Chapitre 2

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Le donjon de Bélême était une œuvre architecturale datant de l'âge des Empires, elle eut une utilité première comme Marche frontalière face aux incursions occidentales dans les plaines menant à Arkolos, la capitale des 9 royaumes. Ce chef-lieu était donc un endroit fortement militarisé où l'on y formait les meilleurs cavaliers légers. Il n'était donc pas rare de voir à chaque frontière de l'empire, des soldats montés provenant de la seigneurie d'Askoroq. Un style gothique et brut fut utilisé pour construire la forteresse qui servait de lieu de vie au Seigneur et ancien conseiller royal, Adevart de la maison Umroth. Cette dynastie ne fut que très récemment reconnue comme proche de la famille royale, de par le mariage d'Elinor, sœur aînée d'Adevart, avec le nouveau roi du Nord ; Aorka. Pourtant, la mort de la reine 18 ans plus tôt, avait profondément séparé les deux familles et le seigneur de Bélême était retourné dans son fief afin de s'éloigner de la capitale. Cette séparation soudaine entre ces deux hommes proches, avait inquiété les autres seigneurs, car les 9 royaumes venaient de perdre l'un de leur plus grand conseiller, tandis que le roi Aorka devenait de plus en plus solitaire. Cet épisode du voyage, était pour la princesse Anna, une sorte de rencontre avec son oncle qu'elle n'avait jamais connu. Mais ce ne fut pas comme elle l'espérait, car la santé de son père venait de subitement décroître. Elle descendit de son cheval une fois qu'elle se trouvait dans la place intérieure de le dernier espace fortifié de la cité. Un jeune garçon d'écurie d'une quinzaine d'années, et habillé avec les couleurs de la maison Umroth, vint saluer la princesse, rouge de timidité et de stress et bégaya quelques mots à l'adresse de celle-ci.

- Vo-Votre Altesse Royale... Messire Adevart m'a donné l'ordre de m'occuper de votre monture... Il vous attend dans la pièce principale.

Anna se laissa tomber d'Orage qui fièrement, secoua sa crinière, puis confia les rênes de son cheval au jeune page. Tandis que le garçon aux cheveux bruns s'empressait de les récupérer, il la vit ôter son casque et rougit davantage lorsqu'elle lui sourit. Baissant la tête pour éviter son regard, chose que lui obligeait son rang, il pressa l'animal vers les écuries. Un des soldats de la maison royale vint la rejoindre pour l'escorter avec des piquiers Bélêmois et lui prit son casque afin de lui éviter cette gêne. Anna s'attendait à voir une grande porte amenant jusqu'à la salle du trône, mais toujours dans un effet de contradiction, ce fut une simple porte de bois sombre qui s'ouvrit tandis qu'elle entrait dans l'imposante demeure seigneuriale.

Les échos de nombreuses bottes sur le parquet vernis annonçaient l'arrivée vers la grande salle. Les murs de la pièce en couloir, avaient été recouverts de tapisserie colorée et le sol était recouvert d'un long tapis de couleur vert et bleu amenant à une légère plateforme surélevé où se trouvait un grand siège en bois orné de figures bestiales et d'éléments issus de la nature régionale. Une rangée de sujets du seigneur Adevart étaient alignés des deux côtés de la pièce en ordre de noblesse, c'est-à-dire que les vassaux d'Askoroq se trouvaient vers le trône en bois tandis que les gens de maisons se trouvaient vers la porte. À côté du grand siège central, Adevart regardait la princesse marcher sur le tapis accompagné par deux épées du roi, quatre porteurs d'étendards et le quart de la compagnie de garde du corps royale. Adevart ainsi que son épouse et ses quatre filles se trouvaient sur le plancher surélevé.

- La Princesse, Son Altesse Anna de la maison Raven-Fort, héritière du trône d'Arkolos, future Reine des 9 royaumes !

La présentation de l'épée du roi, le chevalier Davon, fut suivie par un agenouillement général dont la durée ne fut coupée que lorsque le seigneur Adevart se releva et descendit saluer personnellement la princesse.

- Votre Altesse, c'est un heureux plaisir de vous avoir parmi nous. Vous êtes ici chez vous et je suis à votre service.

- Merci mon oncle, répondit-elle en plongeant son regard dans le sien, mais je vous dois des excuses quant à l'arrivée de mon père. Il est tombé subitement malade et je...

