Chapitre 1
Nous étions les anges déchus de ce monde à l’agonie. Nous étions les Enfants de la Pluie, les orphelins du soleil perdu.
Cette journée ressemblait à tant d'autres à Rain City. Lorsque je lèvais les yeux vers le ciel, je baissais la tête l'instant d'après, abattu par un sentiment de dépression. Un geste machinal que j'ai exécuté tellement de fois que j'en ai perdu le compte.
Qu'est-ce que j'espérais trouver dans ce fichu ciel d'encre? Un signe, un éclair scintillant qui illuminerait peut-être ma piètre existence, qui lui donnerait enfin un sens. Je me fais encore des idées, comme toujours.
L'homme est une bête qui cherche à s'extraire de sa condition.. je ne me rappelle plus le nom du tocard qui m'avait balancé ça, fier comme un paon qui aurait déniché le gros lot. Ah peut-être mon ancien instructeur à l'école de police dont j'ai complètement oublié le nom.
À Rain City, ce maudit cloaque pestilentiel, tous cherchaient à s'élever mais très peu y parvenaient. Quant aux autres… ils avaient appris durement la condition de proies et d'exploités. Ici, la vie vous broyait entre les mâchoires d'une pince géante.
Quand je portais l'uniforme lors de mes rondes, j'en ai étudié les ravages. Seuls les myopes voire les aveugles ne remarquaient pas ces silhouettes courbées par le poids de leur existence. Le fait de n'avoir jamais vu le soleil ne devait pas égayer leur humeur.
La mienne pas davantage.
Je me penchai en avant, en saisissant ma clope que je tentais de protéger tant bien que mal de l'humidité ambiante. Je grattai cette allumette et une minuscule chaleur réchauffa mes lèvres l'instant d'après. Un réconfort éphémère tandis que j'aspirais la nicotine pour tuer le temps à l'intérieur de ma vieille bagnole qui avait traîné ma carcasse de quadragénaire aigri. Les gouttes en cascade tambourinaient sur les vitres crasseuses ternies par l'érosion du temps et de ma négligence.
Depuis mon limogeage de la police de Rain City, je négligeai beaucoup de choses, je me tenais sur la corde raide.
Je n'étais pas là dans cette rue insignifiante pour le plaisir, mais pour le boulot. Par un vieux réflexe, je fouillai dans la pochette de mon manteau moisi pour regarder l'heure sur mon portable. Avant de me rappeler que la ville ne possédait plus de réseau depuis pas mal de lustres. Peu d'infrastructures fonctionnaient correctement.
Rain City se mourait lentement, les choses empiraient. Chaque jour, le désespoir grimpait d'un cran. Pendant mon service, combien d'appels recevions-nous à propos de malheureux qui se suicidaient exprès en écrasant leur voiture à pleine vitesse contre ce bouclier qui nous coupait du monde extérieur et nous maintenait prisonnier ?
Quand le désespoir apparaissait, le mal ne tardait pas à pointer le bout de son nez. Tous avaient développé un instinct de survie et de conservation. Moi un peu moins que les autres.. en tout cas je voulais y croire comme un forcené.
Un nouveau fléau avait fait son apparition ces dernières semaines et c'est ce qui m'amenait dans ce quartier qui ressemblait à tant d'autres endroits à Rain City. Une mère s'inquiétait pour sa fille et m'avait engagé. Ouais c'était cela, mon nouveau job après la police… Agent privé d'investigation ou détective pour les profanes.
Ma cliente, madame Macelen, m'avait chargé de veiller sur sa fille unique car elle la soupçonnait d'avoir de mauvaises fréquentations. En d'autres occasions, j'aurais refusé cette offre vu le prix minable qu'elle m'avait proposé. Mais je n'avais pas eu assez de cran pour cela quand j'ai entendu la détresse faire dérailler sa voix.
J'avais donc filé cette fille à bord de ma caisse à l'agonie jusqu'à cette intersection qui menait à une impasse. J'avais pris soin de me garer contre le trottoir et de rester planqué là pour ne pas l'effrayer. Jusque là je n'avais rien remarqué d'anormal dans son comportement à part cette nervosité qui la forçait à se retourner à intervalles réguliers. Et je ne parlerais pas de sa tenue qui me faisaient penser à celle que portaient les filles de joie dans les Brumes de l'Extase.
