Chapitre 6

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Les semaines s’étaient rapidement écoulées pour l’adolescente. Elle avait été officiellement placée chez Alban sur la fin du mois de Septembre, et ce dernier l’avait changé de lycée. Elle n’avait pas été plus dérangée que cela par son changement d’environnement, tout du moins, elle n’avait été ennuyée. Elle y avait même gagné quelques jours de « vacances ». Forcés, certes mais elle en avait profité pour s’habituer à son nouveau chez elle, ranger ses dernières et maigres affaires, mais aussi visiter les alentours, comme elle le faisait aujourd’hui. Les écouteurs vissés sur les oreilles, la jeune femme s’était chaudement habillée. Son bonnet enfoncé sur le crâne et emmitouflée dans une chaude veste, elle marchait d’un pas vif dans le petit bois non loin de chez son tuteur. Elle aimait bien venir se promener ici. Les couleurs de l’automne envahissaient doucement les feuilles, et le tapis d’humus amortissait le bruit de ses pas. Ce n’était pas la même sensation de silence qu’il y avait lorsqu’il neigeait, mais là perdue au milieu du petit bois, elle retrouvait cette sensation d’être seule au monde, seule être humain vivant à des kilomètres à la ronde. Ce qui était totalement absurde puisque à moins d’un kilomètre, se trouvait le lotissement où elle habitait à présent avec Alban. Elle s’assit près d’un petit ruisseau, regardant l’eau couler dans son lit, les notes envoûtantes des mélodies de Lindsey Stirling l’aidant à oublier un peu plus sa situation. Elle angoissait plus qu’elle ne le laissait voir : elle s’inquiétait pour son oncle, elle avait peur de changer d’environnement : cela se passerait-il mieux que dans son lycée actuel ou serait-elle encore mise à l’écart ? Oserait-elle aller vers les autres ? Elle ne savait pas, elle ne connaissait personne, la solitude ne lui faisait pas peur, mais elle détestait être la bête de foire et cela ne lui arrivait que trop souvent. Parce qu’elle était différente : elle avait une couleur de cheveux particulière, elle était surdouée, discrète, orpheline, pas forcément sociale. C’était d’ailleurs un véritable mystère pour elle, elle ne savait absolument pas comment se comporter avec des personnes de son âge, elle s’entendait mieux avec des enfants ou des adultes. Et c'était sans compter ses dons qu'elle ne maîtrisait pas et qui semblait se developper de plus en plus. Que ferait-elle si d'un coup ils échappaient au peu de contrôle qu'elle avait sur eux ?Elle soupira légèrement, fermant les yeux retirant ses écouteurs, elle écouta le bruit de l’eau, de la nature avant de soudain se relever vivement le cœur battant.

- Qui est là ? demanda Talia. Elle n’était pas seule, elle était certaine d’avoir entendue une branche craquée mais surtout elle sentait une présence. Elle vit alors un garçon s’avancer de sous le couvert des arbres. Il était grand, ses cheveux étaient un mélange entre le brun et le roux.

- Salut ! lance-t-il d’une voix enjouée, je pensais pas tomber sur quelqu’un ici !

Talia l’observa, fronçant un peu les sourcils,

- Et ça t’arrives souvent d’espionner les filles ?

- Non seulement les jolies filles, dit Samiael amusé.

- Pitié… marmonna Talia. Elle n’aimait pas du tout la tournure que prenait la conversation et encore moins l’attitude du jeune homme.

- Plus sérieusement, j’ai juste été surpris et tu m’avais l’air profondément enfouit dans la contemplation de l’eau je n’ai pas voulu t’interrompre.

- Raté, lança un peu froidement la jeune femme.

- De toute évidence, dit-il, je m’appelle Samiael et toi ?

Talia cligna une fois des yeux. Elle était déstabilisée, un coup il lui sortait de la drague à deux francs six sous, et la seconde suivante il devenait plus ou moins sérieux.

- T’as perdue ta langue ? lance-t-il amusé.

- Talia, finit-elle par répondre d’un air un peu hésitant.

- Enchanté Talia, répondit Samiael, t’es nouvelle dans le coin non ?

- On peut dire ça…

- C’est pas une réponse ça, rit-il en s’approchant un peu plus de la jeune femme. Elle l’observa plus attentivement. Il était plutôt joli garçon, il avait un visage agréable et des yeux noisettes qui devaient surement en faire tomber plus d’une. Elle croisa les bras sur son torse, se forçant à ne pas reculer et soutenir le regard de Samiael.

