Chapitre 2 - Délivrance - Partie 5
Que Louis Troval, le centurion le plus influent de Vitanova, l’ait inclus dans la décurie de recherche concernant la navette des Bas-Niveaux, trouvée peu avant leur rencontre avec la jeune Poisseux, donnait à Santo une impression de reconnaissance. Dans cette bulle de vie, chacun participait à son niveau et selon ses capacités à la vie commune. Et cette fois-ci, le jeune homme pourrait montrer sa valeur aux yeux des autres habitants. Beaucoup d’entre eux connaissaient Santo et sa mère pour leur singulière histoire. Une affection particulière de la population en était née. Ainsi, ils lui avaient pardonné plus facilement que d’autres quelques errements de jeunesse. Cependant, il était devenu ces dernières années un glaneur reconnu, de plus en plus incontournable en ce qui se référait aux trouvailles, comme il les nommait, résultat de ses multiples sorties à la surface.
Ainsi, c’est auréolé de la toute récente confiance du centurion qu’il traversa le bout de chemin qui le menait vers le grand sas de sortie. Il aurait aimé croiser, ou rendre visite à Défine, avant de partir à la surface. Mais, la jeune femme avait encore besoin de repos. Nella décida de limiter au strict minimum les interactions pendant au moins une semaine. Pour Santo, c’était la seule ombre au tableau. La veille, il avait fanfaronné devant Flat qui avait repris ses bonnes habitudes festives. Il devinait aisément qu’à cette heure matinale, son ami dormait à poings fermés, se reposant de ses excès nocturnes. Il sentait que depuis quelque temps Abi et lui se détachaient de Flat, comme si les courants de la vie les poussaient inéluctablement dans des directions différentes.
Un membre de la décurie de recherche l’accueillit avec une tape amicale sur l’épaule. Santo salua tout le monde rapidement. Louis Troval s’approcha de lui d’un pas décidé.
« Salutations mon garçon, cette fois ne perds pas trop ton temps à fouiner partout », lui lança le centurion avec un clin d’œil similaire à ceux qu’Abi lui lançait à l’accoutumée.
Le grand homme tourna la tête et clama tout haut en frappant dans ses mains.
« La décurie est au complet. Que chacun s’équipe pour la montée et l’évolution en surface. Nous avons peu de temps. Une tempête force cinq est en approche. Il nous faut absolument en savoir plus sur cette navette. Je compte sur vous tous pour faire preuve d’intelligence, de solidarité. Et surtout, veiller sur Santo. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Personne ne discuta les ordres de Louis Troval. Chacun récupéra un masque de respiration et les différents outils nécessaires à son évolution et à l’inspection de la navette. Necko, le bricoleur de génie, leur avait préparé de quoi diagnostiquer le véhicule. Une nouvelle fois, le père d’Abi vint à la rencontre du jeune homme.
« Tiens, Abi m’avait donné ça. Mais, je préfère que tu le gardes avec toi.
— Le compenseur Poisseux ? C’était la part d’Abi, lui répondit Santo.
— Tu entreras en premier dans la navette et je veux mettre toutes nos chances de notre côté. Mirka plongera avec toi vers la soute. Tandis que deux autres iront vers le poste de pilotage.
— Mais, je pense…
— Il n’y a pas de mais. Je ne veux pas avoir à annoncer une mauvaise nouvelle à Nella. Quoi qu’il arrive, si tu sens que la situation t’échappe, tu ne réfléchis pas. Tu actives le compenseur, compris ?
Le ton et le regard appuyé du centurion ne laissaient pas de champ à la discussion.
— Oui, répondit simplement Santo en récupérant l’objet de haute technologie Poisseux. Et la tempête ? s’inquiéta le jeune homme.
— Je ne m’attendais pas à ce qu’elle approche de nous si vite. Mais, nous aurons le temps de mener à bien cette sortie. Ne perdons pas plus de temps. Tout le monde est déjà prêt », répondit le centurion en fixant son masque de respiration.
