Chapitre 3
Son regard perplexe indiquait une certaine crainte dans ses intentions. Elle voulait descendre, c’était d’ailleurs tel qu’elle avait l’impression que l’on lui murmurait de le faire. Rejoins-nous, vient… vient… Ces mots jaillissaient dans sa conscience et elle tenta de les chasser de sa tête. Une fois qu’elle eut repris ses esprits, la voix s’était éteinte. Le silence de l’endroit se muait au crépitement des torches et leurs échos parcouraient le vaste escalier. Pour autant, le bruit du vent caressant les murs de calcaires, inscrivait une musique monotone se perdant tout au fond de la crypte. La porte s’ouvrit tandis que sa main poussait l’épais et froid barreau métallique face à elle. Des os et de la poussière, voilà ce que je trouverais. Se dit-elle tandis que son pied touchait la première marche. Dès que la princesse dépassa le pas de l’entrée, les flammes des flambeaux se mirent à frémir et dansèrent dans sa direction. Ces gesticulations soudaines étaient d’une telle façon que l’on aurait pu croire que la cave funéraire s’était mise à respirer. Au fin fond de son âme, Anna savait qu’elle ne devait pas être là. Elle aurait pu aller dormir dans de bons draps, se réchauffer proche du feu de cheminée, mais elle était en train de descendre un endroit bien trop mystérieux pour s’y aventurer. Chacun de ses pas frappait l’espace d’un petit écho étouffé, puis lorsqu’elle arriva enfin au bout de cet escalier interminable, sa botte toucha le sol gravillonneux. Son oreille tendue, vint frémir dès l’instant où elle posa son autre pied sur les petites pierres blanches. Plus loin dans la pénombre, une nouvelle porte s’offrit à elle, du moins ce qui s’apparentait à une ouverture sculptée à même la roche. La noirceur des lieux avait pris sur la lumière environnante des torches accrochaient parallèlement aux murs. Passé l’ouverture, plus rien ne fut visible. La crypte paraissait s’étaler en longueur telle un assemblement de galeries et dans l’endroit résidait tous les anciens membres régnants de la seigneurie d’Askoroq. Ainsi était présenté le lieu par l’écriteau en vieux langage, dont les lettres cubiques avaient été gravées sur un fronton supporté par des piliers. Les symboles pouvaient se lire ainsi, « LE REPOS DES CAVALIERS DE L’HIVER », et étaient entourés par un blason très ancien montrant sur le haut une partie blanche où un cheval noir semblait galoper et en bas un espace vert sombre séparé par une ligne bleue. La peinture était d’un coup d’œil, fraîche, preuve que la crypte était couramment rénovée. Anna savait que continuer sans torche allait cependant s’avérer difficile et en décrocha une du mur. Curieusement, ses pas la guidèrent sans crainte et elle marcha durant quelque temps au beau milieu des sarcophages de pierre, recouverts par les silhouettes sculptées de ceux qui avaient été. Cette marche culturelle, lui apprit la mort de certains de ses propres ancêtres, car elle-même était descendante par sa mère de cette longue famille. Puis, arrivé après un carrefour dans un nouveau couloir, la roche s’était soudainement obscurcie. Anna vit grâce à la lueur du flambeau, les stigmates d’un travail rapide exercé sur l’un des murs du couloir. À quelques mètres de la princesse, un trou béant dans l’un des murs de calcaires lui fit aisément comprendre que l’endroit devant elle ne présentait plus les caractéristiques d’un tunnel de mine que la suite de la crypte.
- Était-ce pour cela que j’étais venue ?