Adevart l'interrompit, ce n'était pas de l'impolitesse et elle le sut bien assez tôt, car celui-ci vint soulager rapidement sa gêne quant à la situation.

- Majesté, vous n'avez pas à me faire d'excuses, la situation de votre père le roi est sous contrôle et il se repose dans les étages supérieurs. Nous allons continuer cette réception et je vous ferais visiter les lieux comme il se doit.

Sa gentillesse lui alla droit au cœur et le visage d'Anna reprit en clarté lorsqu'elle montra de nouveau ce sourire qui lui allait tant. Adevart continua.

- Puis-je vous présenter Dame Agathe, ma très chère épouse et mes filles?

Anna avança vers Agathe, la maîtresse gouvernante de la cité, mais ce n'était pas la même émotion qu'elle rencontra sur le visage de celle-ci. Bien plus froide, bien plus réservé.

- Votre Altesse. Dit-elle d'un ton sec en l'observant de ses yeux marron. Elle se courba légèrement et se tourna vers ses filles qui au contraire de leurs mères, montraient de larges sourires à la venue de la princesse.

- Je vous présente, Elinor, Faye, Elita et notre petite dernière Meliss.

Lorsqu'il eut fini de les présenter, Adevart se rapprocha d'elles, alors que les jeunes filles semblaient tétanisées par l'aura d'Anna s'avançant à leur rencontre. Voyant que ses filles ne réagissaient pas comme l'étiquette l'exigeait, il se posta derrière les jeunes filles et de ses bras les invita à se courber devant elle.

- Excusez mes filles Votre Altesse, elles n'ont pas eu l'habitude de rencontrer des membres de la famille royale.

Anna leva la main comme si elle l'invitait à ne pas en rajouter. S'approchant des jeunes filles, la princesse prit leurs mains avec la volonté d'apaiser le stress qu'elles présentaient chacune. Cependant, Anna avait bien entendu les dires de son oncle et se tourna vers lui.

- J'espère donc que notre rencontre mon oncle, m'apportera des réponses quant à votre disparition d'Arkolos et sur le fait que vous n'y êtes jamais retourné.

Adevart se raidit et vint saisir discrètement la main de son épouse. Agathe observait de nouveau la princesse sous un regard bien plus sévère que lorsque la princesse était arrivée. La maîtresse gouvernante aurait pu être punie pour cette faute, mais Anna n'en fit rien, car sa présence ici n'était pas d'envenimer la situation familiale et encore moins de se faire des ennemis. Le seigneur s'avança de nouveau et déclara.

- Votre majesté à raison, vous aurez vos réponses. Mais d'abord, je pense que vous devez avoir faim et que vous désirez du repos. Il tourna la tête vers un homme bedonnant dont les vêtements indiquaient qu'il était le maître des serviteurs de maisons. Maître Doln, tables, boissons et mangeailles pour nos hôtes, qu'on appelle les musiciens !

L'atmosphère se métamorphosa pour laisser place à la fête. En l'espace de quelques minutes, le maître Doln fit installer tables et bancs. On avait fait allumer d'autant plus de bougies et les musiciens s'installèrent au milieu de la pièce tandis qu'un troubadour d'une trentaine d'année à l'allure androgyne, alors que ses longs cheveux noirs flottaient dans l'espace, dansant presque au rythme de ses vers.

- Gambadant sous les étoiles de minuit ! Regardant le spectacle spectrale ! Là voilà partie au loin la femme de l'hiver...

Cette chanson faisait partie des contes de la création, un enchevêtrement d'histoires mêlant la solitude de la déesse Kataïe et de son amour éternel envers le géant de pierre Pilmepade. Mais le poète l'avait repris à son goût ce qui valut quelques regards désapprobateurs de la part de la princesse.

- Je me souviens de ce temps ou ma sœur Elionor nous chantait cette chanson à mes frères et moi... Sa voix caressait chacun des murs de cette forteresse et le silence même l'écoutait...Je devrais faire couper la langue à ce soit disant chanteur...