La grappe humaine remontait doucement les eaux cristallines du grand tube de sortie, baignées par les lumières artificielles de leurs combinaisons. Santo suivait le rythme avec l’aisance de sa jeunesse. Il patienta lors de l’ouverture du sas. Puis chacun suivit Louis Troval à la surface. L’île synthétique et sa masse de déchets avaient encore changé d’aspect, et elle changerait une nouvelle fois. Le centurion n’avait pas menti, au loin, une masse sombre couvrait une majeure partie de l’horizon. Ils devraient faire vite pour ne pas se faire prendre dans les vents et la houle violents. Car le danger ne viendrait pas de la tempête et des pluies diluviennes, mais du sol précaire où chaque plaque, planche ou objet pouvait devenir un piège mortel. Santo prit conscience que les sorties, qu’il affectionnait avec Abi et Flat, s’apparentaient à des promenades innocentes.
La décurie, en file indienne, progressait avec la plus grande prudence. Après une première partie aisée, le petit groupe approchait du bord de l’île. Mirka se positionna pour ouvrir la marche. Il était connu pour son habileté et son don à sentir les pièges de la surface. Louis Troval et les autres le regardaient avancer de quelques mètres puis donner le signal aux autres pour avancer. Enfin, au bout de quelques dizaines de minutes, la navette des Bas-Niveaux présenta son flanc ouvert.
Une légère houle commençait à se faire sentir. Sans attendre et exécutant les ordres préétablis, chacun se prépara à mener sa tâche. Santo sentit la pression monter. En temps normal, l’instinct le guidait. Mais cette fois, il devait suivre des ordres pour ne pas mettre en difficulté l’ensemble de la décurie. Avant de plonger en compagnie de Mirka, il regarda Louis Troval observant au loin avec un regard plein d’inquiétude le sombre horizon. Mirka donna un petit coup de main sur la cuisse du jeune homme pour le ramener au moment présent. Aussitôt, Santo s’exécuta et plongea dans les entrailles de la bête en matériaux composites.
À l’extérieur, une partie de la décurie s’affairait à sonder les organes de la navette. Louis Troval en compagnie d’un autre homme parcourut la coque. Les ballasts n’avaient pas joué leur rôle. Pourtant, la navette était parvenue à remonter à la surface. Au fur et à mesure de leur investigation, le nombre de questions sans réponse s’accumulait. Mais tout laissait penser à une remontée en urgence qui sortait totalement des habitudes de navigation. Une autre confirmation tomba. La navette était vidée de son énergie. Louis Troval fit un rapide rapprochement avec le pimplant hors service de Défine.
Les mouvements à la surface s’amplifiaient à mesure que la masse tempétueuse approchait. À l’intérieur de la soute, Santo et Mirka n’en avaient pas la perception. Ils nageaient à travers les objets qui n’avaient pas été fixés ou qui s’étaient échappés de leur contenant. Le jeune homme repéra quelques objets qu’il aurait pu mettre dans sa besace. Mais leur objectif était tout autre cette fois-ci. Le premier soulagement pour les deux hommes, et surtout pour Santo, se confirmait par l’absence de corps. Tout laissait penser pour l’instant que la jeune Poisseux était l’unique passagère. Lors de sa première visite, avant de secourir Défine, avide de faire quelques superbes trouvailles, il n’y avait pas réellement pensé.
Un des hommes de la décurie remonta de sa plongée d’inspection autour du véhicule. Il semblait pressé de retrouver le centurion.
« Louis, on a un très gros problème. Il faut faire sortir tout le monde de la navette rapidement.
— Qu’est-ce qui se passe ? répondit le centurion.
— Une énorme citerne est reliée par tout un tas de liens à l’arrière de la navette. Ce ne sont pas les ballasts qui ont remonté l’engin. C’est elle. Elle est très instable et présente une grosse brèche sur la partie supérieure.
— D’accord. Je vais les chercher.
— Non. Louis, j’y vais. Il me reste encore de la réserve », répondit l’homme avant de pénétrer dans les entrailles de la navette.
Le grand homme ressentit en lui une angoisse profonde : celle du coup pour rien. Ce moment où l’on perd plus que l’on ne gagne. Il ordonna d’un geste de la main aux membres de la décurie restés en surface de le rejoindre. Puis ses yeux se fixèrent sur la bouche béante du véhicule, tandis qu’une houle puissante les fit trébucher.
Santo ne comprit pas tout de suite. Mais tout se mit à bouger autour de lui. Ne pas penser. Ne pas réfléchir. Ne pas chercher à comprendre. Les mots de Louis Troval firent surface dans son esprit. Il activa le compenseur.
Le bilan fut lourd : un disparu, aucune réponse, une navette engloutie, une tempête à affronter.
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