa cible, car Arkes l’avait immobilisé avant. Il hurla, se débattit, mais Arkes retira le second crochet, le laissant figé par la douleur. Puis, lentement, le Djinn saisit son soumis pour reculer avec lui, abandonnant le corps meurtri au sol. L’ange rampait, ses membres semblaient désorganisés, mais il rampait. Sans attendre, le Maître alla chercher une couverture et la déposa sur lui, le recouvrant entièrement. Là, ainsi caché, il s’immobilisa.
Arkes se retourna vers son petit elfe pour lui retirer le crochet sanglant des doigts. Il lui caressa la joue et le remercia de son obéissance. Faire mal à un autre être vivant était loin d’être une évidence pour un soumis. Lentement, il le prit contre lui et le serra dans ses bras, dans une étreinte rare.
- Je suis très fier de toi.
Le soumis ne se détendit pas réellement. Arkes aurait préféré le voir exploser d’émotions plutôt que de garder cette froideur. Ce n’était pas qu’il était obéissant ou non à cet instant, il n’était simplement pas réellement là dans son esprit. En soupirant, Arkes lui ordonna de préparer un repas rapide et l’observa lui obéir le plus simplement du monde.
Sous la couverture, l’angelot tremblait toujours comme une feuille et de temps à autre, une longue plainte s’échappait. Laisser un soumis dans un tel état ne lui convenait absolument pas, mais intervenir dans l’instant ne ferait sans doute que leur compliquer la tâche. Il allait devoir prendre le contrôle de ce soumis et peut-être même le faire couler le temps de le soigner. Jetant un coup d’œil à son garçon, Arkes se demanda s’il supporterait réellement ce type de spectacle.
Sans un mot, Arkes retourna à sa salle et l’observa. L’angelot ne la supporterait sans doute pas. Toutes ses protections magiques liées aux scènes y étaient néanmoins incrustées, sous la peinture sombre des murs qui avaient été léchés par les flammes. Il soupira, ressortit de la pièce et ferma la porte un instant avant de convoquer encore un peu de magie. La porte n’était rien de plus qu’un vulgaire portail et elle s’ouvrit sur ce qui avait été un projet et un souhait, longtemps auparavant. Arkes hésita à la franchir, mais il le fit avec courage, parce que son rôle était de trouver des solutions. Cette pièce-ci avait des murs rouges où des flammèches semblaient s’envoler. Il y avait quelques meubles discrets qui pouvaient tous être détournés de leur usage premier : il les avait choisis pour ça et un lit, immense, au centre. Le Djinn se souvint avec une netteté effrayante de ce qu’il avait souhaité ce jour-là. Il rêvait d’avoir son propre soumis, de planer haut avec lui et de l’aimer. Il était naïf à l’époque, il n’avait pas encore compris que la musicalité des erreurs serait aussi importante pour lui et qu’il ne supporterait aucun soumis sur le long terme. Quoique, il devait se l’avouer, il ne voyait pas le temps passer avec son garçon. L’elfe était obéissant et discret, deux qualités qu’il savait apprécier à leurs justes valeurs.
Arkes posa ses doigts sur le mur, réclama l’ouverture du coffre et la paroi se fit molle. Il put alors la traverser sans aucun problème. Là, il poussa l’immense lit pour l’entreposer à l’abri des regards et sortit trois chaises, des tapis, plusieurs poufs également. En soupirant encore une fois, il retira les flammèches du mur et lui conféra une teinte plus douce. Cette pièce n’avait plus rien de plaisant à ses yeux, mais c’était ici qu’il allait dresser l’angelot. C’était ici qu’il le ferait plier et s’abandonner entre ses doigts. Il ne fallait pas trop l’effaroucher pour commencer alors ce type de pièces, si différente de ce qu’il avait dû connaitre serait une bonne mise en bouche.
Le temps qu’il fasse les modifications et qu’il ressorte, le repas était prêt. Arkes s’installa tranquillement à table et laissa son garçon le servir. C’était un plat elfique très basique composé surtout de légumes mélangés à quelques fruits comme cela se faisait souvent chez eux.
- À genoux mon garçon.
