- Entre donc Mila !

- Oui oui, j'entre, répondit-elle avec un air malicieux et me fixant du regard, comme si elle savait très exactement que les battements de mon cœur m’empêchaient d'aligner plus de trois mots. Laisse-moi le temps ! »

Nous étions tous les deux dans le couloir donnant sur l'entrée de mon appartement et je la regardais passer le pas de ma porte, et rester là, pour que je puisse la contempler bien centrée dans un cadre, tel le tableau éphémère du bonheur à portée de main. Elle retira ses chaussures, et je reconnus ses éternels collants à motifs. Ils dessinaient le galbe de ses jambes parfaitement terminées par de mignons petons, eux même maladroitement posés sur la moquette de mon entrée, comme s'ils devaient réapprendre à marcher une fois les talons retirés. Je ressentais une certaine intimité à ce qu'elle soit là, déchaussée devant moi et plus petite de sept ou huit centimètres.

- Alors tu la sors ta bouteille ?

J'étais resté béat à l'observer, n'osant pas briser le silence.

- Tout de suite, je cours la chercher, installe-toi.

Nous avions déjà pas mal bu au restaurant, mais qu’importe ! Un évènement de cette ampleur méritait une consommation de luxe. Je débouchai donc une bouteille de Romané-Conti mille neuf cents quatre-vingts sans même lui montrer l'étiquette et m'assoir près d'elle.

- Cette découverte est fascinante ! J'adore mes recherches ! reprit-elle. Elle posa son pied sur la table basse et fit un mouvement machinal pour plaquer sa robe sur le creux de ses cuisses.

- Ton professeur pense retrouver la trace de l'ouvrage rapidement ? -je de m'intéresser.

- Oui, je pense d'ici quelques mois, je le connais, il le ramènera d'une manière ou d'une autre et là on saura vraiment ce qu'il a dans le ventre ! Rien qu'en termes de connaissances historiques (je n'écoutais rien) c'est une mine d'or, si en plus on y mêle les prétendues possibilités mystiques...

Je l'ai embrassée à ce moment là, quelques minutes après notre arrivée. Plus possible pour moi d'écouter encore un seul mot de ses histoires de recherche. C'était plus honnête ! Après tout, si elle m'avait questionné d'une quelconque manière sur ce qu'elle s'apprêtait à raconter, j'aurais botté en touche immédiatement révélant ainsi que mon attention était plus fixée sur sa robe que sur ... sa ... robe. Non, sur ce qu'elle disait ! J'étais bien occupé à turbiner depuis plusieurs secondes quand je me rendis compte qu'elle ne m'avait pas repoussé.

J'ai alors pris un peu de recul, pour vérifier qu'elle ne dormait pas.

- Tu t'es enfin décidé ? a-t-elle immédiatement dit, avec cette espièglerie qui ne la quittait jamais.

Il faut dire que je la connaissais depuis des années et qu'hypnotisé par sa fraîcheur, je n'avais rien tenté. Mais ne voulant pas perdre la face je répondis :

- Comment ça "enfin" ? J'étais simplement content pour toi, pour ta découverte. Ce n'est pas comme si j'avais prémédité ce moment. Et puis, qui me dit que ce n'est pas toi qui as manigancé ce baiser ? Avec tous les signaux que tu m'envois depuis ton arrivée !

Soyons très claire, n'importe quelle femme entendant un discours aussi frauduleux, lâche et dénué d'une once de bonne foi, aurait immédiatement pris la mouche devant le spectacle déplorable d'un homme qui ne porte pas ses affaires là ou il devrait les porter ! Mais Mila me connaissait bien, elle savait ma tendance à feindre le détachement par les paroles mais couplée à une incapacité flagrante à cacher quoi que ce soit à cause de mon attitude. Elle avait dû trouver ça charmant de maladresse. Et plutôt que de prendre la porte, elle s'est blottie contre moi.

Puis elle est restée pour la nuit...