Le Réceptacle des miracles
Le Chaudron des Tuatha Dé
À Ceridwen l’enchanteresse reine fut accordé
Une magie de prophétie elle y sondait
Par la beauté et la sagesse (1) obsédée.
Une propriété autrefois gardée
Des Norrois dépossédés
Qui miel et sang confondaient
En Óðrerir, Són et Boðn (2). Une fois vidés,
De scabreux attardés
Les scolastes sourdaient.
Et les skalds scandaient (3)
Le Chaudron décoré de rinceaux
Ceridwen chargea Gwion jouvenceau
D’alimenter le feu en tasseaux.
Elle alla sommeiller au berceau
Quand trois gouttes touchèrent le sot
Désormais doué de dons abyssaux
Le sage garçon s’enfuit en sursaut
Le Chaudron ne bougea
Mais la sorcière s’éveillait déjà
Notre héros chargea
Et en lièvre se changea
Alors Ceridwen en molosse émergea
Et Gwion en poisson plongea
Accoutrée en loutre, elle nagea
En mésange, il se dégagea
Quand une aigle l’assiégea
Harassé, en graine il se figea
Mais en poule le mangea
Le Chaudron préservé dans la moye
Ceridwen porta Gwion neuf mois
Et à l’accouchement, quel émoi !
« Ce bébé est aussi beau que moi ! »
Alors elle atermoie
Le Chaudron elle dénidifia
Enfin, l’enfant au fleuve elle confia
Et son amphore sacrifia
Pour y fourrer le loufiat
En aval, un couple se vivifia
Du fils qu’on lui confia
Le nomma Taliesin, majesté des mages qui mystifia
Altesses et dynastes qu’il glorifia.
Le Chaudron trouva un géant
À l’embouchure de l’océan
Dyrnwych, servant bienséant
Du roi sur l’Au-Delà séant (4)
Dès lors ne cuisait céans
Jamais la viande des mécréants
Mais crachait de son fond béant
Des poètes aux péans agréants
Le Chaudron fut un jour convoité
Par Culhwch, jeune homme escorté
Par l’armée d’Arthur, sa majesté
Pour prouver sa qualité
Au roi de l’Au-Delà redouté
Et sa fille de grande beauté (5).
Par Dyrnwych rebutés
Llenllawc, chevalier irrité (6)
Brandit Caledfwlch (7) l’enchantée
Et tua le géant entêté
Et la suite royale réputée
Démantela l’île en totalité (8)
Le Chaudron reparut quand le géant Llashar
Le sortit d’un lac illusoire (9)
Et terrorisa le territoire
Le roi Matholwch, fâché de ses foires
Le piégea dans une prison si haute qu’un phare
Dont Llashar trouva échappatoire
Pour outre-mer échoir
Là, il céda le pithos comme pourboire
Au roi Brân, par un rare hasard
Le Chaudron, Brân l’offrit
À Matholwch l’aguerri
Qui de Branwen, la sœur chérie
De Brân tomba épris
Et deviendrait mari
Mais Evnyssyen souffrit
Et ce frère marri
Les chevaux du promis meurtrit.
Brân eut vent de son mépris
Et l’amphore, à Matholwch l’offrit (10)
Le Chaudron de résurrection
En sa possession
Matholwch repartit en sa nation
Où sa famille s’offusqua de l’humiliation
Aussi on prit la décision
Que Branwen recevrait punition
La belle Branwen, grognon
Envoya une missive à l’attention
De son frère et tous ses compagnons
Qui débarquèrent en la région
Auxquels Matholwch offrit en consolation
Un vaste pavillon
Dans lequel il cacha ses légions.
