Chapitre 3

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Je ne mentais pas quand j'affirmais à Sébastian que je n'avais pu compter que sur moi-même depuis bien trop longtemps. Que ce soit au concours d'entrée à l'école de police, à l'obtention de mon diplôme, lors de mes premières rondes nocturnes dangereuses dans les ruelles sombres d'une ville à l'agonie…

Lorsque je me suis persuadé de ne plus garder le silence face aux agissements de la plupart de mes collègues… bordel, rien que d'y penser, cela me donnait encore envie de vomir. Lorsque le commissaire Spikes avait arraché mon insigne pour jeter ma fierté à l'opprobre général… lorsque je fus suspendu de mes fonctions puis limogé… ouais, là je me suis senti très seul.

Et je ressentais encore cette solitude qui marquait mon âme au fer rouge, au moment où je conduisais ma voiture au souffle rauque. Tenant le volant d'une main, je pris le temps de griller une autre clope et d'en savourer chaque bouffée.

Une sirène hurla tout à coup à quelques mètres, me faisant sursauter. Je regardais dans mon rétroviseur intérieur au reflet blafard et surpris le geste de l'agent de police qui était aux commandes de sa voiture me faisant signe de me garer le long du trottoir.

J'obtempérai et je tirai le frein à mains vers moi, tout en pestant entre mes dents. Mon intuition me disait que les emmerdes allaient atterrir sur ma gueule.

Le digne serviteur de Rain City et de ses citoyens, fier comme un paon dans son uniforme clinquant, descendit et vint toquer à ma vitre avec le bout de sa matraque. Je la baissai et je me fis apostropher rudement:

– Coupez le contact et montrez-moi les papiers du véhicule.

Je surpris du coin de l’œil la silhouette d'un de ses camarades errer à un mètre de lui, guettant d'un regard suspicieux tous qui regardaient ce contrôle d'un peu trop près.

Ces deux gars là n'étaient pas là pour me demander un autographe.

Je jouais le jeu, histoire de ne pas créer d'embrouilles inutiles. À peine avais-je glissé les papiers dans la main de mon sympathique cerbère que son acolyte beugla :

– Eh ! Dis-lui qu'il a un des phares arrières complètement naze !

Le bruit de verre brisé qui succéda peu après m'éclaira de plein fouet sur la suite de la procédure. J'avais déjà assisté à ce genre de coups fourrés du temps où la popularité de la police déclinait déjà fortement auprès de ses concitoyens. Du temps où j'étais moi-même de la maison.

L'agent qui était à ma hauteur, un abruti rouquin, me décocha un rictus mauvais. Il tenait toujours à la main mes papiers qu'il n'avait pas pris la peine d'examiner.

– Un phare non réglementaire, hein ? Ricana-t-il. Voilà qui va nécessiter une fouille plus approfondie.

– Allez les gars, fis-je avec diplomatie. On peut s'arranger ?

– Descends du véhicule et mets les mains sur le capot.

Bon, je n'allais pas m'en sortir aussi facilement, on dirait. Ces gars sortaient tout droit de l'école de police et brûlaient d'impatience de faire leurs preuves auprès des aînés. Pourris jusqu'à la moelle, rien de bon à en tirer.

Merde, les choses ne s'arrangeaient vraiment pas.

Je dépliai non sans plaisir mon mètres quatre vingt, satisfait de constater que je dépassais le rouquin d'une bonne tête. Pour ce qui était de l'autre agent, celui-ci était par contre taillé comme une armoire à glace.

Je tournai le dos au rouquin et posai sur la surface poisseuse du capot mes paumes tandis que le rouquin me dit.

– On a un message de la part d'Olson.

Je ne pus me retenir de lui répliquer par dessus mon épaule.

– Il te paye combien pour être son larbin ?

Sa matraque se lova dans mes reins, me coupant le souffle. Je me rattrapai à ce que je pouvais pour ne pas m'écrouler.

– Tu te crois malin, le vieux ? Tu vas sentir tes rhumatismes avant l'âge, connard ! Et pour ta gouverne, il nous paye assez pour nous faire plaisir aux Brumes de l'Extase.

Le rouquin aboya à son coéquipier.

– Fouille-le Elvis !

L'autre brute peu subtile s'approcha et des mains épaisses me palpèrent le long des cuisses, des bras et du torse. Jusquà ce que ce cher Elvis mit la main sur le flingue de Zho. Il l'exhiba d'un sourire féroce de sous mon manteau usé pour le brandir sous le nez de son collègue.

Merde, pensai-je.

– Eh Stan, t'as vu ça !

Le rouquin arbora un sourire plus large.

– T'as un permis pour ça ? Me brailla-t-il.

– Je l'ai laissé chez moi.

– C'est con de ta part. Là on a de quoi te boucler pendant au moins la nuit, pour port d'armes illégal.

Il était aux anges et il ne le cachait pas, cet enfoiré. Même si j'eus l'impression qu'il avait autre chose en tête que de me ramener au poste.

– Ça tombe bien, ca me fera des vacances, martelai-je avec ironie. Je suis sûr que j'aurai beaucoup manqué à ce bon vieux Spikes.

– On te le répétera pas deux fois, Selstan. Te mêle pas de la Vipère Jaune.

– Pourquoi ? Spikes est impliqué ?

C'était la question à ne pas poser. Le rouquin me le fit comprendre lorsque sa matraque s'enfonça dans mon foie, hachant ma respiration. Je m'effondrai à genoux, plié en deux avant que l'armoire à glace ne s'approcha à son tour pour participer à la fête.

J'ignorai combien de temps le repassage dura mais j'avais l'impression d'avoir pris trente ans de plus quand ce fut terminé. J'eus le luxe délectable de goûter le sang dans ma propre bouche tandis que mes abdominaux m’élançaient lorsque je cherchai à me redresser.

