J’étais un frontovik…

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L’étendue sans limite de la terre du socialisme a assumé sa gloutonnerie d’espace.

Nous sommes morts en fonction de la terre que nous avons pu céder.

Mais pas une mort comme les autres, les ennemis, les « ravageurs » comme nous aimions les appeler pour nous donner un motif à abandonner ce que nous avions de plus cher, ont toujours été plus forts que nous.

Ça a commencé par la violence de notre enrôlement, uniquement concentré sur le résultat physique que nous pouvions fournir. Le réalisme socialiste était un concept incontournable.

J’ai été enrégimenté dans la 64e division, vétu et, surtout doté de chaussures, qui ne convenaient qu’aux administratifs du Parti. Important les chaussures !

Mes classes ! Trop succinctes pour en parler ! Un fusil pour trois !

Voilà déjà le rapport de force que je présumais, sans en avoir une conscience solide.

Le front était loin, comme toutes les distances que les paysans qui formaient notre division pouvaient le concevoir.

Mon propos est de témoigner du miracle qui m’a fait survivre.

Au départ l’idée de combattre les bêtes fascistes me donnait du cœur au ventre, attisait mon exaltation d’être le maillon indissoluble de l’idéal prolétarien. Un mensonge qui m'a permis d’éviter toutes les balles, je parle de celles qui sont mortelles, bien sûr.

On nous a dit que nous étions le dernier rempart face à la barbarie, les rapports qui précédaient cette injonction nous confortaient dans cet immense privilège de former cette fatidique ligne de défense.

Les choses se sont normalisées par la suite. Un homme, aussi courageux soit-il, a besoin de manger, de se rapprocher de ses camarades, de parler de sa "douce", de ses enfants, de sa femme, bref d’expulser la pression qui l’étreint aux devants d’un sacrifice. Un sacrifice qui s’est sournoisement concrétisé à l’écoute des Komtroup.

Notre vie n’est rien sinon le socialisme !

Moi, issu de mon petit village de Kletskaïa, à trois cent kilomêtres à l’est de Moscou, une bourgade insignifiante qui n’avait donné son sang que par le passage des blancs et des rouges, où les plus anciens n’avaient aucune idée de ce que pouvait-être la politique, j’étais séduit par ces relents de pensées qui relevaient le misérable niveau de mon instruction !

Hé bien rien ! Sinon des rations misérables, des baraquements indignes, une considération de l’homme soviétique sans humanité.

Nous avions faim, toujours faim mais les programmes de formation politique, eux, ne méritaient aucun retard, gare à celui qui, à l’aube, vers 5h30, était en retard. Il fallait considérer l’arrière, comme le même service industriel pour la patrie. De petites personnes aussi laborieuses dans le don de leur énergie que nous dans celui de notre vie. Aucune différence aux yeux du planificateur ! Le tout, assemblé, bout à bout, créait la révolution prolétarienne.

Une révolution sans égard pour la personne.

Cette indifférence, je l’ai vécue à Karkhov, en mai 42.

Je vous passerais les circonvolutions stratégiques de nos hautes autorités compétentes. Ma première confrontation avec la mort, mort que je partage avec mon ennemi, fut à la hauteur des ambitions d’un des plans quinquennaux qui nous avait accablé.

Une boucherie à l’échelle industrielle. 1 homme sur 9 en a réchappé.

Je me suis lancé, le ventre vide, 5 balles dans ma cartouchière avec un fusil que je n’avais pas encore pratiqué, face aux 1200 balles par minute des MG qui nous fauchaient mieux que les tracteurs ne le faisaient avec le blé de l’usine Djersinsky !

Devant, à côté, derrière, les maigres liens que j’avais pu entretenir tombaient comme les douilles vides qui les éliminaient. Le rapport mathématique et réaliste du matérialisme de classe se prouvait et se confondait dans mon appréciation de petit paysan, avec une machinerie dont je ne concevais, qu’une fin héroïque ou misérable.

A part un rouage, une fine couche de graisse qui permet l’absolu cliquetis de nos rustres mitrailleuses, avec la double terreur des groupes d’arrêt de la police politique, ma seule volonté était d’en rechapper, au diable la patrie ! Au diable les Allemands : juste « Ta Mère ! »

J’ai voulu vivre.

Pour ce faire il me fallait me rendre indispensable….

A suivre…

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