Chapitre 1 - Écume - Partie 9
Tout ce que regardait la jeune femme autour d’elle lui semblait familier et pourtant si lointain. L’arrivée dans la bulle de vie de ses trois sauveteurs avait été mouvementée. Durant la descente, la jeune Poisseux avait montré des signes de détresse évidents. L’épuisement autant physique que psychique la gagnait. Effet cumulé du stress et de son sentiment de perdition, ses forces semblaient la fuir. Heureusement, Santo avait redoublé d’attentions envers elle. À peine sortie du sas, elle s’écroula. Flat, qui avait laissé enfin de côté son inquiétude légitime, et Santo l’avaient transportée aussitôt au rond de soins, à proximité.
À son réveil, Santo semblait assoupi sur un fauteuil façonné à partir d’une ancienne couchette de navette. Le premier sentiment de la jeune femme fut une forme de crainte. Elle savait pertinemment qu’elle était étrangère en bien des points aux jeunes gens l’ayant secourue. Elle se remémora leurs prénoms : Abi, Flat et Santo. Les lieux étaient propres et rangés. Il y régnait un ordre et un côté pratique qui lui plut. Pourtant, la plupart des objets paraissaient anciens, défraîchis, comme sortis de vitrines de musées pour rejouer des scènes d’antan.
Elle tenta de se redresser, mais son corps lui intima de rester allongée encore. La présence du jeune homme repoussait la peur de l’inconnu. Soudain, des pas se firent entendre, se rapprochant. Bien que légers, ils lui donnèrent la chair de poule. Puis, le son des pas prit une consistance feutrée, le corps d’une femme d’âge mûr passa la fine toile de l’accès de la pièce.
« Ah ! Je vois que vous êtes réveillée. Santo devait m’avertir, mais… il a plongé. Brave garçon, annonça avec un ton plein de tendresse la personne qui semblait avoir la charge du lieu.
— J’ai dormi longtemps ? Où suis-je ? Qui êtes-vous ? demanda la jeune Poisseux désorientée.
— Ne craignez rien. Reposez-vous, l’invita la grande femme en s’asseyant près d’elle. Vous avez repoussé un peu trop vos limites. Vous êtes dans le rond de soins Ouest de notre bulle de vie. Elle n’a pas d’existence officielle auprès de vos services, mais nous la nommons Vitanova. Vous vous trouvez à un peu plus d’une centaine de mètres de la surface de notre planète océan, Fomalhaut-Ae pour vous et Lonvine pour nous. Mais tout cela, vous devriez déjà le savoir, n’est-ce pas ?
— Ce n’est pas le cas. Tout ce dont vous me parlez ne me dit absolument rien, indiqua la jeune Poisseux.
— Effectivement, les jeunes avaient raison. De plus, votre pimplant semble hors service. Mais, de cela, on s’en occupera plus tard.
— Mon PIM… quoi ?
— Votre pimplant, il s’agit d’une interface directement incrustée dans votre boîte crânienne. Son rôle principal est de… comment vous expliquer…
Le visage de la femme se ferma un instant pour s’illuminer aussitôt l’idée apparue.
— … de vous éviter d’avoir à penser par vous-même.
La jeune rescapée sembla perplexe.
— Abi m’avait indiqué votre désorientation. J’étais d’avis comme elle que cela résultait de votre état de choc. Mais la situation apparaît désormais bien plus complexe. Vous ne vous souvenez absolument de rien ? demanda la responsable du lieu.
— Non. Rien. Dès que je cherche à me souvenir de quoi que ce soit avant mon éveil en glissant dans l’eau, c’est comme si je plongeais dans le vide. La sensation est très dérangeante. Pourtant, tout ce qui s’est passé ensuite ne me pose pas de problème de mémoire. Santo, Abi et Flat ont été très bien avec moi. Seul Flat semblait effrayé par ma compagnie.
— Mmm… Le marquage, murmura la femme.
— Pardon ?
— Oui. Un système pas très sympathique qui enregistre l’ensemble de nos paramètres biométriques à votre insu. Le pimplant les stocke et les envoie dès que possible vers là d’où vous venez.
— Je ne comprends pas.
— Cessons cette discussion. Il est impératif que vous vous reposiez. J’ai renvoyé Abi et Flat chez eux. Vous devriez avoir de la visite bientôt. Les questions vont vous fatiguer. Je tâcherai d’y veiller, maintenant, que votre amnésie est avérée.
— Ma perte de mémoire va-t-elle durer longtemps ? J’ai si peur.
La grande femme afficha un doux sourire qui suffit plus que les mots à rassurer la jeune Poisseux.
— Je ne connais même pas votre nom, ajouta la jeune femme.
Son interlocutrice se rejeta légèrement en arrière avec un petit rire.
— J’avais oublié de me présenter. Je suis Nella, biologiste de Vitanova, et la mère de Santo. Allez. Reposez-vous un peu. Les enquiquineurs ne devraient pas tarder », conclut celle en qui la jeune femme aurait elle-même souhaité être apparentée sur le moment.
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