Un maquillage très marqué au niveau des cils, une jupe qui ne descendait pas jusqu'au bas des cuisses, des talons hauts qui la faisaient trébucher – elle n'avait pas trop l'habitude d'en porter visiblement – et je n'évoque même pas ce nombril à l'air, découvert en dessous de sa veste de cuir. Elle tenait maladroitement son sac à main qui glissait de son épaule sans cesse. Je lui donnais une vingtaine d'années, pas plus.
Tout cela me fournissait un indice sur ses potentielles habitudes de travail nocturne. J'avais l'impression qu'elle le faisait par nécessité peut-être pour subvenir aux besoins de sa pauvre mère qui ne roulait pas sur l'or, comme j'avais pu le constater.
Elle cherchait simplement à s'en sortir, elle n'avait pas encore perdu sa dignité, la volonté de se battre comme tant d'autres qui avaient baissé les bras et avaient préféré en finir d'une façon ou d'une autre.
L'avantage quand on est au bout du rouleau est qu'on ne manque pas d'imagination pour abréger son existence. Elle n'en était pas encore à ce stade.
Je l'avais vu entrer dans l'immeuble en face de moi. Par précaution, j'étais allé patrouiller dans les rues alentour pour vérifier qu'il n'y avait pas d'autres accès. Si elle ressortait, je ne pourrais pas la rater.
Je tirai sur ma clope sans empressement, m'attendant à une longue veille frustrante. J'avais pourtant appris à m'y habituer depuis le temps, quand j'arpentais les rues il y a des années de cela. J'activai de temps à autre les essuie glaces qui gémissaient lorsqu'ils chassèrent l'eau qui s'accumulait et brouillait ma vision.
Puis je laissai mon esprit errer. Le passé, le présent, l'avenir. À Rain City, il était devenu si facile de perdre la notion du temps. De confondre les jours, de ne plus savoir dans la même journée ce qu'était le matin, le soir. Nous étions tous prisonniers d'un cycle dont nous ne distinguions pas la fin et le commencement.
Rain City était notre bagne à ciel ouvert.
Je toussai involontairement et cela me permit d'évacuer mes pensées moroses. Je décidai de me concentrer sur le boulot. Comment s'appelait déjà cette fille ?
Ah oui, Cynthia.
Alors que je souriais devant ce nom qui évoquait un vague espoir depuis longtemps disparu, une silhouette ouvrit à toute volée la porte de l'immeuble avant de s'effondrer à genoux après avoir parcouru deux mètres.
Cynthia Macelen se remit péniblement sur ses appuis et je la vis avec un début d'angoisse exponentielle tituber vers le mur comme pour s'y agripper. Elle tourna la tête dans ma direction et me tendit une main suppliante.
Avant de s'affaler sur le flanc, secouée de convulsions.
Sans hésiter, je poussai la portière pour bondir et traverser la rue. Je courus pour me précipiter à son chevet et je me penchai pour la soulever par les épaules. Ses yeux hagards étaient d'un vert magnifique, une couleur chlorophylle qui tranchait avec le goudron et le pavé rouillé.
Sa voix n'était plus qu'un souffle rauque.
– Le soleil… je veux voir le soleil.
Mon sang se glaça lorsque je compris ce qui devait circuler dans son corps. Et qu'il était trop tard pour faire quoique ce soit qui puisse la sauver.
– Accrochez-vous, Cynthia, je vais appeler les secours.
Je me mordis la lèvre devant mon mensonge éhonté. Il n'y avait pas de réseau dans Rain City et même s'il y en avait… il n'y avait plus rien à faire de toute façon.
Ses lèvres continuaient de bouger et je n'entendis plus que des bribes à peines compréhensibles.
– Méfiez-vous… Protecteurs… Soleil… éclairé…
Je la sentis se raidir tout à coup dans mes bras. Ses yeux perdirent leur éclat et je ne fixais plus qu'un cadavre.
Sous la pluie de Rain City, une innocente venait de mourir. Je m'appelle David Selstan et j'aurai cette mort sur la conscience comme pour tant d'autres avant.
*****
Moins d'une heure plus tard, l'impasse grouillait de monde. Des rats qui s'affairaient autour de la nourriture fraîche. Infirmiers, policiers, légistes…
Les rats avaient un visage humain à Rain City, éclairé par les gyrophares qui clignotaient de manière désordonnée. Je me tenais à l'écart, derrière le périmètre de sécurité en train d'observer ce spectacle navrant.
