Prologue
Des nuages sombres, une pluie battante, les cris des corbeaux ; un château. Voilà ce qu'un étranger pouvait apercevoir, en pénétrant le royaume du Nord dès l’automne. La boue et les flaques qui s'entremêlaient sur les petites routes de la forêt Parcefal, menaient vers l’imposant fief du roi Aorka. Une traînée rouge et grise traversait la campagne désertique dans le froid du vent et ne s'arrêta qu'à la sortie de la sombre et grande forêt. Sur une plaine en contrebas d’une importante forteresse, des milliers de fantassins en armures noires s'étaient amassés en colonne. Tous, sans mots, scrutaient avec attention les bois devant eux. Un seul craquement de branche morte sur le sol, fit tourner tous les yeux dans la direction de cet écho lointain. Un seul bruit, désormais des dizaines et des centaines, la forêt n'était qu’éclat. Le sol se mit à trembler, les mains des soldats serrèrent davantage les lances et pommeaux d’épées. Les yeux distinguèrent sans surprise, les vastes bannières des Royaumes du Sud. À la tête d’une force considérable, le roi Archibiald VI, seigneur des royaumes réunifiés, se tenait droit sur son destrier blanc. Celui-ci en armure de bataille, menait ses armées aux drapées rouges contre les rebelles nordiques. Suivant trois années de guerre, il était désormais devant ce faux roi qui menait le reste de cette indépendance. Ainsi, cette bataille restera dans les mémoires, car elle décidera du sort des seigneuries sécessionnistes. La victoire pour Aorka, pourrait lui permettre de rallier son prestigieux passé dynastique et faire de lui le futur seigneur des ombres. L’imposante armée du Sud sortait enfin de ses broussailles. Tandis qu’au Nord, nul ne bougeait et aucun ordre ne fut crié. Aorka sur son destrier noir, contemplait la plaine qu’il avait choisie non sans y avoir réfléchie préalablement. En effet, Archibiald sûr de sa victoire, avait scindé son armée en deux. Il avait commandé à son général et héritier, le prince Damian, de mener les combats au-delà des vastes étendus et d’anéantir les renforts venant des provinces de Nirgil et de Northson. Mais, mis au courant par ses éclaireurs, le seigneur du Nord avait donc privilégié l’endroit lorsqu’il apprit que son ennemi maintenant face à lui, ne disposait que du reste de la cavalerie Ariadorienne et de 4 régiments d'infanteries de la fine fleur de Lanfri et de Gallis. Les lignes de chevaux se formèrent en premier, puis le milieu s’effrita en coordination, laissant place au vieux roi et à sa chaîne de commandement. Archibiald était un vieil homme d'une soixantaine d'année dont la barbe bien garnie débordait outre son casque. Celle-ci était tellement imposante, qu'elle venait choir sur son plastron. Il passa devant le premier rang et arborait un sourire paternel, réchauffant les cœurs de ses chevaliers dorés. Il se déporta au centre de la formation se tournant cette fois-ci vers l’armée du Nord. Il s’exclama.
- Démons du Nord, êtes-vous prêt à mourir ?!
Les chevaliers du Sud rirent à gorge déployée comme des hyènes, leurs éclats s'entendirent à l'autre bout de la plaine. Mais la réponse ne fut pas ce que le roi attendait, car les soldats ennemis commencèrent à frapper violemment leurs boucliers en rythme sous l'ordre des sous-officiers. Le roi reprit.
- Aorka, je m'adresse désormais à vous, saleté de lâche ! Je vous laisse jusqu'à la percée des rayons du soleil pour baisser les armes et me donner les clés de votre ville !
Aorka dans son armure s'esclaffa silencieusement puis de plus en plus fort, faisant résonner son rire par-dessus la plaine.
- Pourquoi riez-vous, mon vieil ami ?!
Demanda Archibiald en souriant. Le vieux roi laissait paraître une certaine assurance quant à sa victoire prochaine.