Anna n’était pas d’habitude curieuse, on lui avait appris rapidement que mettre son nez dans tous les recoins, pouvait lui apporter bon nombre d’ennuis. Mais cette soirée était différente. Des secrets lui avaient été dévoilés et elle ne voulait pas partir de cet endroit sans l’avoir explorée quoi qu’il puisse y avoir été. De plus, visiter une crypte était loin d’être un crime, sauf si on avait l’intention d’y piller les morts. À l’instant où elle se trouva devant l’enfoncement, une mélodie curieuse vint fredonner à l’oreille de sa conscience. Ce n’était pas une musique comme les autres, elle n’était pas apparue soudainement et bien au contraire, c'était fait attendre depuis le début de son aventure sous terre. Il ne s’agissait pas d’un son, et nullement d’un thrène que l’on aurait composé pour les morts de cet endroit. Cette musique était un mouvement mélodieux, inaudible et pourtant là, lui demandant d’approcher en chatouillant sa curiosité. Elle avança, sans remords et sans peur, la princesse avait plongé dans l’inconnue. Touchant la paroi glaciale du tunnel, elle avançait maladroitement jusqu’à apercevoir une porte en bois entrouverte. Ce n’était pas la lumière de la torche enflammée qui lui indiqua la fin de ce couloir mystérieux, plutôt la lueur longeant les contours de cette ouverture. La mélodie s’était tue au même instant où Anna avait trouvé l’endroit. La princesse posa la main sur la porte en écartant le flambeau devant elle, puis poussa l'accès dont les verrous émirent un bruit de rouille. Elle entra dans la salle qui n’avait plus rien à voir avec les couloirs funéraires derrière elle. La pièce circulaire se dévoila à travers la lumière de centaines de bougies, incrustées à hauteur égale dans une bande creusée à même le mur et entourant le lieu. L’endroit était une salle ronde et sa paroi avait été sculptée pour ressembler à un enchevêtrement de grosses pierres. Le sol lui, était recouvert d’un large tapis rouge dont les fleurs tissées lui donnaient une élégance certaine. Mais ce qui fut le plus intrigant dans cette salle se trouvant à des centaines de mètres sous l’imposante forteresse, était la simple chaise posée en face d’un tableau à moitié recouvert. Anna, dont le regard virevoltait sur chaque objet, marcha jusqu’au centre de la pièce et vint se positionner devant la mystérieuse peinture de grande taille. Le tableau mural en toile était une peinture à l’huile dont le seul côté découvert, représentait une femme de couleur blanche aux habits de soies roses, dans une position de marche et devant un sombre paysage de campagne. Anna admira pendant quelques secondes la jeune femme peinte, parcourant les courbes dessinaient de ses habits, la douceur de ses traits du visage, mais quelque chose n’allait pas, un nouveau songe face à une ressemblance frappante.
- Maman…
Elle en était convaincue, cela ne pouvait être qu’elle. Elionor était d’après les sources, une femme d’une grande taille, dont la chevelure blonde s’arrêtait au creux de son dos. Elle avait les yeux d’un vert uniques, la bouche fine et rosée comme celle d’Anna et une blancheur qui rappelait la froideur et la beauté de l’hiver. C’était la première fois de sa vie qu’elle voyait d’aussi près une œuvre la dépeignant. Son père, le roi Aorka, avait depuis sa naissance, caché ou mis sous scellé les nombreuses peintures de famille et en avait cependant gardé une qui s’apparentait plus à une ébauche qu’au style de ce tableau. Elionor, portait une robe légère et rosée, une cape de soie tombait légèrement sur ses bras et son dos. Elle regardait un point vers l’horizon tandis que sa main droite descendait vers le côté drapé de la peinture, agrippant une entité invisible, cachée par l’épaisse couverture grise. Anna hésita, elle ne voulait pas toucher à la disposition des objets de la pièce, mais elle eut la certitude que l’endroit était un milieu de prière pour son oncle. Celui-ci, d’après ses dires, possédait une haute estime pour sa défunte sœur et ancienne reine. La curiosité était bien trop grande, bien trop prenante pour que la princesse ne fît rien. Inspirant, elle avança et leva les bras pour faire tomber le drap. La chute de celui-ci, fit battre les flammes des bougies et plongea pendant quelques instants toute la pièce dans l’obscurité. Le choc visuel frappa la jeune princesse qui recula de peur. Deux nouvelles personnes bien différentes se trouvaient à la droite de la peinture. Derrière un paysage ombrageux où s'élevait un château-fort, un homme à la stature imposante et en armure, avait été peint et représenté avec une aura sombre représentant certainement l'obscurité de son âme. Là où l'ombre prenait une place importante sur le tableau, une petite clarté entourait tel un halo, une petite fille dont les habits s’apparentaient à celle de la reine et dont les petites mains blanchâtres étaient accrochées aux doigts fins de la main d’Elionor. Anna savait qu’elle avait été peinte sur ce tableau. La petite fille possédait ses cheveux, sa bouche et les traits de son visage, certes enfantin, lui étaient familiers. Ses yeux s’agitaient sur les coups de pinceaux, sur les silhouettes et le paysage. De nouvelles questions vinrent percuter sa conscience et elle voulait comprendre le sens de cette peinture froide et énigmatique. Un bruit, cependant, vint la sortir de son élan inquisiteur. Anna se tourna vers la porte qui venait de s’ouvrir dans un léger son de rouille. Derrière elle, le vide du tunnel, un noir complet suivi d’un silence glaçant. La princesse attendit dans le calme, mais rien ne vint à elle. Pourtant, tapis dans l’invisible, quelque chose agitait l’instinct d’Anna qui porta sa main à son ceinturon, touchant du bout des doigts une petite dague qui avait remplacé son marteau de guerre. Sous ses yeux, la porte se remit en mouvement, cette fois, elle s’entrouvrit bien plus et un nouveau courant d’air vint lui caresser la joue. Ses poils se redressèrent et elle eut un mouvement de frisson, la chaleur ambiante des bougies avait soudainement disparu, abattue par ce courant frais trônant désormais dans la pièce.
