Chapitre 1

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Le battement irrégulier des sabots dans la plaine hivernale, brisait le silence de la saison. Au loin, surplombant l'une des nombreuses collines, cinq cavaliers s'étaient arrêtés et fixaient impassiblement l'horizon. Leurs étendards frappant le vent, semblaient indiquer que le roi était en déplacement. En effet, son blason blanc et noir, où l'on pouvait voir incruster un corbeau défiant une hache, marquait la présence du vieux roi Aorka. Les cavaliers bridèrent leurs montures en arrière puis firent demi-tour. Les chevaux dont l'écume de leurs salives tombait sur l'herbe, se ruèrent vers ce qui semblait être un long cortège. Une fois que le convoi fut en vue, les silhouettes se mirent à ralentir et les chevaux passèrent du galop au simple trot. Une longue fumée brune se dissipait vers le ciel, tandis qu'une ligne de femmes et d'hommes marchait vers un point fixe du paysage. Là où le soleil frappait à l'horizon, une structure de pierre se dessinait et dévoilait de grandes tours et murailles qui défendait l'entrée d'une ville imposante. L'immensité de la cité était contradictoire avec la pauvreté de population que comportait la seigneurie d'Askoroq, le territoire le plus à l'Est de l'Empire. Pourtant, bien que les plaines aient été vidées de vie depuis les décennies précédentes, Askoroq était resté une province commerciale importante. La seigneurie possédait un commerce très riche de par sa vente de laine, de fourrure avec les Occidentaux d'au-delà du fleuve Hümelaven et de ses importantes mines d'argents à quelques kilomètres au Sud. La cité portait le nom de Bélême que la première vague migratoire lui donna lorsque les premiers colons vinrent s'installer sur ces terres. La petite troupe en armure légère et aux capes à fourrures, vint rejoindre une avant-garde de vétéran dont l'officier, un homme à l'âge vénérable, regardait avec une certaine sévérité les cinq personnages s'approcher. Il s'agissait du capitaine des gardes du corps du roi et Sullys était son nom. Homme d'une grande stature, crâne rasé et barbe parfaitement taillée, il était l'exemple d'une discipline de fer quant au maintien de son physique ainsi qu'aux règles de l'esthétique. Sullys, ancien compagnon du roi Aorka pendant ses campagnes militaires, avait refusé tous titres de noblesse, du moins, des terres dignes de son rang. Il avait été l'un des premiers à rejoindre le vieux roi lors de sa révolte et lui avait juré de porter l'épée jusqu'à sa mort. La garde royale qu'il commandait avec force, était exclusivement constituée de guerriers Northnahs, des individus de la seigneurie du Northson. Ils s'agissaient auparavant de barbares de la mer provenant de l'océan d'Imer à l'Est. Ces cinquante guerriers, femmes et hommes d'une hauteur de plus d'un mètre quatre-vingts, étaient les meilleurs de leurs patries. Leurs allégeances ainsi que leurs vies n'allaient qu'au roi et l'honneur de leur titre de garde rapproché leur empêchait de mourir si ce n'était que de défendre jusqu'à la fin le seigneur de tous les royaumes. Chacun de ces soldats d'élites disposait d'une hache de guerre dont le manche strié de symboles mythologiques, mesurait parfois la propre taille du porteur. En plus de cette arme de mort chacun s'accomodait d'un glaive ou d'une plus petite hache à son ceinturon. Afin de renforcer cet attrait de soldats mystérieux voir divins, ces Northnahs, une fois au service du roi, avaient l'obligation de ne jamais montrer leurs visages. Lorsque la garde fut a porté de conversation, l'un des cavaliers de la petite troupe s'avança sans peur face au capitaine et lui fit un salut de la main qui fut immédiatement renvoyé par Sullys, dont le regard n'avait pas changé d'un cil.

- Votre Altesse, il serait préférable de votre part, que vous ne partiez pas trop loin du convoi !

- Toutes mes excuses capitaine, j'ai pensé avoir besoin d'air loin de cet attroupement. D'autant plus que nous arrivons bientôt à destination.

Du haut d'un cheval de guerre noir, la princesse Anna regardait avec un grand sourire le capitaine. L'homme qui avait auparavant un air si dur, perdit quelque peu en dureté et il se vit lui-même se ravir du retour de la jeune femme. Le parlé peut-être trop cru pour une cours des royaumes d'Esthia de la jeune princesse était parfaitement bien tenu ici dans le Nord. Sa voix douce et claire, allégeait les tensions et sortait complètement d'un ordinaire brute que l'on parlait dans les 9 royaumes.

- Ce n'est pas l'avis de mon seigneur et roi votre père. Il vous a fait mander.

- Et bien capitaine, merci à vous. Elle se tourna vers ses compagnons, ses yeux d'un vert surnaturel fixa chacun des éclaireurs et elle leur fit un simple geste de la main. Je serai de retour bientôt, ne partez pas sans moi.