Le roi du Nord s'avança doucement vers les troupes ennemies et répondit d'un ton sec et métallique. Son casque, fait d'un acier brut, recouvrait l'entièreté de sa tête, faisant des paroles de celui-ci ; un écho sombre et bruyant.
- Parce que depuis 5 ans déjà, depuis le début de cette guerre, pas un seul rayon de soleil n'a touché cette terre. La guerre ne sera terminée que lorsque l'un de nous deux pliera le genou ou perdra la vie !
Aorka prit la bride de son cheval et retourna derrière ses lignes. Le roi Archibiald passa devant chacun de ses chevaliers et les regarda fièrement comme s'il eut été leur père.
- Aujourd'hui, le démon noir du nord va mourir ainsi que son armée. Il n'a aucune chance de battre en retraite, c'est ici que nous achèverons notre soif de conquête mes amis ! Dans le combat et le sang !
*HOURRA* *HOURRA*
Scandèrent-ils tous en chœurs, brandissant lances et épées. Le roi du sud se tourna vers l'ennemi et ordonna la charge. Une vague de chevaux de toutes couleurs déferla sur la plaine humide et boueuse, projetant des amas de terre et faisant plier les tiges d'herbes là où ils passaient. Aorka voyait arriver à vive allure les chevaliers et se prépara à donner le signal. Il leva soudainement son poing vers les nuages et la première ligne de soldat se retira pour laisser place à des hommes tenant de larges cordes. Archibiald ne voyant pas ce qui se produisait chez l'ennemi, continua la charge héroïque, ils étaient encore à quelques centaines de mètres des lignes nordiques. Aorka regarda un point fixe dans l'horizon et soudainement, abattit son bras violemment vers le sol. Les hommes, tenant les cordages, tirèrent de toutes leurs forces ; pour une fois, un léger sourire se dessina sur les lèvres du sombre seigneur. Du côté de l'épique chevauché, la charge battait son plein, ils étaient presque arrivés sur la ligne des lanciers. Tandis que le roi poursuivait sa course, des cordes sortirent de la terre et fissurèrent le paysage. Derrière lui se levèrent des planches hautes de 3 mètres, scintillantes de piques les unes plus grandes que les autres. La première ainsi que la deuxième rangée de cavalier passèrent, mais la troisième... Une atrocité pareille ne devrait pas être contée. La scène d'horreur des chevaux s'écrasant tête baissée contre les murs, les chevaliers projetés en l'air comme des balles ou encore les boyaux et le sang éparpillés de tous côtés sur le champ de bataille. Ce n'était pas de la guerre, c'était une boucherie. Mais le massacre ne s'arrêta pas ici, lorsque le premier piège fut révélé, les autres cavaliers décidèrent de contourner le mur et continuèrent la charge afin de rejoindre les deux lignes au devant. Aorka, qui voyait Archibiald avancer de plus en plus vite, décida d'attendre encore avant de révéler les autres pièges. Les archers firent voler leurs flèches sur la masse agglutinée contre les murs de bois, ce qui fit d'énormes ravages chez les chevaliers prient au piège, certains écrasés par les sabots de leurs propres montures ou tués sous les pluies de flèches noires. Aorka descendit de son cheval et s'avança pour récupérer sa hache de guerre d'une longueur de plus d'un mètre ; un prodige de forge du nord. Archibiald, avait perforé les lignes des lanciers, formant une brèche d'une dizaine de mètre. Voyant une ouverture, là où les soldats appeurés ne lui coupaient pas la route, il fit brider sa royale monture vers cette sortie désespérée et continua sa course vers son ennemi. Une fois qu'ils furent alignés, le roi du sud pointa de son épée l'homme qui ne lui avait laissé de répit depuis qu'il avait accédé au trône. 10 mètres, le poing d'Aorka se serra, 6 mètres, il se décala légèrement, 3 mètres, il posta sa hache au-dessus de son épaule. Comme un couteau dans de la viande fraîche, la hache frappa le cou du cheval et le décapita nettement. La lourde lame qui avait transpercé armure, chair et nuque, vint sortir par le bas et projeta Archibiald en arrière tout droit vers le sol. Le choc fut si fatal, que le pauvre roi si sûr de lui fut prit d'une onde de peur et hurla de tout son long alors qu'il tombait avec force contre la plaine. Sa chute le laissa glisser sur 5 mètres de longueur. Le monde venait de s'arrêter et Aorka s'avança vers son ancien ami. Il brandissait sa hache ou du moins son manche, car la lame avait cédé. Aorka ricana en marchant lentement jusqu'à ce qu'il soit sur le reste du vieux roi.
