Errances
Les deux amis marchaient sans parler. La sueur trempait le bas de leur dos alors que le premier soleil approchait de son zenith. Il avait été rejoint par ses deux homologues et la température en devenait pénible, même sous la protection de la canopée. Warren haletait, tandis que Hazu se servait de sa dague comme d'un éventail.
« Voilà bien des heures qu'on marche et toujours pas d'eau... Je meurs de soif et j'ai mal au pied. »
La voix de l'elfe, geignarde et enfantine, exaspéra le mercenaire qui continua de marcher. Son ami s'assit sur un rocher, à bout de force. Warren s'arrêta aussi et observa son compagnon d'infortune, occupé à creuser la terre du bout de son soulier. Son attention fut cependant attirée par une étrange plante, juste derrière Hazu.
Les feuilles larges, arrondies en leur extrémité, s'empilaient en rosette. Elles brillaient, recouvertes d'un vernis. Leur vert profond dénotait avec les couleurs automnales alentours et une fleur rose vif trônait au centre du feuillage, plume extravagante de cet oiseau végétal.
Warren s'approcha, hypnotisé. Arrivé à hauteur de la plante, une forte odeur de clou de giroffle lui attaqua le nez. Une dizaine d'insectes tournaient autour de la fleur solitaire et le mercenaire découvrit avec stupeur l'eau piégée entre les feuilles. Il se releva pour chercher Hazu mais celui-ci se tenait déjà à ses côtés. L'elfe poussa un cri de joie.
« Une Broméliacée ! Warren ! Tu es un génie d'avoir pensé aux fleurs d'ananas ! »
Le mercenaire n'écouta pas les explications de botanique et sortit aussitôt le Tout. De nouveau, les fils argentés illuminèrent les environs malgré l'intensité des soleils. Là encore, certains s'arrêtaient net et ils localisèrent un portail. Hazu le rejoignit et Warren remit l'objet dans sa poche. Les rubans de lumièrent disparurent aussitôt.
Les deux compagnons traversèrent ce deuxième passage et se retrouvèrent dans un paysage alpin. La rocaille sèche limitait la végétation mais quelques chardons poussaient ça et là. Au pied de la pente, la Forêt des Pas Perdus s'étendait sur des kilomètres. La Danseuse se frayait un chemin entre les arbres, tel un petit ruisseau dans l'herbe d'une prairie. Tout proche, le bruit d'un torrent accompagnait celui des oiseaux de proie. A l'horizon, une montagne se détachait du reste de la chaîne, imposante de par sa taille mais aussi sa couleur. Le rouge carmin de ses roches contrastait vivement avec le bleu du ciel. La Canine Sanglante méritait bien son surnom, pensa Warren.
« Eh ! Par ici ! »
L'elfe disparu derrière une pente caillouteuse et abrupte.
« La Danseuse prend sa source ici. Suis-moi. »
En effet, la rivière jaillissait en flot vifs. Les eaux d'un bleu cristallin attestaient de la présence d'un glacier plus en amont et quelques saumons tentaient d'en remonter le courant en sauts hazardeux. Sans plus attendre, Warren plongea l'artefact dans le liquide gelé. L'explosion de lumière fut phénoménale. L'entièreté du fleuve s'illumina et le réseau apparut enfin sur le sol. Parfois, les pierres cachaient certains rubans et les deux amis eurent du mal à savoir où aller. Ils decidèrents de descendre le long du court d'eau, pour se rapprocher de la forêt.
Après trois tentatives infructueuses, ils firent une pause et comtemplèrent le paysage. Ils remarquèrent alors la clairière qui trouait le tissus sylvestre. En son centre, un bâtiment discret poussait comme un champignon sur le gazon. Sans échanger de paroles inutiles, les deux amis redoublèrent d'effort pour trouver le chemin vers le Temple des étoiles rouges. Au bout d'une heure, leur travail porta ses fruits et ils traversèrent un autre portail.