- Je vais pas te manger tu sais, tu peux te détendre, dit Samiael un peu surpris par l’attitude de la jeune femme. Certes il n’avait peut-être pas eu la bonne approche mais, il n’était pas méchant au fond.

- Je ne te connais pas plus que ça, je me méfie, répliqua Talia avant de regarder l’heure. Je dois rentrer chez moi, dit-elle en le contournant et reprenant le chemin de chez elle.

- Hé ! Attends !

- Quoi ? demanda Talia en le regardant pas dessus son épaule.

- Tes cheveux, c’est quoi ta teinture ?

Talia roula des yeux, et voilà encore une fois.

- C’est pas une teinture, soupira-t-elle avant de reprendre sa route d’un pas plus déterminée, agacée par la question. Une comme tant d’autre qu’on pouvait lui poser. Elle l’entendit se mettre à marcher à sa suite, avant de la rattraper

- C’est pas une teinture ?! S’exclama-t-il en regardant la jeune femme.

- Oui. Si tu m’as abordé pour parler teinture va voir ailleurs si j’y suis.

- Non non, à la base je voulais pas te déranger mais tu m’as entendu du coup j’ai pas eu le choix, rit-il nerveusement.

- Mhm, fut tout ce que répliqua Talia, qui continuait de marcher à un rythme soutenu, elle n’avait pas forcément envie de rester en compagnie du jeune homme. Elle ne le connaissait pas et comme souvent sa méfiance prenait le pas sur tout le reste.

- Tu habites où ?

- Dans le lotissement un peu plus haut, répondit Talia.

- Oh, on va être amené à se revoir alors ! J’y habite aussi, ainsi que deux de mes amis.

- Ok, dit la jeune femme un peu froidement ce qui n’empêcha pas Samiael de continuer.

- Je te les présenterais si tu veux, ils sont plutôt gentils, je suis sûr que tu les apprécierais !

- Qu’est-ce qui te fait dire ça ? On ne se connait pas.

- Une intuition !

Talia haussa les épaules, il ferait bien ce qu’il voulait après tout, elle doutait de le croiser à nouveau un jour ! Même en vivant dans le même lotissement, rien ne garantissait qu’ils se recroisent.

- Bon, je te laisse ici, à plus ! lança Samiael avant de bifurquer à l’angle de la rue, partant dans la partie gauche du lotissement à l’opposé de là où se rendait Talia, ce qui la soulagea quelque peu.


Mickaël était énervé. Il avait eu une sale journée. Entre le lycée où ses derniers cours ne s’étaient pas bien passés et l’appel du juge le temps de midi… Il n’avait pas envie de passer le reste de sa soirée à se prendre la tête avec Samiael.

- Lâche-moi putain, tu me soules Sam ! Je suis pas d’humeur ! dit rageusement le jeune homme à travers son téléphone.

- T’es toujours d’humeur pour les filles d’habitude !

- Ouais bah pas là !

- Pff… En tout cas, y’en a une nouvelle dans le lotissement, elle a l’air vachement mignonne et bien ton genre !

- Samiael. Je pensais que tu m’appelais pour un truc important si c’est pas le cas…

- Si à la base je t’appelais pour la répétition, le groupe a annulé, ils veulent qu’on trouve une chanteuse avant de s’y mettre vraiment.

- Ok. Bah qu’ils nous refoutent pas Laureen sur le tapis, elle a une voix de merde.

- Mais un corps de rêve !