- C'est cela la fureur du Sud ?! Le roi immortel comme disaient les légendes ?! Tu as bien changé mon pauvre ami...
Il ricana de plus belle. Archibiald avait la jambe désaxée et la main gauche complètement plate suite à sa chute. L'homme qui avait la face contre le sol, eut à la surprise de son allocuteur, la force de se soulever dans son armure et de se retourner afin de se mettre sur le dos. Une preuve d'honneur, car aucun roi n'aurait voulu mourir d'une telle façon.
- Il faut croire que je ne suis plus invincible, du moins... Plus comme avant.
Du sang coulait abondamment de sa bouche et de son nez. Une preuve que la chute avait dangereusement endommagée ses os et ses organes. Dans un petit couinement, le roi pouffa de rire, relachant une nouvelle vague de sang de sa trachée, comme s'il eut voulu rigoler à pleine gorge. Aorka se souvint alors de ses longs moments passés à dueler contre lui, de son brin d'humour à chacune de ses touches. Une vague de tristesse le prit, le roi du nord n'était pas si sombre après tout.
- Tu vas devoir me tuer...
Archibiald le savait et soupira. Un faible sourire se forma sur son visage.
- Il le faut de toute façon, sinon la guerre ne sera pas terminée.
Continua-t-il en toussant. Sa toux empirait car son souffle lui faisait souffrir le martyre.
- Que fais-tu des règles mon vieil ami ?
Lui répondit Aorka qui avait pitié du vieil homme.
- Mais de quelles règles me parles-tu ?! Elles ont été enterrées avec les morts... J'ai massacré des innocents, des femmes ; des enfants. Je m'en suis servie pour faire plier les seigneurs de guerres qui avaient gagné ta cause !
- Alors pas de règles... Juste du sang.
- Tu feras ton devoir. Prends mon épée et tue-moi avec, pour signer la paix, tu donneras ma dépouille à mon fils ainsi que ma lame. Dit-lui... dit-lui que cela en est fini de ces querelles... qu'il retourne avec ses hommes et nos morts en Esthia. Que c'est le dernier ordre de son vieux père...
- Ainsi sois ta dernière volonté...
Aorka ramassa l'épée scintillante. "Courageuse" était son nom, la lame emblématique et unificatrice des royaumes du sud. Le seigneur en armure noir, s'avança proche de lui et attendit un bref instant. Il n'avait aucune envi de le faire, mais son destin avait voulu qu'il termine cette guerre. Au loin, les chevaliers désarçonnés levaient les mains, clamant la pitié aux fantassins qui n'avaient connu que la souffrance. Ceux-ci furent égorgés en premier. Certains sergents suivaient le rythme de la bataille et avait chargé les flancs des régiments ennemis. Ce fut comme si la bataille n'avait été que d'un côté, car personne ne répondait aux attaques des nordiens enragés. D'autres fuyaient et les capitaines sur leurs montures regardaient leurs rois au loin.
- Aïarka ! Amène-moi dans le château des cieux.
Avait crié Archibiald dans sa dernière prière. La réponse d'Aorka n'attendit pas et il appuya d'un coup sec sur le pommeau de l'épée. La lame pénetra avec facilité le corps du vieil homme. Un dernier soupir d'agonie suivit d'un sombre gémissement de douleur et le roi partit rejoindre ses ancêtres. Une guerre venait de s'arrêter au profit de la paix, la fin des jours sombres pour tous les royaumes. Derrière Aorka, roi du Nord, comme ses ancêtres et lui-même l'avaient voulu, les nuages se dispersèrent et vinrent alors les premiers rayons du soleil.
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