Les quatre cavaliers hochèrent simplement de la tête et retournèrent à leurs occupations. La princesse fit avancer son destrier vers la calèche de son paternel. Celui-ci n'avait dit mot depuis le début de son trajet et s'était complètement enfermé dans son moyen de transport. La calèche royale était une embarcation de bois dur dont l'ensemble de sa structure grinçait dès que le paysage la malmenait. Tiré par 4 grandes roues et 5 chevaux de trait, il était impossible de ne pas reconnaître la voiture imposante. Pourtant bien que contraignante pour le voyage, la calèche était un élément indispensable pour le vieux roi. Aorka n'était désormais plus que l'ombre de lui-même, un homme vieillit et brisé physiquement depuis son arrivée au pouvoir. La fatigue continuelle l'empêchait de chevaucher avec ses anciens camarades et sa solitude de sa situation l'avait cloîtré à ses appartements. Cet ermitage royal ne l'empêchait cependant pas de régner, mais son nom, entré dans la légende, s'était effacé avec son visage dans la mémoire de ses sujets. Il était d'ailleurs extraordinaire de le voir refaire un tour de son empire, chose qu'il n'avait pas faite depuis des décennies. À l'instar de son père, Anna avait fière allure. Une jeune femme sortie de l'adolescence dont les compétences avaient été entendues de par-delà les frontières de la capitale. Dans son sillage, les sourires se tournaient, elle arrivait naturellement à ancrer dans les cœurs des plus démunis, une graine de joie qui persistait avec sa mémoire. Un tel talent était pour certains issu de la Lumière, songe qui avait pris de l'ampleur depuis la disparition progressive du roi Aorka. Anna était aux yeux de tous, une future reine prometteuse. Là où la princesse passait, ses sujets la saluaient d'un sourire, d'un geste ou parfois à sa surprise d'une courbette. Sa coiffure mi-longue d'un blond ambré scintillant, dépassait de quelques centimètres de son casque Barbute en acier. Ce casque de combat ne laissait dépasser de sa protection que le devant du visage que les passants s'arrêtaient pour observer. Ses yeux émeraude recouvraient la foule et ses fines lèvres roses exprimaient une certaine satisfaction face à la discipline de marche imposée aux voyageurs de la cour. La princesse n'arborait aucunement les attributs royaux et voyageait simplement. Elle était vêtue comme un soldat monté, des jambières métalliques épousaient le haut d'une paire de bottes en cuir et d'un pantalon brun sale. Son Altesse avait troqué un habit d'apparat pour un veston de cuir et une cape en laine noire dont le col était recouvert d'une épaisse peau de mouton. Sa main gantée tombait sur la tête d'un marteau de guerre dont le bec-de-corbeau paraissait ne pas avoir été utilisé depuis un long moment. Il n'était pas étrange de voir une dame d'un quelconque rang sur une monture et de plus en arme. Les royaumes du Nord avaient mis un point d'honneur à faire valoir la place des sexes au sein des armées. Ainsi, si l'on était suffisamment mature pour porter une arme, on était un soldat au service de son seigneur. C'était ce qu'avaient notamment sous-estimé les armées du Sud lors de l'indépendance nordiste. Après quelques minutes de trot, elle arriva enfin devant la calèche royale bien plus imposante maintenant qu'elle se trouvait à côté. Frappant trois fois à la haute porte, elle entrouvrit un petit rideau qui dissimulait l'intérieur de l'embarcation. Lorsqu'elle écarta l'épaisse couche de tissu, la lumière pénétra l'endroit et elle ne distingua qu'un matelas rouge, alors qu'elle voulut l'ouvrir un peu plus, celui-ci a sa grande surprise se referma subitement. Un petit cri silencieux la fit reculer de peur, mais elle ne recula pas face à ce mystérieux refus d'ouvrir.

- Père ! Vous m'avez fait demander ! C'est moi Anna !

Le silence fut sa simple réponse. Mais après quelques secondes d'attentes, le rideau s'ouvrit et elle vit la blancheur des doigts de son père, une main cadavérique venait d'entrouvrir de nouveau le rideau. Un léger râle sortit de l'intérieur de la calèche, une voix grave presque rauque lui répondit.

- Ma petite fille chérie... Ma Anna, où te trouvais-tu ? Je t'ai mander il y a une heure de cela...

Elle se rapprocha, sa tristesse rencontra sa voix ettout en enlevant son gant, elle toucha la main d'Aorka qui ne se défendit pas.

- J'étais parti chevaucher avec les éclaireurs, j'avais besoin de méloigner quelque peu.

- Orage est-il toujours aussi énergique ? Ce vieux gaillard n'a jamais souffert de la vieillesse...

Orage fut le cheval noir d'Aorka, un cheval presque mythique, infatigable, celui qui menait toutes les montures. Anna en était maintenant la bénéficiaire depuis que son père refusait de le monter.

- Votre monture manque à son maître... Que vouliez-vous me dire père ?

