Chapitre 13

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Les autres disaient souvent qu’il y avait peu de choses à savoir sur le peuple Djinn. Il suffisait de se souvenir qu’ils n’en faisaient qu’à leur tête et que tout tournait toujours en leur faveur. C’était un genre « qui s’y frotte s’y pique » qui suffisait à les tenir éloignés de la majorité des problèmes.

Néanmoins, si un Dominant était prêt à faire massacrer un soumis pour le forcer à dire « oui » lors d’une cérémonie, il n’avait pas assez de sens commun pour se rappeler des adages les plus élémentaires. Alors Arkes ne fut absolument pas surpris, en ouvrant sa porte, de trouver trois Dominants à l’air des plus énervés, venus visiblement chercher la bagarre. D’un seul coup d’œil, Arkes analysa leurs espèces respectives. Deux devaient être de la même famille, des sorciers. Le troisième, sans doute emmené en renfort pour représenter une force brute, un loup-garou.

- Dresseur Arkes ?
- En effet.
- Je m’excuse de venir vous trouver ainsi, mais je pense qu’il y a eu une … confusion.
- Ah oui ?
- Oui. Vous êtes parti avec mon futur époux de votre dernière scène. Oh, je serais ravi que vous le dressiez, mais vous aviez toujours refusé son dossier jusqu’à présent.

Arkes observa plus attentivement le sorcier Dominant. C’était donc, lui, le futur époux. Il avait un physique plutôt quelconque. Le Djinn dut faire un effort de mémoire pour se souvenir du dossier en question.

- Sorcier Veni Gonay. Et donc votre soumis c’est… l’angelot … Anaël Serphin. Oh oui, je me souviens. C’est un soumis qui détient les parts de ses parents décédés dans votre entreprise de construction. Le conseil d’administration vous l’a offert pour que vous les récupériez.
- En effet. Quelle mémoire !

Le long de la mâchoire de Veni, un muscle pulsait. Arkes ne les avait pas invités, ils parlaient sur le pas de la porte et ce Dominant les traitait avec une légèreté auquel il n’était pas habitué.

- Vous comprenez donc pourquoi vous devez me le rendre.
- Non, je ne comprends pas, lâcha froidement Arkes.

Veni l’observa un court instant, ébahi. Avant d’énoncer avec une lenteur exagérée :

- J’ai contacté le défenseur des droits angéliques dont mon soumis dépend. Il m’a assuré qu’il suffirait de me déplacer pour le récupérer. Je suis dans mon bon droit.
- Avez-vous précisé à votre défenseur des droits que je suis Djinn ?
- Non, mais Anaël est un ange. C’est tout ce qui compte.

Arkes soupira. Il ne pouvait pas s’attendre à de la finesse de la part de ce genre de personne, mais tout de même. Il était néanmoins censé mener cette conversation désagréable à terme, alors il répondit patiemment.

- En réalité, tout ce qui compte est un mot. Rouge. Ce mot m’offre énormément de pouvoirs. Je ne vous rendrais pas le garçon. J’ai obtenu trois jours pour qu’il se soumette à moi. Passer ce délai, si je n’y arrive pas, nous aviserons.
- Trois… Trois jours ? Mais non ! Je me marie à lui dans trois jours !
- Vous pouvez annuler.

Veni fit un pas en arrière devant cette simple phrase parce qu’Arkes n’avait pas l’air énervé, mais horriblement neutre comme s’il énonçait simplement des faits. Un peu incrédule, il bredouilla :

- Un contre trois, vous n’avez aucune chance. Vous n’êtes pas un guerrier ! Vous êtes juste… Juste bon à faire plier des soumis qui n’attendent que ça !
- On m’a prévenu que vous alliez faire de ma vie un enfer, répondit paisiblement Arkes.
- Effectivement ! Ce petit idiot ne mérite pas que nous nous affrontions.
- Oui, vous avez raison. Alors vous devriez repartir.
- Non !

Le second sorcier, un peu plus âgé que le futur marié, sans doute l’un des administrateurs qui avaient décidé de l’avenir de l’angelot sans tenir compte de ses envies ou de ses besoins les plus élémentaires, posa la main sur l’épaule de Veni. Le jeune sorcier s’arrêta et tourna le regard vers son ainé qui prit la parole tranquillement.

- Vous devez comprendre Maître Arkes que cette affaire vous dépasse. Nous pouvons faire venir le défenseur des droits angéliques devant votre porte, mais également le défenseur des droits sorciers et lycanthropes. Ce n’est pas simplement un soumis que vous avez volé sans en avoir le droit, mais des parts de notre société à travers lui. Nous ne pouvons pas nous permettre de vous le laisser.
- Oui, j’ai très bien compris que l’intérêt de l’angelot ne primait pas pour vous.
- Êtes-vous prêt à affronter trois défenseurs des droits ?
- Faire de ma vie un enfer, n’est-ce pas ? Hum… Vous êtes tellement… naïfs.

