Chapitre 1 - Écume - Partie 3
Les trois jeunes humains progressèrent avec beaucoup de difficultés. Se rapprocher du rivage augmentait significativement les pièges. Mais les promesses qui résidaient dans le véhicule aperçu auparavant justifiaient cette prise de risque. Leur jeunesse et leur soif de découvertes semblaient leur donner des ailes. D’ailleurs, Santo redoublait de dextérité, impressionnant, comme toujours. Abi et Flat tentaient de le suivre sans trop s’écarter de son chemin. Parfois, le petit groupe stoppait son avancée pour répertorier quelques matériels ou objets intéressants. Cependant, ils préféraient les laisser sur place, quitte à les récupérer au retour.
Flat, moins agile et plus lourd, donna quelques sueurs froides à ses compagnons. Malgré tout, à force de ténacité et d’entraide, ils atteignirent leur but. Santo se précipita, excité comme jamais.
« Regardez-moi ça ! Une navette des Bas-Niveaux ! s’exclama le jeune homme, posant devant le véhicule, le poing gauche plaqué sur sa hanche et tenant sa gaffe toute droite.
Abi, plus prudente, prit le temps d’observer les alentours.
— La porte principale d’accès est grande ouverte. La navette est totalement submergée. Je suis étonnée qu’elle soit là, observa la jeune femme.
— Je vais faire un tour dedans, annonça Santo en replaçant correctement le masque sur son visage.
— Attends. Faisons le tour avant, proposa Abi, l’arrêtant d’un geste de la main.
— Les ballasts sont pleins. C’est étonnant qu’elle soit remontée, indiqua Flat en se relevant après avoir observé le flanc de l’engin.
— Une poche d’air peut-être ? Il y a peut-être quelqu’un dedans, déclara Santo. J’y vais, annonça-t-il.
Abi sentit qu’elle ne pourrait pas le retenir plus longuement.
— Fais attention. Ne reste pas trop longtemps. Je n’aime pas trop ça. Ce n’est pas un déchet habituel. »
Santo n’attendit pas un instant de plus, posa sa gaffe, ajusta son masque et entra dans l’eau. Il attrapa de la main le bord de l’accès à la navette et activa ses systèmes d’éclairage. Les conditions visuelles étaient idéales, l’eau présentait une transparence cristalline.
Le premier endroit où il se trouvait correspondait au sas d’entrée. Tous les accès étaient déverrouillés, chose totalement inhabituelle. Au passage, il récupéra quelques précieux et récents matériels pour faciliter l’évolution en milieu aquatique. Devant tant d’objets récents, ses mains étaient tremblantes d’excitation. C’était littéralement une caverne remplie de trésors dernier cri. Il chargeait ses besaces, puis reprit son exploration. Il passa un second sas dont certains trésors se retrouvèrent aussitôt dans ses grands sacs. Il n’en revenait pas. Une grande salle s’ouvrait à lui, munie de nombreux pupitres. Tout semblait mort. Il sentait la tension monter. S’il devait exister une poche d’air suffisante à faire flotter la navette, cet endroit était idéal. Mais cette partie était aussi submergée. Il avait déjà passé assez de temps sans donner de nouvelles pour que ses compagnons commencent à s’inquiéter. Il restait beaucoup de choses à vérifier, à fouiller et à récolter. Ses besaces de glaneurs ne suffiraient pas, celles de ses compagnons non plus. Il était à la croisée des chemins, en dessous de lui se trouvait la soute et ses trésors, et au-dessus, le poste de pilotage. Il fit son choix.
Elle avait réussi un exploit qu’aucun Terrien n’aurait pu accomplir. Elle avait alterné les phases de plongée de plusieurs minutes. Puis se laissant dériver, elle suivait le courant lui étant parfois favorable en surface. Elle écoutait son instinct. Son corps avait été modelé dans ce but. L’humaniformation avait joué à plein régime. Là où une part de l’humanité avait, pour l’instant, échoué à transformer les astres à l’image de leur berceau la Terre, d’autres humains avaient fait le pari de s’adapter physiquement et psychologiquement à leurs nouveaux environnements. Elle en était le fruit.
Cependant, la fatigue s’accentuait dangereusement. Ses muscles commençaient à ne plus totalement lui obéir. La hantise de crampes douloureuses surgissait dans son esprit. Heureusement pour elle, le but était désormais à sa portée. Elle regroupa ses dernières forces pour allonger sa nage sous-marine. Elle sentit une aide extérieure, le courant la portait toujours un peu plus.