- …, agacé Mickaël raccrocha au nez de son meilleur ami. Autant parfois, Samiael pouvait être perspicace autant à d’autres… Absolument pas. Le jeune homme soupira et se laissa choir sur son lit en se passant une main sur le visage. Foutue journée. Entre les profs qui avaient décidé de lui prendre la tête parce qu’il ne savait toujours pas dans quoi s’orienter à la fin de son BAC, son prof de musique qui avait décidé de leur planter un contrôle surprise et le juge qui les avait appelé pour annoncer la libération de leur père ainsi que la mise en place d’une garde alternée… avec une journée à passer obligatoire en compagnie de leur père… C’était la cerise sur le gâteau. Mais si en plus Samiael commençait à s’y mettre avec ses histoires de filles… là c’était le pompom ! Il soupira avant de se relever, ouvrant sa fenêtre avant de s’y asseoir écoutant le vent qui se levait et s’engouffrait doucement dans la pièce. Il inspira laissant l’air frai l’appaiser doucement. Il tendit l’oreille, et cru entendre du piano. Il ferma les yeux se concentrant, laissant son ouïe beaucoup plus fine que la normale prendre le relai. S’il se concentrait assez, il entendait tout, même les pensées de ses proches, mais là il se concentrait sur le son du piano. Il rouvrit les yeux, surpris. Cela venait de chez son voisin, Monsieur Alvins. Il ne s’y attendait pas il n’avait pas entendu son professeur jouer depuis…. Bien longtemps. Sauf qu’il n’avait pas l’impression que ce soit son professeur qui jouait actuellement, le touché était trop doux, trop féminin. Et puis la voiture de son voisin qui tournait à l’angle de la rue, confirma ses dires. Il était pourtant perturbé. Il cherchait à lire les pensées de la joueuse, car il était sûre que c’était une femme mais… Il en était incapable ! C’était bien la première fois que cela lui arrivait et il ne comprenait pas, il appréciait autant qu’il détestait cette sensation. Il avait détesté au début ne pas réussir à contrôler ce don, tout entendre, tout le temps, les pensées des personnes autour de lui, maintenant… Il était perdu par ce silence qu’on lui imposait, comme si on lui ôtait un de ses sens. Il avala sa salive, peut-être l’apercevrait-il ? Il scruta les fenêtres, mais ne voyait rien, personne n’était à l’étage, et le salon n’étant pas face à sa fenêtre de chambre… Il était bien incapable de voir l’intérieur. Il soupira, il résoudrait ce mystère une autre fois. Sa mère les appelait pour diner et il ne valait mieux pas la contrarier, elle était assez stressée elle aussi.


Les bips des machines emplissaient la chambre. L’homme à demi assis sur son lit avait le regard vague. L’infirmière entra, poussant un plateau de nourriture.

- Bonsoir ! C’est l’heure de dîner Monsieur Myrdyr, et de votre injection.

Le cinquantenaire ne réagit pas, trop amorphe. Encore un repas à prendre. Encore une journée de passée. Encore une. Quand tout cela allait-il se terminer ?

- Comment vous sentez vous ce soir ?

- Mhrpf, fut tout ce qu’il répondit alors que l’infirmière plaçait le plateau de nourriture devant lui avant d’injecter le calmant dans la perfusion.

- Bien, je repasse vous voir dans une heure, bon appétit, dit-elle en allumant le téléviseur avant de sortir.

Le regard de Sam passa de son plateau à la télé, puis de la télé à son plateau repas. Insipide, cela ne lui disait rien. Comme les petits plats de sa nièce lui manquait et ceux de son épouse encore plus ! Où était Talia ? Etait-elle en sécurité ? Il ne savait plus pourquoi il était là et plus le temps passait, moins il ne se sentait de force à lutter contre ses idées noires. Il se souvenait avoir vue sa petite Talia quelques jours plutôt mais… Est-ce réel ou non ? Il ne savait plus, ne savait plus quand il rêvait et quand il était éveillé. C’était épuisant, ne pouvait-il pas s’endormir pour toujours ? Il attrapa ses couverts, regardant d’un œil morne le couteau. Il semblait coupant, suffisamment peut-être ? Il joua de la pointe, de la lame, sur son poignet. Il avait l’impression d’être à l’extérieur de son corps, de voir quelqu’un le posséder, de l’inciter à faire l’impensable comme ce soir-là dans sa chambre. Il se sentait tellement faible ! Dans le temps cela ne serait jamais arrivé ! Et puis, il se vit enfoncer le couteau sous sa peau avec une force qui n’était pas la sienne, il sentit la douleur et ce fut comme un électrochoc, il réussit à reprendre le contrôle de lui-même, ayant seulement assez de volonté pour presser le bouton d’appel. La dernière chose dont il se souvient avant de perdre à nouveau le contrôle, c’est de se battre avec la force d’un beau diable contre les infirmiers. Et puis la douleur, si forte, vive, qu’il perdit connaissance.

Les infirmiers le transportèrent en salle de soin intensif, totalement perdus. Comment un homme de son âge, de sa corpulence et dans son état pouvait avoir autant de force ? Comment avait-il pu réussir à se couper avec un couteau de cantine, à s’ouvrir la tête avec le lit ? Ils ne cherchèrent pas à comprendre plus que nécessaire, trop occupé à essayer de stabiliser l’état de Sam et à essayer de le sauver.

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