La princesse et son oncle s'amusèrent de leurs réflexions et rirent de plus belle lorsqu'un des vassaux qui était trop près du chanteur, vint lui lancer son aile de poulet dans la figure en lui ordonnant de chanter sans leur casser les oreilles. Le poète parut ahuri par cette réflexion, laissa dévoiler le mouvement d'un juron sur ses lèvres qu'Anna remarqua. Puis, celui-ci se mit à pousser la chansonnette d'une histoire de vin, simple et efficace. On servit de nombreux plats et on leva à de multiples reprises son verre vers Anna qui devait répondre par d'énièmes remerciements. Après ce long voyage, elle ne rêvait que d'un endroit où se reposait loin de cette foule, sa tache difficile de manger en veillant à respecter chacun de ses sujets lui devenait progressivement insupportable. On écarta par la suite les tables et un épisode de danse débuta. Mais Anna qui se savait être une piètre danseuse et surtout trop fatigué, dût refuser à mainte reprise les propositions des chevaliers et barons trop entreprenants. Cependant la fille la plus agé du seigneur Adevart, accepta la main d'un jeune écuyer qui l'emmena danser sous le regard flegme de son père.

- Vous ne semblez pas apprécier le cavalier de votre fille.

Adevart se tourna vers elle, se servit une coupe de vin et lui chuchota ses quelques mots.

- Ils s'aiment. Leur séparation sera dure.

La princesse fut surprise par ces quelques mots et comprit que son oncle voulait marier sa fille à un meilleur parti.

- Elle pourrait en appeler à la justice du roi pour faire annuler un mariage qu'elle ne veut pas.

- Sauf qu'elle ne pourra pas... Il est déjà conscient qu'une union lui serait défavorable, il en trouvera une autre à aimer et il est d'accord avec cela.

Le regard du jeune écuyer vint croiser celui d'Adevart et son sourire qu'il arborait fièrement devant celle qu'il aimait vint se figer lorsqu'il comprit que la princesse et son seigneur parlaient tous deux de sa situation. Chassant la froideur de ses dires, Adevart se leva et leva son verre une dernière fois avec de s'exclamer.

- La princesse souhaite se reposer et vous souhaite à tous, une agréable soirée. Qu'on apporte un tonneau de vin supplémentaire !

La foule salua avec bonheur cette annonce et chacun fit un signe de révérence à la princesse qui quittait sa place en compagnie du seigneur Adevart. Les deux personnages passèrent par une porte dans l'un des coins de la grande salle et sortirent dans un couloir ouvert, où des arcs de pierres laissaient entrevoir un jardin bien entretenu. Adevart passa un petit portique et marcha vers un petit banc en granite sculpté, puis soulevant sa cape, il s'assit et attendit que sa nièce fasse de même.

- Aviez-vous l'intention de me parler ? Demanda Anna qui regardait l'homme d'une cinquantaine d'années montrant de par sa posture qu'il était en train d'attendre quelque chose.

- Cessons de tourner autour du pot princesse, posez moi donc vos questions que nous en finissions enfin avec tout ceci.

Elle se figea, son regard s'assombrit et elle se remémora tous ces moments qu'elle avait passés dans ses appartements d'Arkolos à répéter les mêmes questions en boucle. Il lui fallait des réponses sur ce qui s'était passé le jour de sa naissance et des autres qui avaient suivi. Elle voulait une vérité que son père lui avait si longtemps refusée.

- Pourquoi être parti ?

Cette simple question sortit de sa bouche, se mua avec la légère brise touchant les branches des quelques buissons taillés.

- J'aimais ma sœur plus que tout. C'est elle qui a dû endosser le travail de notre mère lorsque la peste a touché les royaumes. À l'époque, ton père m'a confié le poste de conseiller du roi, la plus haute tâche que l'on m'est jamais donné. Bien entendu, c'était pour rapprocher nos familles, car le mariage de ton père le roi et de ma défunte sœur m'a fait venir à Arkolos. Je n'ai jamais été contre ce mariage, ils s'aimaient et leur amour fut la plus belle chose qui m'ait été donnée de voir. Aorka, avait des difficultés pour imposer son pouvoir, nous avons donc guerroyé pendant quelque temps contre les contestataires. Mais il chercha tout de même un ancien pouvoir que son père et le père de son père avant lui possédait...

- Le pouvoir des Ombres ?

Le fait qu'Anna connaissait cette partie de l'histoire qui n'avait pas été contée, fit apparaître un trait de curiosité sur le visage d'Adevart.