Abi et Flat avaient dépassé le stade de l’impatience pour franchir celui de l’inquiétude. Soudain la tête de Santo fit son apparition dans la porte d’accès de la navette.
« T’en as mis du temps ! lança Abi.
Le jeune homme ruisselant, d’un geste bref, s’assit sur le bord d’une plaque.
— C’est qu’il y a tant de trucs super à récupérer. Regardez ça, jeta Santo en ouvrant avec précaution une de ses besaces.
— Wouahoh ! Des compenseurs Poisseux ! cria Flat.
— Et ça, ce n’est rien comparé à ce qui nous attend dans la soute… Abi…
Mais Abi était comme hypnotisée, elle semblait scruter l’horizon. Elle appuya sur ses lunettes pour stabiliser sa vision.
— Il y a quelqu’un là-bas, indiqua-t-elle.
Santo sortit totalement de l’eau, se redressant d’un bond, et imita la jeune femme. Flat mit quelques secondes à faire de même, encore retourné par les trouvailles de son ami.
— On dirait un Poisseux… Il y avait des corps dans la navette ? demanda la jeune femme.
— Non. Aucun. J’ai vérifié la cabine de pilotage avant de venir vous chercher pour fouiller la soute.
— On devrait partir. Si on nous trouve à fouiner dans les affaires de Poisseux, ça risque de chauffer pour nous et pour la bulle, proposa Flat, stressé.
— Il semble en difficulté. Le courant l’emmène vers le tourbillon un peu plus loin. Une fois dedans, c’est foutu, continua Abi, absorbée par son observation.
— On devrait pas. Son pimplant va nous marquer. Partons, insista leur ami.
— Fais ce que tu veux, Flat. Moi, je ne laisse plus personne partir dans un tourbillon, lança Abi dont le regard démontrait une volonté indéniable.
— On y va. On ne sera pas trop de trois », invita Santo.
Flat ne répondit que par une suite de borborygmes incompréhensibles. Il n’y avait rien à ajouter, surtout après la sortie d’Abi. Santo fixa fermement ses besaces pleines de trésors et emboîta le pas à la jeune femme.
La nage devenait complexe. Le courant salvateur changeait peu à peu de visage. Elle compensait comme elle pouvait, mais la surprise était totale. En addition, un léger courant venu de sa gauche l’avait happée. En l’espace de quelques secondes, ce fut comme si de nombreuses mains l’agrippaient, forçant ses membres à redoubler d’efforts pour s’en soustraire. Malheureusement, l’énergie qu’elle avait su garder ne suffisait plus. Désespérément, elle tentait de plonger pour gagner en profondeur un mouvement d’eau plus calme. C’était peine perdue. La fatigue l’inondait et elle se sentait sombrer dans le désespoir. Puis, l’impossible, l’impensable se produisit. Lors de sa dernière remontée, une petite bouée vint éclabousser son visage. Elle était proche du rivage, mais encore trop loin pour expliquer la présence inattendue de l’objet. Instinctivement, elle attrapa la poignée de la chose flottante. Désormais, le bas de son corps ne luttait plus et se laissait emporter vers le courant. La bouée fila un peu puis s’arrêta. Elle y ajouta sa deuxième main pour assurer la prise. Elle sentit une tension provoquée par d’autres mains, salvatrices, lui redonner espoir.
« Flat ! Bloque ! Bloque cette fichue gaffe ! hurla Santo.
— C’est bon. Elle l’a attrapée, indiqua Abi.
— Elle ? s’étonna Flat.
— Oui, c’est une Poisseux.
— Laissez couler un peu !
— C’est bon ! C’est bloqué ! confirma Flat.
— Allez ! On tend !
— Elle s’accroche.
— Tirez ! Ramenez… Bloquez ! Tirez ! Ramenez… Bloquez ! » scandait Abi en cadence.
Les trois jeunes humains se tenaient comme un roc sur un rivage de déchets. Leur mouvement rythmé fut bientôt visible par la rescapée. Elle n’en croyait pas ses yeux. Leurs voix l’emplissaient de soulagement. Ses mains fermement verrouillées sur la bouée. Elle se laissait mener vers le salut.
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