Chapitre 2 - Délivrance - Partie 10
Une sensation de bien-être l’entourait. Tout son corps flottait dans un nuage cotonneux. Elle aurait pu rester des heures, des jours entiers dans ce doux cocon. Par flots successifs, elle sentait de petites taches de chaleur ici ou là, comme si de grosses gouttes d’eau chaude tombaient sur ses membres. Un fond sonore ponctué d’une rythmique fondamentale donnait au temps une consistance, un écoulement. Petit à petit, ses sens se reconnectaient au monde. La vue suivit avec un léger halo tirant sur le jaune où une masse sombre semblait se mouvoir. Le goût et l’odorat arrivèrent en dernier, puissants, assez précis pour lui faire comprendre qu’elle nécessitait de lourds soins.
Les images mentales défilaient, mélangeant les lieux et les époques, la réalité et la fiction. Des bribes de rêves d’enfant, de vie d’adulte. Soudain, ce fut comme si son cortex était assailli d’un flux ininterrompu d’informations. Une montagne de données se déversait sur elle. Les mots, les chiffres, les symboles se groupèrent formant des phrases incompréhensibles. Ils se rapprochaient d’elle irrépressiblement. Les phrases s’empilaient formant d’erratiques images. Elle crut reconnaître des lieux, des ruelles. Elle esquiva une première vague qui s’écoula à sa droite. Les phrases sifflaient leurs lettres. Les chiffres et les symboles pleuvaient autour d’elle. Une structure se forma, rassurant par sa stabilité. Les couleurs revenaient, habillant l’édifice. À sa surface, les mots prenaient sens. Les phrases se structuraient. Elle y reconnut les textes sur lesquels elle travaillait. Un petit paragraphe se détacha. Elle s’approcha tout en évitant de se faire happer par le flux ininterrompu de données qui bordait son chemin. Elle lut.
« L’humaniformation est et sera le futur de l’humanité, là où certains crurent bon de favoriser l’adaptation et la pluralité des aspects. Moi, Sunita Ailurus, je crois qu’il s’agit d’un non-sens. Notre société nécessite que chacun soit l’égal de l’autre quitte à effacer nos traits, nos genres. Nous devons maximiser l’humain, l’acclimater. Que chaque individu, soit une pièce interchangeable du grand tout. »
Son esprit entra en ébullition. Elle ne se reconnaissait aucunement dans ces mots. Aussitôt, en réponse, ils s’effacèrent lui laissant l’accès libre à l’intérieur du bâtiment. Derrière elle, la tempête s’amplifiait et l’observait. Les couleurs et les phrases couraient le long des murs. Les symboles jonchaient le sol. Le couloir se perdait au loin renforçant sa luminosité. Le long de son parcours, elle lut quelques bribes des nombreux textes qu’elle avait étudiés. À mesure qu’elle avançait, les mots se paraient d’excroissances. Bientôt, il fut presque impossible de les lire. Les couleurs s’harmonisèrent, sur le fond du bout du couloir, un visage se détacha, le sien.
Quand elle l’observa ; ce ne fut pas Sunita qui résonna ; ce fut Défine qui se révéla. Défine se mêla à Sunita. Sa mémoire était là. Une et indivisible.
Tout lui revint : la fuite, la navette, la nage effrénée vers un rivage, l’amnésie, Vitanova, Santo, Abi et la douleur.
L’image bascula au sol. Un léger vertige la parcourut. Une salle immense peuplée de visages plus différents les uns que les autres remplissait toute la surface d’un immense dôme. Elle ne sentit aucune crainte. Elle reconnut ses parents, quelques membres de sa famille, des connaissances, ses cohabitants, Melinelle, Inmar Baldon, Bianca Solgarde. Plus elle soulevait son regard de la base, plus elle avait l’impression d’avancer dans le temps. Au zénith se tenaient Louis, Nella, Santo, Abi et le visage d’un nouveau-né. Ce fut ce que ses yeux virent pour la première fois.
« Mon fils » furent ses premiers mots.
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