La Cruche en chaudron changée
Illapa l’Honnête (1)
Reprit son urne
Au crapaud Cháng’é
En son cratère changé
Et Léigōng se retira
Vers de lointaines contrées
Où des dieux envieux
N’envisageraient de chercher (2)
Et là aussi, toutefois
Un jaloux la trouva
Et Hymir le jǫtunn
Son argile reforma
Son bronze reforgea
Et d’un large bracelet
Une anse façonna
À l’urne, l’attacha
Et en chaudron enchanté
La cruche se changea
Et les dieux enjoignirent
Illapa dit Þórr
À partir quérir
Sa cruche à nouveau
En compagnie d’Árēs
Appelé Týr (3)
Au terme d’un périple
Ils parvinrent en ses terres
Patientèrent dans son hall
Jusqu’au retour d’Hymir
L’Ægir revint
Revêtu de glace
La barbe enneigée
Les braies pétrifiées
Le Montagnard se courrouça
Mais hôte consciencieux
Accueillit les intrus
Les invita à souper
Et Þórr lui dévora
Deux de ses bœufs
Pour remplir ses réserves
Le Ronchon requit
Leur aide à la pêche
Ils attrapèrent mille poissons
Et le Sombre deux baleines (4)
Mais Þórr se servit
D’une tête de bœuf
Comme seul appât
La gueule de Jǫrmungandr
Jaillit du gouffre d’eau
Et Þórr martela
Le Serpent de Miðgarðr
De son marteau soustrait
De Mjǫllnir l’Éclair
Et le Titan se tortilla
Et la Terre trembla
Le Serpent s’enfuit
Les sardines aussi
Hymir enragea
Et chargea Illapa
De porter les baleines
En son palais d’hiver
Le Hargneux railla :
« Tant de robustesse
Mon gobelet, pourtant
Briser tu ne pourrais
Si tu réussis
Je te céderai
Mon filon de bronze
Mon chaudron sans fond »
À ces termes tentateurs
Le Tonnerre tira
La chope du Parieur
Contre un pilier de pierre
Mais le pilier seul
Vola en pièces
La femme d’Hymir
Conseilla au Fiévreux
De jeter le gobelet
À la tête du Glacé
Pour ce que le Rustre
Est bien plus résistant
Que nulle colonne
De calcaire ou de granit
Le gobelet se brisa
Contre la barbe du Grincheux
Et Þórr remporta
Le réceptacle des dieux
Árēs se refusa
À l’affleurer
Aussi le Diluvial la porta
Au domaine des cieux (5)
En chemin, Hymir
Changea d’avis
Et envoya ses sbires
Subtiliser l’urne
L’Abducté et l’Effronté
Les abattirent sans effort
De retour en Ásgarðr
Ægir remplit
Le chaudron d’Hymir
D’hydromel chaud
Andhrímnir y cuisina
Le cochon de mer
Qui depuis ce moment
Renaît chaque matin
Et les dieux se réjouirent
Du réceptacle divin
Car sans fin en vue
Ils festoyaient, se gavaient
De cervoise dorée
De sanglier doré
(1) Les divinités nordiques sont plus souvent présentées à travers leur personnalité que leur domaine d’influence. Ainsi, Þórr est décrit comme un dieu honnête, Óðinn curieux et Loki facétieux. Les Eddas les désignent aussi souvent par leurs exploits (« Celui qui a accompli ceci »).
(2) Nous appliquons ici la forme poétique dite fornyrðislag, utilisée dans l’Edda poétique. Elle est généralement formée de strophes de six à huit vers, sans rimes. Chaque vers contient deux syllabes accentuées, et entre zéro et quatre syllabes non-accentuées : nous nous contenterons donc de deux verbes, noms et/ou adjectifs par vers.
Dans chaque groupe de deux vers, on retrouve au moins une allitération sur la première syllabe d’un mot (qui correspond à la syllabe accentuée en vieux norrois). St- ou Sk- ne peut allitérer qu’avec st- ou sk-, et les voyelles (« y » inclus) pseudo-assonnent avec toutes les autres voyelles. Ainsi, « eau » et « ourdi » assonnent en vieux norrois, mais pas « stoïque » et « sûr ».
Pour faciliter l’allitération, le fornyrðislag fait un usage récurrent de heiti et de kennings : surnoms poétiques (souvent affiliés aux dieux) et périphrases métaphoriques.
(3) Dans le mythe originel, les dieux, en quête d’une source infinie d’hydromel, demandent à Ægir de leur en fournir. Ægir accepte, à condition qu’ils trouvent un récipient capable de contenir une infinité. Týr sait que son père Hymir en possède, et part lui rendre visite en compagnie de Þórr.
(4) « Hymir » signifie « Sombre ».
(5) Dans l’Hymiskviða, Týr manque de force pour transporter le chaudron. Le Diluvial réfère bien sûr à Þórr/Illapa et le déluge qu'il a autrefois déclenché.
Sources :
Edda Poétique, « Hymiskviða » / « Le Chant de Hymir ». Traduction et commentaire d’Henry Adams Bellows.
Jackson Crawford, The Art of Viking Poetry: A How-To (https://youtu.be/FsX70ZSJkOQ).
Jackson Crawford, Norse Myth: 6 Biggest Misconceptions (https://youtu.be/yT8HEBQjLng).
Snorri Sturluson, « Gylfaginning », Edda de Snorri.
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