Le corps de Cynthia était enfermé dans un sac mortuaire et traîné comme un poids mort jusqu'à un fourgon qui l'emmènerait à la morgue. Quelqu'un se rangea à ma hauteur, et du coin de l’œil j'entraperçus un sourire narquois.
– J'ai eu du mal à te reconnaître de loin, Selstan. La retraite ne te réussit pas.
C'était une vieille connaissance que je n'étais pas franchement ravi de revoir.
– Olson, grognai-je entre les dents. Ce n'est pas ton secteur ici.
– Non et le tien encore moins.
Il ne me proposa pas de m'abriter sous son large parapluie et de toute manière je n'aurais pas accepté. Sa compagnie m'était aussi agréable que celle d'un serpent à sonnettes, c'est dire. Le teint basané, il arborait fièrement sa barbichette comme s'il se croyait à la parade.
Il me tendit le sac à main de la macchabée que je pris en lui accordant à peine un regard.
– On a retrouvé ça dans l'immeuble, expliqua-t-il. Jette un coup d’œil si le cœur t'en dit.
Je m'interrogeai un instant sur l'étrange politesse d'Olson qui me paraissait suspecte sur le coup. Avant d'introduire la main dans le contenu. Trois fioles brillèrent au milieu de ma paume d'un éclat sinistre équivalent à celui de la peau de citron flétri.
Je grimaçai en reconnaissant le nouveau fléau qui sévissait dans Rain City.
– La Vipère Jaune.
– Ouais c'est une dose de cette saloperie qui l'a tué. Affaire classée.
Je tiquai à ces derniers mots qui transpiraient une nonchalance peu appropriée.
– Affaire classée ? Tu as pensé à prendre les témoignages au moins, sans compter le mien ?
– Le tien suffit pour le moment, tu es la dernière personne à l'avoir vue en vie, non ? N'essaie pas de m'apprendre mon boulot.
Olson était au diapason de l'ensemble de la police de Rain City. J'éprouvais ce désagréable pressentiment que sa venue n'était pas due au hasard. Dans ce métier, on apprend vite la paranoïa, que l'on soit intègre ou pas.
– En plus d'une pute, c'est une toxicomane, insista-t-il d'un ton péremptoire. T'as remarqué qu'une des fioles était à moitié vide ?
Olson disait vrai lorsque j'examinai attentivement l'une des éprouvettes.
– Tu vois, y a plus rien d'autre à dire.
Cette fois je me tournai pour accrocher son regard. Une étrange démangeaison commençait à picoter mon poignet que je souhaitais tant utiliser pour le faire taire.
– Il reste beaucoup de choses à dire, Olson. La gamine n'avait rien d'une toxicomane pour moi et elle semblait avoir peur de quelque chose ou de quelqu'un.
– C'est le Saint Esprit qui t'a dit ça ? Me railla-t-il.
Je ne relevai pas cette remarque, me contentant de remettre les fioles à leur place et de lui rendre le sac à main.
– Sa mère doit être informée, soulignai-je.
– Bonne idée, ricana Olson. Vu que tu t'occupais de son cas, tu es le mieux placé pour ça. T'as du en réconforter beaucoup de veuves, Saint David.
Je m'avançai d'un pas et je fus satisfait de le voir reculer nerveusement. Olson avait peur que je le morde, on dirait.
– C'est évident. Vu que t'en as rien à foutre de la misère humaine, tu n'es pas le mieux placé pour annoncer ce genre de nouvelles.
Je jubilai devant la grimace de dépit qui tordait ses traits sournois.
– Tu me paieras un jour pour ces paroles, Selstan.
– Pourquoi pas maintenant ? Un mort de plus ou de moins à Rain City, personne ne verra la différence.
Le provoquer était un risque calculé. Olson n'était pas assez idiot pour tenter quelque chose devant des témoins. Je le connaissais cependant assez bien pour ne pas oublier qu'il possédait la rancune tenace. Je devrais m'en méfier à l'avenir.
– Tu n'as jamais su fermer ta grande gueule quand il le fallait, Selstan. C'est d'ailleurs ce qui t'a coûté ton badge.