S’ensuivit la dévastation
Le Chaudron, Matholwch y plongeait
Ses guerriers figés
Qui sans fin assiégeaient
Brân et ses protégés
Quand Evnyssyen, son frère enragé
Parmi les morts adverses s’est allongé
Sans bouger
Et alors que dans le chaudron on le chargeait
Il s’est agité, démené, allongé
Le Chaudron s’est brisé
En quatre fragments divisé
Evnyssyen, écrasé
En l’amphore agonisait
Et Brân, victorieux mais dégrisé
Rentra son armée démoralisée
En son royaume subtilisé
Par des scélérats rusés
Le Chaudron, ainsi occis
Nous nous quitterions ici
Si ses pairs aussi
Eurent la vie accourcie
Mais vous verrez sans sursis
Que les revoici
(1) Dans le Mabinogion, c’est pour son fils d’une grande laideur qu’elle poursuit ces recherches.
(2) Notons ici que trois des quatre urnes ayant contenu les viscères d’Osiris ont été rassemblées.
(3) Les cynfeirdd gallois sont généralement dénués de strophes, quoiqu’Aneirin lui-même en use dans Y Gododin : nous avons choisi de suivre son exemple. Dans cette poésie, un début de vers est répété à chaque nouvelle strophe, comme une ritournelle, et l’ensemble de la strophe partage une même rime. Excusez les rimes possiblement approchantes mais non exactes si votre dialecte diffère du nôtre.
Une césure scinde les vers longs, qui disposent parfois d’une rime interne alors distincte de la rime finale. Les allitérations peuvent jouer un rôle sans répondre à des règles strictes. Les vers dépassent rarement la dizaine de syllabes et tendent vers une longueur similaire, et les vers contiennent en général deux à trois syllabes accentuées. Notons qu’il existe des divergences plus ou moins marquées selon le poète.
(4) Il existe deux récits à ce sujet : l’énigmatique « Preiddeu Annwn » de Taliesin où le chaudron appartient au roi de l’Au-Delà, et « Culhwch et Olwen » qui s’en inspire et où le chaudron appartient au roi d’Irlande.
(5) Le mythe gallois suit le point de vue du jeune Culhwch en quête de la main d’Olwen. Le jeune est présenté de manière héroïque malgré son amour issu d’un maléfice pour une demoiselle jamais rencontrée, ses supplications à la cour d’Arthur pour lui faire lever son armée, et ses tentatives de meurtre sur le père d’Olwen récalcitrant, qui lui concède des travaux herculéens afin de prouver sa valeur. Travaux majoritairement accomplis par Arthur et sa suite. L’une des tâches consiste à prendre son chaudron à Dyrnwych.
Les chaudrons de Dyrnwych (qui ne bout que pour les braves) et de Diwrnach (que Culhwch vole) semblent avoir fusionné dans le mythe du Mabinogion.
(6) On associe parfois Llenllawc à Lancelot, dont il serait le prototype.
(7) L’épée d’Arthur, associée à Caladbolg, sœur d’Excalibur.
(8) Véridique : Arthur détruit l’île d’Irlande/de l’Au-Delà. Parce qu’un type a refusé de lui filer son chaudron. Qu’il a quand même fini par voler. En butant le gars. Sympa, Tuthur.
(9) Il s’agit du lac d’Iwerddon, dit « Llynn y Peir », soit « le lac au chaudron ».
(10) Pour être plus précis, Brân offrit la couche de sa sœur Branwen à Matholwch avant le mariage, ce qui excéda son frère Evnyssyen, qui blessa et défigura les chevaux du futur mari.
Sources :
Charlotte Guest, The Mabinogion, « Kilhwch and Olwen ».
Christoph Küpe, « Linguistic Givens and Metrical Codes: Five Case Studies of Their Linguistic and Aesthetic Relations ».
Hildegard L. C. Tristram « Les métriques insulaires: divergence et convergence ».
Hildegard L. C. Tristram, « Near-Sameness in Early Insular Metrics: Oral Ancestry and Aesthetic Potential ».
Joseph Loth, Le Livre rouge de Hergest (Llyfr coch Hergest), « Branwen, fille de Llyr ».
Poème du Hávamál.
« Preiddeu Annwn » (Le Butin de l’Au-Delà), Llyfr Taliesin (Livre de Taliesin).
« Skáldskaparmál », Edda de Snorri.
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