Immédiatement, l’elfe obéit et vint se mettre directement là où on l’attendait. Une main chaude passa dans ses cheveux et il haleta quand Arkes lui pétrit doucement la nuque dans une caresse tendre. L’instant d’après, le Dominant avait cessé pour se concentrer sur son repas.
Il y avait deux soumis chez lui. Deux soumis cassés en prime. L’idée lui donna presque envie de rire, un rire jaune bien entendu, car pour lui qui détestait ce qu’il avait envie d’appeler « les mauvaises soumissions » autant que « la désobéissance », c’était une situation qui n’avait rien de plaisante au fond. Néanmoins lorsqu’il saisit un petit morceau de légumes et qu’il le tendit jusqu’à la bouche de son garçon tout en lui ordonnant de manger, il aima ça. La langue douce de l’elfe vint caresser ses doigts, sans pour autant aller trop loin. Le garçon semblait toujours arriver à trouver le juste équilibre. Arkes recommença et tranquillement, il le nourrit simplement comme ça. À la main. Tout en le faisant, il nota ce qu’il avait souvent remarqué déjà. Les positions de l’elfe n’étaient pas tout à fait parfaites, il y avait de petits accrocs et il manquait de prestance. Il avait quelque chose qui le faisait paraître mou, au-delà de son regard à peu près vide.
- Garçon, apporte donc une assiette à ton ami. Au sol.
Son soumis se releva sans mettre les mains par terre, avec la légèreté pour laquelle les elfes étaient connus, mais sans leur grâce habituelle. Ce serait difficile de corriger cela, pourtant s’il voulait l’emmener sur scène un jour, ce serait une très bonne chose que de l’avoir fait. Presque aussitôt, Arkes se rabroua mentalement. Il n’avait toujours pas décidé de garder ou non le garçon. Les codes qu’il parvenait à fournir étaient des faux. Cela limitait la casse, cela entretenait une illusion, mais son garçon n’était absolument pas réparé pour autant. Oui, ils avaient aussi réussi à atteindre leurs propres zones. Ils étaient compatibles, mais ça ne faisait pas tout sinon il aurait pu se mettre avec des dizaines de soumis avant lui. Décider de garder le garçon, ce serait s’engager pour le reste de la vie de l’elfe, une longue vie donc. Pas aussi longue que celle d’un Djinn, mais si cela se passait mal, les années lui paraîtraient néanmoins interminables. Arkes devait s’autodiscipliner, décida-t-il simplement et faire les choses dans le bon ordre. Décider de son futur lointain n’était pas à l’ordre du jour. Bientôt, on viendrait sans doute toquer à sa porte pour réclamer l’angelot. Il devait essayer de régler ça avant tout autre chose.
Son petit elfe avait posé l’assiette comme il l’avait demandé et puis, faute d’ordre, il était retourné s’occuper du nettoyage de la cuisine sagement. Ce n’était pas une erreur en soi. Arkes devait se concentrer un peu pour repérer les erreurs chez lui. Il y en avait eu une, lorsqu’il avait hésité après avoir déposé l’assiette, ce tout petit moment de flottement ne lui convenait absolument pas. Et puis une autre, plus importante, plusieurs minutes après, quand il avait jeté un coup d’œil direct vers son Maître. Il en ferait continuellement, sur ce tempo lent et régulier.
De l’autre côté de l’assiette, toujours sous la couverture, l’angelot ne semblait pas prêt à manger quoi que ce soit. Arkes fit comme si de rien n’était et alla simplement s’installer sur un tapis, directement au sol -ce qui était rare chez lui- pour méditer. Convoquer une magie réellement importante ne serait pas forcément évident. Il avait besoin de ce moment de calme pour se recentrer sur lui-même.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, une main timide sortait de sous la couverture pour saisir de la nourriture. Il ne prononça pas le moindre mot et l’observa simplement. Il y avait une raideur dans les mouvements de l’ange, une raideur qui annonçait aussi bien sa douleur que sa faim. Son garçon quant à lui avait repris une position d’attente, dans un coin de la pièce. Il avait visiblement terminé ses corvées quotidiennes. Arkes referma les yeux pour laisser le temps au petit ange de se restaurer en paix et lorsqu’il les rouvrit, ce fut à cause des coups qui firent vibrer sa porte sous leurs violences.
« Premier round. » pensa le Dominant tranquillement tout en se levant.
Annotations
Versions