Je haussai les épaules d'indifférence. Je savais mieux que personne les raisons de mon départ. Je gênais beaucoup de gens et on m'a simplement éliminé de l'équation.
– Dégages de là, t'as rien à faire ici.
Là, je le gênais mon ami Olson.
– J'avais pas l'intention de m'attarder, lui affirmai-je. Ce n'est pas ici que je trouverai les réponses à mes questions.
– Laisse tomber, Selstan. La Vipère Jaune, c'est trop gros pour toi.
Olson se détourna pour regagner sa voiture mais je voulais lui montrer que je n'abdiquerai pas facilement.
– Ce n'était pas une overdose, c'était un meurtre. Je connais une mère qui a besoin de savoir pourquoi sa fille est morte.
Olson n'était pas encore arrivé jusqu'à sa bagnole qu'il me répliqua sèchement par dessus son épaule.
– Dans ton intérêt, évite de remuer la merde. Sinon tu vas découvrir que tu peux perdre plus que ton boulot.
La menace ne m'étonnait pas de sa part et cela m'indiqua qu'il en savait beaucoup plus qu'il ne voulait l'avouer. Non sa présence ici n'était pas due au hasard, quelqu'un l'avait envoyé pour s'assurer que tout restait sous contrôle.
Sur la police de Rain City, plus grand monde n'était dupe. On peut appeler ça un point positif. Je peux affirmer qu'il existait un paquet d'Olson, tous plus corrompus les uns que les autres. J'avais perdu mon badge parce que j'avais essayé de changer les choses à mon échelle. Les gros bonnets m'avaient refusé cette modeste ambition.
– Je ne resterai pas les bras croisés.
– Comme tu voudras, cracha Olson avec mépris. Tu pourras pas te plaindre que je ne t'ai pas prévenu.
Il monta dans sa voiture sans la démarrer. Je le sentais me surveiller à travers le pare brise. Il ne bougerait pas avant que je sois parti. Je rejoignis finalement l'épave déglinguée qui m'avait amenée jusqu'ici et mis le contact.
Le vacarme des gyrophares s'estompa rapidement alors que je quittais le quartier pour aller annoncer la funeste nouvelle à ma cliente, la mère de Cynthia. J'aperçus les phares de la voiture d'Olson éblouir mes rétroviseurs pendant plusieurs minutes avant qu'il ne prenne un autre chemin, certain que je n'étais pas prêt de retourner sur la scène de crime.
*****
Au sein de la police de Rain City, j'avais très vite pris l'habitude d'annoncer les mauvaises nouvelles et les très mauvaises nouvelles aux familles des victimes et des coupables. Du moins les familles qui n'étaient pas assez dorées pour graisser quelques pattes ou se payer un avocat potable autre que les commis d'office.
Je suivais la rocade périphérique qui menait au domicile de madame Macelen, quelque part dans la banlieue de Rain City. Il n'existait que peu de circulation, les gens ne s’attardaient pas sur ce temps maussade qui était devenue la norme inflexible dans cette ville mourante. Après m'être lassé du lugubre paysage urbain qui étalait les ruines d'immeubles comme les vestiges d'un royaume déchu, je fixais la morne plaine qui bouchait l'horizon au-delà du bouclier.
Là-bas, le soleil brillait par son absence désespérante. C'est aussi pour cela que peu de gens tentaient de fuir Rain City. La plupart n'espéraient rien trouver de mieux que des terres non fertiles, ils ne troqueraient un enfer que contre un autre.
C'était la croyance commune de tous les damnés de notre prison dans laquelle nous naissons et nous mourons.
Je pouvais distinguer, malgré la brume et les ténèbres qui s'épaississaient, les silhouettes décharnées de quelques arbres morts privés de chevelure. La nature avait quitté Rain City et avait mis ses plaies à vif, un supplice gorgé et inondé par ses larmes amères.
J'empruntai la sortie pour me diriger vers ce qui avait ressemblé dans une autre vie à un quartier pavillonnaire et huppé. Un quartier qui tombait en ruines tout comme les autres et qui avait perdu son lustre d'antan.
Les rues étaient désertes alors que je dépassai des immeubles à la carapace luisante et rouillée par l'érosion. Les feux de signalisation se penchaient tordus comme des vieillards courbés, hors d'état de fonctionner. Je m'arrêtai finalement un peu plus loin au milieu d'une rue aussi animée qu'un tombeau devant une petite maison sans prétention.