- En effet, le mystique pouvoir des Ombres... Lorsqu'il réapparut au château avec ce pouvoir, il... Il avait complétement changé. Ta mère était soudainement devenue l'ombre d'elle-même et elle avait perdu sa joie de vivre, tout ce qui la représentait était tombé dans l'obscurité. Le temps passa, mais Elionor est tombée gravement malade. Sa grossesse n'aidait pas bien entendu et lorsque tu es née, j'ai eu à peine le temps de te voir et de voir ta mère. Le roi me congédia avec Agathe. Nous avons dû quitter Arkolos précipitamment dans la nuit, dans l'incompréhension et dans la tristesse. Après la mort de mon frère, j'ai repris les commandes de la seigneurie d'Askoroq et je n'ai jamais revu ton père. Jusqu'à maintenant du moins.

Le regard d'Anna se perdit dans la noirceur du parc. Elle n'avait entendu que des brides de cette histoire, mais jamais sous cette forme. On lui avait répété maintes fois qu'Adevart avait quitté Arkolos parce que son frère était effectivement mort et qu'il en voulait à son père de lui avoir retiré tous ses honneurs. Mais cette histoire venait contredire de nombreux dires et elle se demanda comment il était possible qu'aucune personne dans son entourage ait la même version des faits.

- Si ce que vous dites est vrai, je vous dois des excuses pour le mal que vous a fait mon père.

- C'était il y a longtemps et vous voilà enfin devant moi. Je suis heureux que vous ayez pu entendre ma version. Si vous avez d'autres questions, je peux vous assurer que je me porterais prêt à y répondre.

Mais ce ne fut pas le cas. Elle ne voulait pas en entendre davantage. La révélation n'était pas grande, mais d'autres questions la taraudaient et cette fois elle allait devoir changer de questionné. Son père avait des explications à lui faire.

- Ce sera tout mon oncle. Pouvez-vous m'indiquer où se trouve mes appartements ? La fatigue du voyage commence à se faire ressentir.

Adevart marcha encore un moment avec elle. Ils passèrent par une nouvelle porte dans le domaine seigneuriale et cette fois, Anna pu observer un endroit bien tranquille, loin de la grande salle où l'on festoyait. Au début d'un couloir d'une grande longueur, son oncle s'arrêta et montra du doigt une direction à suivre.

- Vos appartements se trouvent au bout de ce couloir, ouvrez la porte et une fois dernière, une chambre vous attend sur votre droite. Une dame de chambre vous attend pour vous aider à retirer vos affaires. Si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit, elle restera à votre disposition. Je retourne à la fête, les sujets n'iront jamais dormir s'ils trouvent ma cave à vin. Bonne nuit Votre Altesse.

- Merci pour votre gentillesse mon oncle, nous nous reverrons demain matin pour parler politique.

Il se contenta d'acquiescer de la tête et se retourna. Celui-ci disparut du champ de vision d'Anna tandis qu'elle marchait vers la fin du long couloir éclairé par quelques bougies. Ouvrant la porte comme lui avait indiqué son oncle, elle s'arrêta subitement lorsqu'elle sentit un léger courant d'air. Une caresse froide, main invisible qui lui effleura les joues et souleva sa mèche blonde. Pourtant, les flammes des bougies ne dansèrent pas sous le coup de ce souffle glacial. Perplexe, elle s'avança silencieusement dans ce nouveau couloir et arriva devant sa porte dont les contours semblaient indiquer qu'un feu de cheminée crépitait à l'intérieur. Pourtant, ce ne fut pas cette chaleureuse lumière qui l'invita à la joindre. En effet, derrière l'une des fenêtres, au centre d'un nouveau jardin bien moins garni que le précédent où elle s'était entretenu avec son oncle. Se trouvait une crypte dont la porte aux barreaux métalliques pourtant fermé, faisait scintiller une lumière en son sein. Un frisson parcourut son corps, pourtant, aucun danger ne semblait provenir de cette crypte et le silence la confortait sur le fait qu'elle ait été toute seule dans ce couloir. Mais, chose étrange, c'était cette crypte qui paraissait l'appeler. Car le courant d'air passait en dessous de la fenêtre et englobait son corps comme s'il eut voulu la pousser vers le dehors. Fermant les yeux et inspirant longuement, c'est ce qu'elle fit. En l'espace de quelques mouvements, Anna avait ouvert silencieusement la fenêtre, était passée au travers et avait rejoint la porte de la crypte ; ouverte.

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