Arkes s’arrêta un instant, les contempla et souffla lentement. Lentement, de la vapeur s’éleva et l’air chauffant devint presque visible. Ils reculèrent comme un seul homme, puis presque immédiatement le lycanthrope commença une métamorphose partielle, prenant une forme de combat. C’était néanmoins trop tard.

- Toute parole peut être respectée. J’accepte votre vœu.
- Quel vœu ? s’écria Veni.

Le sourire qui défigura soudain Arkes lui fit peur. Ses yeux étaient devenus rouges vifs, le long de son front, plusieurs marques tout aussi rouges se firent voir et son sourire… Il était immense, beaucoup trop pour sembler même naturel. C’était une vision étrange et horrible à la fois.

- La vie d’Arkes’ifrït devient un enfer.

La porte toujours entrouverte, sans pour autant dévoiler grand-chose de l’appartement, sembla presque convulser sur place alors que l’encadrement de bois simple changeait d’apparence pour devenir un empilement de crânes de divers peuples. Les sorciers reculèrent d’un pas en voyant le symbole apparaitre dans un médaillon sur le haut de la porte. C’était la marque des enfers.

- Ceci est ma maison. Ceci est mon royaume. Ceci sont mes enfers et moi, j’en suis le Roi. Merci pour votre vœu. Je vous déconseille d’essayer de rentrer, mais si le cœur vous en dit, n’hésitez pas. Mes enfers, mes règles. Je serais curieux de savoir quel défenseur des droits osera se rendre en mon pouvoir.
- Vous n’avez pas le droit !
- Loi Djinn. chuchota-t-il doucement avec un sourire indulgent.

Puis, il ouvrit plus largement la porte et se poussa pour leur offrir la vue d’une forme tremblotante sous une couverture. Les quelques plumes de ses ailes qui dépassaient ne laissaient pas place au doute néanmoins. C’était l’angelot qu’ils cherchaient.

- Nous n’en resterons pas là ! hurla Veni, faisant trembler un peu plus encore l’ange.

La porte se referma toute seule devant lui sur la simple volonté d’Arkes qui fit quelques pas avant de s’asseoir. Cela faisait des années qu’il n’avait pas accepté un vœu et c’était la première fois qu’il en acceptait un aussi violent. Il sentait le feu ruer en lui. Le feu des enfers. Si ces idiots passaient sa porte, ils deviendraient aussitôt ses victimes. Néanmoins, ils ne pouvaient pas rester terrés là jusqu’à la fin des temps et le pouvoir tout relatif que l’angelot avait sur les capitaux allait poser de graves problèmes dans l’avenir, car ces gens n’arrêteraient jamais. Le plus simple aurait été de le dépouiller, mais aucun des défenseurs des droits ne l’accepterait jamais.

Arkes regarda son garçon sagement agenouillé et lui demanda tranquillement :

- Emmène l’angelot dans la pièce.

Il lui indiqua la porte en question d’un simple geste de la main avant d’ajouter un « prends ton temps » doux et de s’installer à son bureau, reprenant la lecture des dossiers comme si de rien n’était. Il avait encore beaucoup de travail et le feu qui bouillonnait en lui ne l’en détournerait pas. Il pouvait confier un certain nombre de soumis attendant une seconde séance à certains de ses collègues. Sans en donner l’impression, il resta néanmoins concentré sur les soumis. Il entendit son garçon parler à voix basse.

- Il faut que tu me suives, chuchotait-il.

Il y eut un bruit doux et puis, un glapissement sec alors que son petit elfe avait tiré sur la couverture, dévoilant le soumis terrorisé.

- Il faut vraiment que tu me suives, murmura à nouveau l’elfe.

Il y eut un long silence, et une petite voix douce et grave à la fois répondit, entrecoupée de halètements dus au stress.

- Je… je refuse de faire une séance.
- Tu refuses aussi que nous soyons punis, alors viens avec moi.

C’était sans doute la première fois qu’il pouvait observer son garçon prendre autant d’initiatives pour se conformer à un ordre quelconque. Oh, il avait tendance à en prendre également pour faire la cuisine. Arkes le laissait souvent libre de choisir le plat, la recette exacte et une multitude de petits détails. Mais cette fois-ci, cette latitude comprenait le fait de communiquer… Tout en continuant à trier ses dossiers, Arkes le surveilla. Lui donner un pouvoir quelconque sur l’autre soumis était une véritable épreuve dans laquelle son soumis allait devoir se révéler.