À la lueur vacillante de mes phares, j’aperçus Madame Macelen sur le pas de sa porte qui m'attendait avec fébrilité. J'inspirai longuement...
Bon il était temps d'annoncer la mauvaise nouvelle, le genre de choses que je détestais faire à la police autrefois. Même si j'avais appris à m'endurcir depuis le temps.
Elle m'invita à entrer et je ne me fis pas prier deux fois, savourant enfin la chaleur d'un foyer mourant sous la cheminée. Tout dans cette demeure témoignait de la modestie tant financière que personnelle de cette brave dame quinquagénaire qui se dressait grâce à cette force de caractère, animant ceux qui refusaient de baisser les bras. Malgré ces rides qui serpentaient son front, un témoignage des soucis qui la tracassaient. Et auxquels j'allais mettre un terme brutal.
Sa réaction fut celle que j'avais prévu de la part d'une mère aimant sa fille comme la chair de sa chair. J'avais assisté à ce genre de scènes et je n'avais jamais réussi à m'y faire. La douleur humaine ne pouvait laisser insensible.
Sauf quand on avait perdu toute humanité, ce qui était le cas d'une bonne partie des habitants de Rain City.
Après un temps indéterminé, elle recouvrit sa dignité, les yeux encore humides.
– Racontez-moi ce qui s'est passé, monsieur Selstan. Et ne m'épargnez pas les détails.
Alors je lui narrai tout, c'est-à-dire au fonds pas grand chose. Elle m'interrogea avec une certaine fébrilité.
– Vous n'avez pas vu ce qui lui était arrivée ? Insista-t-elle.
La culpabilité commença à s'insinuer dans mes veines.
– Non, répondis-je sincèrement. Je ne pensais pas qu'elle courait un danger quelconque sinon je l'aurais accompagnée.
– Je connais très bien ma fille. Elle ne consommait pas de drogue y compris cette Vipère Jaune.
– L’enquête ne fait que commencer, lui rappelai-je.
– Vous pensez que la police fera tout ce qu'elle fera ?
Je compris qu'elle testait ma loyauté.
– Je ne vous ferai pas l'injure de vous en persuader.
– Vous ne croyez pas à un accident ?
J'inclinai seulement le menton.
– Alors je vais vous demander un dernier service.
Elle se leva de son fauteuil pour aller saisir un coffret qu'elle ouvrit devant moi, dévoilant toutes les économies.
– Prenez tout, fit-elle.
– Non je ne peux pas.
– J'insiste, vous en avez bien plus besoin que moi. Ma fille représentait tout pour moi et je ne vois pas pourquoi je me battrai pour vivre plus longtemps que nécessaire.
Elle se rapprocha.
– Il y a deux cents solstices. Découvrez la vérité et rendez justice à Cynthia.
Je n'allais pas refuser car j'avais déjà pris cette décision. Je pense qu'elle l'avait compris en soutenant mon regard.
– Vous êtes quelqu'un de bien, monsieur Selstan. C'est devenu si rare de nos jours, dans cette ville.
Dans cet enfer, semblait-elle dire. Elle s'affala sur le fauteuil, fixant le feu hagard et oubliant complètement ma présence.
Il n'y avait rien d'autre à ajouter. Je me sentis coupable de prendre les solstices qui constituaient toutes ses économies mais à Rain City tout le monde pouvait mettre ses scrupules de coté lorsque son instinct de survie s'exprimait. Même moi, pauvre diable, je ne fis pas exception même si de facto elle me les offrait de bon cœur.
J'avais besoin de bouffer comme tout le monde, je n'allais pas faire tant de manières. Je quittais madame Macelen sans un mot, il ne restait rien d'autre à dire.
Rejoignant ma voiture garée dont le moteur émit un râle d'agonie lorsque je le sollicitai sans ménagement, je me mis à cogiter. Il commençait à se faire tard, devais-je commencer mon enquête tout de suite ou attendre demain ?
De toute façon, la pluie ne cesserait pas de tomber sur cette ville en putréfaction, au-dessus de laquelle flottait cette odeur de cadavre. Autant se mettre au travail sans tarder.
Je jetai un dernier regard sur la maison de madame Macelen avant d'appuyer sur l'accélérateur d'une saccade du pied. Décollant du trottoir, je retournai dans les entrailles de Rain City.
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