Une toux importante se fit entendre, Anna prit la décision d'ouvrir se rideau qui la séparait de lui et elle fut surpris par l'Etat de son père. Les veines de son cou étaient d'un noir charbon et ses yeux rouges semblaient virer de même à la couleur des ombres. Une chose surprenante la fit reculer de nouveau, autour du bras d'Aorka, une chose semblait entrer et sortir, pas quelque chose de vivant non, une sorte d'entité fumante, une chose que voulait réfuter le réel.

- Le chaos... se dit-elle, c'est son oeuvre... Elle s'éloigna de la fenêtre et cria vers la caravane roulante se trouvant juste derrière. Maître Igor ! j'ai besoin de vous et vite !

Un homme qui tirait les chevaux à l'avant du transport leva subitement la tête et vit le regard de détresse de la princesse. Igor, le médecin du roi, se mit sur ses pieds et releva la capuche de sa pèlerine. Lâchant les rênes au profit de son jeune apprenti du nom de Loison, il sauta par-dessus la rambarde de la caravane et arriva de sitôt proche de la calèche royale.

- Il refait une crise votre altesse ?

- Je ne sais pas, je ne l'ai jamais vu comme ça ! Nous devons arrêter le convoi !

- Non. Lui répondit-il durement. Il lui faut un lieu ou dormir et où je pourrais le traiter sans me soucier de toutes ces secousses. Laissez moi m'en occuper madame, votre père a toujours été entre de bonnes mains.

Il ouvrit la porte, entra dans le lieu légèrement plongé dans l'obscurité et disparu aussi prestement qu'il n'était apparu. Anna décida de couper court à sa peur qui l'avait envahi et souffla. Elle donna une légère claque sur la croupe d'Orage qui partit au galop vers l'avant du convoi. Une fois arrivée à la hauteur de Sullys, celui-ci perçut immédiatement que quelque chose n'était pas en ordre.

- Votre Altesse ?

- L'Etat de mon père se détériore, maître Igor nous demande de nous hâter pour qu'il puisse le soigner au château !

Le capitaine ne répondit que d'un simple geste du menton, il se retourna vers une partie de la garde derrière lui et donna ses ordres.

- Formez un chemin pour que la calèche passe devant le convoi, nous resterons en formation autours du roi jusqu'à Bélême, qu'on aille avertir le seigneur Adarn de la situation !

La troupe se dissipa en une fraction de seconde, chacun partit exécuter l'ordre donné. Deux éclaireurs se précipitèrent vers le château tandis que les gardes du corps avaient écarté les sujets de la course rapide de l'embarcation royale. Anna au côté de Sullys, vint hâter le jeune apprenti Loison de les suivre, car sa caravane comportait toutes les mixtures et plantes dont le maître Igor se servait pour opérer sur le roi. Un temps court, mais bien trop long pour Anna s'écoula entre les plaines et Bélême, mais lorsqu'ils furent arrivés, les portes de la ville étaient déjà grandes ouvertes. Deux rangées de soldats en habit bleu et vert avaient laissé le passage libre pour l'arrivée précipité du roi et de sa suite. Les regards d'incompréhension de la foule firent élever de nombreuses clameurs, certains pensant qu'un terrible malheur s'était abattu sur le roi, d'autres hurlant leur déception fasse à la vitesse du passage de la calèche. Anna et Sullys arrivèrent en dernier avec Loison, la foule qui avait été prise d'une secousse de tristesse vint cette fois changer tel un lunatique et poussèrent des cris de joie. Des fleurs volèrent sous les sabots des chevaux et tous se ruèrent pour voir la princesse de plus près.

- Nous n'avons pas le temps votre altesse, pressons nous jusqu'au donjon. Lui avait alors dit le capitaine qui sentit le ralentissement de l'allure d'Orage face à sa monture.

- Capitaine, nous avons une étiquette à suivre, même si le roi est malade je me dois de saluer mes sujets. Avancez la caravane vers le donjon et s'il vous plaît tenez moi vite au courant une fois que je serais arrivé.

Anna avait réfléchi à cette conduite lorsqu'elle franchissait les grandes portes du châtelet de la ville. Elle se souvint de la première fois qu'elle avait eu ce même désagrément pendant l'un des voyages d'Aorka. Lorsque la gouvernante, Dame Eren, lui avait tenue la main si fort qu'elle en pleurait silencieusement. Celui-ci alors bien plus en avance que sa fille, avait dû franchir les portes de Kast-Nargos rapidement, laissant la jeune princesse et sa suite seule face à la foule. La princesse s'était souvenue de ce que lui avait dit sa préceptrice, "Aucune princesse royale ne doit pas se défiler de son peuple, les sujets des royaumes ont besoin de te voir, car tu es à toi toute seule la présence de la cour. Que ton père soit là ou non, tu te dois de te tenir à ces règles. Sèche tes larmes, et sourit donc un peu." Elle ne pouvait partir, il en valait de la réputation de son père et de la sienne. Ravalant un juron et ses larmes, elle leva la main et dévoila l'un de ses plus beau sourire.

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