- Je te vois.
La princesse tourna immédiatement la tête vers la peinture. Sa main avait attrapé avec force le manche de sa dague, la sortant de moitié de son petit fourreau. Ses yeux s’écarquillèrent et sa bouche se crispa de peur. La petite fille au tableau dont la tête avait changé de direction, l’observait avec des yeux blancs. Sa petite bouche d’enfant, s’était transformée en un sourire méchant, un sourire qui ne reflétait que la folie et la noirceur. Reculant d’épouvante face à cette image, elle se trouva au milieu de la pièce.
- Qu’est-ce que… ? Murmura-t-elle d’effroi empoignant toujours fébrilement le manche de sa dague.
Son cœur se mit à battre la chamade dans sa poitrine. Anna recula alors que la petite fille continuait de l’observer fixement du haut du tableau. Cependant, tandis qu'elle sortait son arme pour se défendre face à ce qui lui semblait être une apparition du chaos, sa jambe percuta la chaise et elle tomba en arrière, s’écrasant lourdement sur le tapis qui avait amorti sa chute. Un grognement sorti de sa bouche alors qu’elle tentait de se remettre debout. Son regard vint chercher immédiatement l’ennemi de l’ombre qui avait pris possession de la peinture, mais il avait disparu. Le visage de la jeune princesse avait repris ses traits initiaux à la grande surprise d’Anna. On parla de l’autre côté de la pièce.
- Son Altesse a du mal à rester sur ses pieds ?
Elle reconnut subitement la voix du chanteur et pivota. Sa dague toujours en main, elle regardait l’homme aux longs cheveux noirs, au nez de corbeau et dont le visage ne disposait d’aucunes imperfections. Celui-ci se trouvait campé de trois quarts cachés par la porte de bois. Cette attitude suspecte de sa part ne fit pas disparaître l’émotion de crainte enflant de plus belle dans le cœur d’Anna.
- Non, je… soit, que faites-vous ici barde ?
Son sourire dévoila une rangée de dents blanches dont la clarté formait un parfait croissant de lune dans l’obscurité de l’entrée. Ses yeux divaguaient entre le regard soutenu de la princesse, et de la dague qu’elle agrippait vigoureusement. La jeune princesse devenait mal à l’aise face au regard du chanteur qui ne lui avait pas répondu. Une exaspération mêlée à l’effroi que la situation précédente lui avait causé, la rendait d’autant moins patiente. Mais celui-ci se détacha de la porte et avança les mains dans le dos, longeant le mur de calcaire.
- Je me baladais. Là est la simple mission d’un conteur et chanteur… observer le monde comme il est et voir ses secrets. Il faut dire que notre rencontre est un hasard princesse, je ne vous suivais pas.
Les paroles du barde vinrent raviver l’instinct d’Anna qui n’avait pas bougé sa main du pommeau de son arme. Elle avait resserré son emprise sur celle-ci lorsque la voix monotone et affranchi de toutes émotions lui était arrivé à ses oreilles.
- Et donc vous avez l’habitude de vous balader dans une crypte pendant la nuit ? Et qui me dit que vous ne m’avez pas suivi ?
L’homme regardait maintenant les bougies, il ne répondit pas. Sa main vint parcourir les bougies dans un geste fluidement exécuté et s’arrêta au-dessus d’une flamme. Il se mit alors à jour avec elle du bout de ses doigts avant de l’éteindre entre le bout de son pouce et de son index.
- Je ressens la peur dans votre cœur, c’est bien… car il vous faut craindre l’instant. Le maître savait que vous plongeriez dans l’obscurité. Je n’avais qu’à l’écouter c’était… mh… trop facile. Il faut mettre fin à l’enfant du chaos et ce sera moi qui conterai cette histoire, un honneur, je dois dire.
Ses déclarations glacèrent le sang d’Anna qui se mit à trembler de tout son corps. Qu’était-il en train de lui dire ? Elle leva la dague vers lui et s’écria.
- Approchez et je crie ! Un pas et je vous tue ! Je le jure sur tous les dieux !