- Fais-moi sortir, je t’en prie. Je me cacherai. Je ne poserai plus jamais de problème à ton Maître. Je suis désolé, désolé d’être rentré dans sa pièce…
- Je ne peux pas. Tu dois me suivre.
- Il va… il va… Il va continuer, hein ? Il va continuer et me livrer !

Pendant un moment, Arkes n’entendit plus réellement de bruits alors il finit par jeter un coup d’œil vers l’arrière. Il tomba immédiatement sur son garçon qui soutenait l’autre tout en l’entrainant contre son gré jusqu’à la pièce. Lorsqu’il parvint à l’y faire entrer, Arkes se leva et suivit.

L’ange était devenu un peu plus bavard, mais il était toujours en état de choc. Il tremblait comme une feuille et sa peau livide n’était pas vraiment rassurante. Il avait perdu une certaine quantité de sang et les anges n’étaient pas connus pour en posséder beaucoup. Quand il le vit rentrer dans la pièce, il se débattit pour échapper à son garçon. Le petit elfe le laissa faire et s’agenouilla sagement dans un coin de la pièce. C’était une erreur. Une véritable erreur qu’Arkes ne laisserait pas passer.

- Debout, mon garçon.

L’elfe sursauta et se redressa comme s’il l’avait fouetté. Sans attendre, Arkes avança jusqu’à lui, le saisit par le bras et l’amena jusqu’à la porte.

- Juste là. En cas de doute, tu te mets près de la porte, en position d’attente, debout. Les mains dans le dos. Menton haut. Plus haut. Et regard bas.

Tout en parlant, il le manipula. C’était la première fois que la position de son soumis ne lui convenait vraiment pas. Ce n’était pas grave, c’était son rôle que de le lui apprendre. Il profita de cet instant pour laisser l’angelot les observer et il l’espérait, se rassurer, au moins un peu. Quand il se retourna vers lui, presque instantanément, l’angelot recula en faisant un grand bond en arrière.

- Bonjour Anaël. Je suis Arkes. Nous allons devoir discuter tous les deux.
- Je refuse la séance, monsieur.

L’angelot avait les yeux exorbités, il déglutissait encore et encore, terrorisé. Il essayait de se retrancher derrière les phrases que l’on apprenait aux enfants futurs soumis pour se protéger. C’était une bonne chose en soi. D’autant plus qu’il parvenait encore à parler.

- Très bien, nous n’aurons pas de séances aujourd’hui. Est-ce que tu veux bien t’asseoir pour que nous discutions ?

Il frémit de la tête au pied, mais ne bougea pas.

- Non. Je désire partir.

Il s’accrochait encore et toujours aux mots, même si autour de lui plus personne ne semblait les écouter. Ce dominant ne le ferait pas davantage.

- J’ai contacté une défenseuse des droits. Elle est passée tout à l’heure. Nous ferons le nécessaire pour que le meilleur soit décidé pour toi.
- Je désire partir, maintenant.
- Oui, seulement, tu vas rester ici dans un premier temps pour ta propre sécurité.
- Je… Je…

L’angelot regardait dans le vide, perdu. Il avait envie de demander « combien de temps ? », mais il entendait encore sa mère lui expliquer qu’il ne fallait pas négocier. Il fallait uniquement émettre des faits. Refuser la séance. Refuser la domination. Demander à partir. Rien d’autre jusqu’à ce qu’il ait son propre Dominant et alors, il pourrait invoquer son nom pour se protéger. S’il était sûr d’une seule et unique chose, c’était bien qu’il n’invoquerait jamais Veni comme un moyen de protection.

- Je vais parler et tu vas m’écouter.

La voix d’Arkes était ferme et calme. Anaël émit un court gémissement et leva les yeux vers lui. Il avait tellement peur, mais la voix était d’une telle dominance qu’il se tut et écouta.

- Tu vas rester ici trois jours. À l’issue de ces trois jours, nous signerons un contrat ensemble et je te ferais atteindre ta zone. Je vais t’apaiser. La défenseuse trouvera une série de solutions et nous choisirons tous les trois celle qui t’offrira la meilleure vie. Puis je transmettrai ton contrat. Je vais te laisser avec mon garçon le temps que tu te reprennes. Tu as besoin de dormir.

Sans attendre la moindre réponse, Arkes se leva et marcha jusqu’à la porte. Là, il offrit une caresse à l’elfe et lui glissa quelques mots avant de partir. Enfin, il ferma la porte derrière lui et s’arrêta. Que d’ennui pour un soumis ingrat qui n’allait rien lui apporter d’autre que des problèmes… Peu importe, il ferait ce qu’il avait toujours fait pour chaque soumis. Il ferait de son mieux pour l’aider réellement.

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