Téléportés de nouveau dans le bois, ils furent rassurés de constater que la Danseuse coulait paresseusement non loin de là. Hazu se precipita dans la direction en question et Warren vit avec effroi son ami se faire engloutir par la terre. Le mercenaire s'élança en criant, persuadé d'avoir affaire à un terrier de Palgus. L'angoisse lui donnait des ailes et une fois sur les lieux, il comprit. Il éclata alors d'un rire sonore qui le libéra de son stress.
« Bon. Quand t'auras fini de te moquer de moi, tu pourras peut-être m'aider, Maître. »
Au fond de la fosse, Hazu baignait dans une bouillie nauséabonde. Ses habits, sa peau et sa chevelure en étaient maculés. Le pauvre peinait à se mouvoir et les parois trop lisses l'empêchaient de grimper à la surface.
« Ca t'apprendra à courir partout comme un enfant ! Mon dieu que c'est drôle ! J'en mouillerais presque mes culottes !
- Ah non ! Je suis dans une fosse d'excréments de Palgus, j'ai pas besoin que tu viennes y rajouter ton uri... »
Un tremblement de terre lui coupa la parole car les fécès liquides lui giclèrent au visage. Le calme revenu, ses yeux lancèrent des éclairs en direction de Warren qui se tenait le ventre, hilare. Une seconde secousse, plus proche, fut accompagnée d'un hurlement sous-terrain qui leur glaça le sang.
« Hazu, attrape ma main. Vite ! »
Le sol vibra encore et le cri caverneux effraya un groupe d'oiseaux. L'elfe s'aggrippa au poignet de son ami et se hissa tant bien que mal hors du trou. A peine sur pieds, les deux hommes s'enfuirent vers le fleuve. Hazu se tordit la cheville sur une racine et trébucha. Il s'étala de tout son long en jurant. Warren fit marche arrière et releva son ami. Ils étaient tous les deux à bout de souffle. Le mercenaire plaça son épaule sous le bras de l'elfe blessé et ils clopinèrent quelques mètre avant d'être propulsés au sol dans une explosion de terre.
Devant leurs yeux ahuris, un énorme ver sondait l'air de son museau aveugle. L'immense créature gigottait ses muscles en anneaux au-dessus d'un trou béant dans le sol. Sa bouche circulaire possédait tellement de rangées de dents, qu'il était impossible d'en savoir le nombre exact. La peau rosée de l'animal luisait de mucus et bourssoufflures brunes séparait son corps de manière régulière.
Hazu réprima un hoquet et plaqua sa main sur ses lèvres. Warren serrait le Tout, paré à combattre.
Le Palgus tourna sa tête dans toutes les directions avant de s'arrêter juste au-dessus d'eux.
Hazu étouffa un sanglot et mima le signe de l'Eternelle en une ultime prière.
La créature approcha sa gueule fermée et l'ouvrit telle un vortex carnivore, prête à gober ses proies. Une langue violacée surgit du fond de la gorge du monstre et lécha l'elfe. Dans un couinement, le Plagus recula vivement et retourna dans ses tunnels aussi vite qu'il en était sorti. Le tumulte de ses déplacement sousterrains secoua encore la forêt puis le silence reprit ses droits.
Warren s'assura qu'il était entier avant de s'enquérir de son ami. Blanc comme un linge, l'elfe tremblait de tous ses membres. Une salive visqueuse dégoulinait encore le long de son flanc gauche et s'accumulait sous son séant.
« Finalement, ce bain de bouse nous a peut-être sauvé la vie. »
La voix coassante d'Hazu détendit l'atmosphère et Warren le serra dans ses bras.
« Toi aussi tu veux sentir la fiente de ver ? »
Le mercenaire était juste soulagé de savoir son ami intact, autant physiquement que moralement. L'humour de l'elfe lui mit du baume au coeur et, une fois avoir retrouvé leurs esprits, ils rejoignirent les eaux salvatrices de la Danseuse dans lesquelles ils se jetèrent sans hésiter.
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