- Je, je, je… pauvre petite princesse, si seule, si apeurée… Le troubadour se tourna face à elle et la regarda d’un grand sourire empli de folie. D’un nouveau geste de la main, il l’approcha proche de la paume de sa jumelle et fit apparaître dans la longueur d’un mouvement, une fine lame de couleur obsidienne.
Anna recula face à la magie qu’avait déployée l’inconnu. Il s’agissait ni plus ni moins d’un assassin dont les capacités chaotiques avaient été forgées pour accomplir ses missions meurtrières. Dès que son pied vint se poser en arrière, l’homme avança sans prendre garde, il ne montrait nulle émotion d’effroi face à la dague postée en avant de la princesse. D’un mouvement de lame, il fit voler au sol le seul moyen de défense d’Anna qui se jeta sur le côté pour récupérer son arme. L’assassin se mit à rire à gorge déployée, ses couinements rauques, démontraient qu'il prenait du plaisir à sonder la peur de la jeune femme.
- Sullys ! Père ! Je vous en prie aidez-moi !
Le rire impitoyable du corbeau posté face à elle fut la seule réponse à son appel. Il était à deux mètres d’elle, plongeant son regard dans ses yeux, sa langue se baladait sur la partie supérieure de sa dentition.
- La mort n’est qu’un passage, réjouis-toi de voir ton monde s’écrouler si rapidement.
Anna recula sur ses mains et vint récupérer sa dague qu’il avait projetée avec force. Mais l’homme n’allait pas lâcher l’affaire, il fit un grand mouvement de jambe et projeta son pied contre la tête de la princesse. Ne pouvant se défendre correctement, elle sentit la longueur de la botte frapper le côté de sa tête et elle se retrouva propulser la face contre terre. La douleur de sa joue fut dépassée par le sang qui coulait de son nez et de sa lèvre inférieure. Elle tenta de nouveau de se relever, mais un cri de souffrance sorti de sa gorge lorsqu’il lui attrapa les cheveux en tirant sa tête vers l’arrière.
- Dans sa joie, il demeure la ténèbres ! Née du chaos tu rejoins ton créateur ! Le maître voit tout, sait tout !
Il plaça sa lame sous le cou d’Anna qui se débattait de tout son long en hurlant. Elle battait avec force des pieds tandis que l’homme la plaquait contre le sol de tout son poids.
- Ainsi tu meurs catin impie !
Finissant sa phrase, elle voyait déjà sa mort, ses larmes se muaient avec son sang coulant abondamment sur le bas de son visage. Mais rien ne vint. Ses cheveux, tirés en arrière, étaient retombés en bataille contre le sol et le poids de l’assassin avait disparu. Se tournant rapidement de peur, un spectacle d’horreur se dévoila à quelques mètres du sol. Dans les airs, le pseudo-chanteur se débattait contre une forme invisible, hurlant à plein poumon, ne comprenant pas d’où son ennemi était venu. Un os se rompit avec bruit et l’écho de sa jambe se retournant dans un angle irrégulier fit monter immédiatement une envie de vomir dans le corps de la princesse au sol. Il hurla de terreur, son malheur ne prit cependant pas fin, car ce fut un autre os qui se broya sous la force d’une entité qui n’allait pas le lâcher de sitôt. Plus la douleur était grande, plus la lumière de la salle s’obscurcissait, jusqu’à ce que la pénombre fût à son paroxysme. Anna regardait la scène, un état de choc s’était emparé d’elle et elle observait sans rien dire l’homme se faire déchiqueter à même les airs. Il était écrasé de tout part, mais vivant et ses plaintes d’agonies se muaient avec le fracas de chacun de ses os. Pour l’instant, l’invisible ne lui voulait pas sa mort, elle ne voulait que sa souffrance. Mais l’obscur état de la pièce révéla l’ombre qui retenait l’assassin dans les airs. Il s’agissait d’une forme humaine, dont le corps mélangeait vide et vagues noires. De sa puissante main, il tenait le cou de l’homme, et de l’autre, il fit apparaître un objet pointu. Sans un bruit, il posa contre le cœur cette arme du chaos, et la fit pénétrer dans sa chair, formant un trou béant. Le corps cessa de s’animer, les poumons s'arrêtèrent de cracher les cris de douleur et de terreurs. Désormais sans vie, la carcasse morcelée ruisselait telle une rivière de sang. Anna tomba dans l’inconscience lorsque le spectacle prit fin. L’ombre avait disparu, la lumière, elle, illuminait de nouveau la salle.
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