– Alors ca te suffit ? Me cracha le rouquin.

Le rire secoua mes entrailles martyrisées.

– Bah, pour ce qui est de cogner… vous êtes une sacrée bande d'amateurs..

– Connard !

La brute épaisse et sans cervelle du nom d'Elvis se pencha et son poing massif boucha mon champ de vision. Je ne sentis pas grand chose à vrai dire, seulement que je sombrais encore un peu plus dans le flou.

Le contact avec la flaque froide qui baignait ma figure me réveilla et je me redressai prudemment sur les genoux, cherchant du regard mes bourreaux qui avaient disparu. Des sirènes hurlantes s'éloignaient au loin, enfouis dans la nuit ponctuée par les pleurs incessants du ciel. Titubant sur mes pieds, je croisai le regard de quelques passants qui s'étaient arrêtés pour regarder le spectacle. Tous se détournèrent, sans doute emplis de honte et bien plus encore d'indifférence.

La compassion n'existait pas à Rain City, tous ceux qui étaient capables de marcher et de penser ne pensaient qu'à leur survie et aux lendemains qui déchantent. Nous étions réduits à des rats à visage humain.

J'attrapai la portière pour me glisser à l'intérieur de ma voiture. Les essuie glace crièrent lorsque je les activai et j'en profitai pour contempler mon reflet dans le rétro intérieur. Un bel œil tuméfié enflait une bonne partie de ma trogne.

Ces salauds ne m'avaient pas raté.

De toute façon, après ma discussion après Sebastian, j'avais prévu de retourner dans mon terrier anonyme et insignifiant de Rain City. Je m'en tenais à ma première idée de départ, il n'y avait rien d'autre à faire ce soir.

******

Le quartier dans lequel je créchais n'était pas plus animé que d'autres de Rain City. Ma route ne croisait que quelques maigres spectres ambulants, éclairés par des feux de poubelles. L'électricité publique ne fonctionnait que deux à trois heures par jour en moyenne, quand il ne pleuvait pas trop. Je freinai à hauteur d'un immeuble décrépit et levai mes yeux avec lassitude vers la fenêtre du troisième étage.

Mon chez moi.

Chaque pas que j’accomplissais en montant les marches me paraissait être un effort surhumain. Mes nouveaux potes Stan et Elvis m'avaient prescrit une ordonnance médicale très corsée. La porte grinça à mon intention lorsque je la repoussai pour pénétrer dans ma caverne.

Aussi agile qu'un estropié qui sortait d'un bloc opératoire, je me dirigeai vers la salle de bains, écrasant au passage un gros cafard sous ma godasse. J'y prêtais à peine attention, bien plus préoccupé par l'étendue de mes plaies et bosses.

Le reflet crasseux du miroir me renvoya sans ménagement la figure d'un boxeur qui avait oublié de contracter une assurance. Le sang perlait de mes lèvres et de mes narines et en plusieurs endroits, des bleus enflaient la densité de ma peau.

Comme il pleuvait tout le temps, l'approvisionnement en eau fonctionnait plutôt bien, malgré les techniques très basiques utilisées pour sa récupération et sa distribution. J'ouvris le robinet et la fraîcheur qui ruisselait entre mes doigts apaisa la douleur lorsque j'appliquai mes paumes contre ma figure.

Je me refis une beauté, nettoyant le sang, la crasse et la boue qui salissaient mes traits. Ceux d'un pauvre gars aux cheveux très courts et mal rasé qui courait vers sa quarantième année. Mes yeux verts et gris brillaient d'une lueur vacillante de combativité, de celui qui portait le poids du monde sur ses épaules et espérait quand même l'améliorer. Grâce à mes traits fins, j'étais pas trop moche. Les rares femmes qui prenaient la peine de s’intéresser à mon cas, me trouvaient plutôt joli garçon. La rapide toilette achevée, j'enlevai mon imper dégoulinant d'humidité pour l'accrocher au porte manteau près de la porte.

J'allumai une clope et je me postai près de la fenêtre pour observer la rue en contre bas. Pas âme qui vive à part la bagnole tous gyrophares allumés qui s'était sagement rangée derrière ma caisse le long du trottoir.

Notre vaillante et dévouée police n'allait pas me lâcher de sitôt. Ca je ne pouvais rien y faire mais il était certain qu'ils ne m'empêcheraient pas de dormir. Olson se contenterait du rapport de patrouille de ses deux roquets avec qui j'avais fait connaissance.

Mais je n'étais pas certain de trouver le sommeil pour autant. C'était l'une des tares de Rain City, les idées noires nous venaient facilement en tête. Franchement il y avait de quoi. Surtout quand on avait mauvaise conscience, quand on avait le sentiment de ne pas avoir fait assez pour ses concitoyens même quand on en faisait trop.

La solitude n'aidait pas. Les rats aussi avaient besoin de sociabilité, c'était une notion dont la majorité avaient oublié la signification, moi compris.

À Rain City, nous ne parvenions pas à nous projeter dans l'avenir. À quoi bon dans une ville qui mourait à petit feu ? À quoi bon fonder une famille si on ne pouvait assurer sa propre dignité et sa propre survie ?

Nous ne pouvions nous satisfaire de l'instant présent, il ne restait plus qu'à nous oublier dans les regrets du passé. Les regrets, la culpabilité… à cause de cela, tous les jours des gens en finissaient avec leur existence.

De la manière qui leur convenait.

Je finis par m'allonger sur le divan et fixant le plafonds humide, je parvins à découvrir une bonne raison de trouver le sommeil. Cynthia Macelen, la Vipère Jaune… il fallait que je poursuive mon enquête.

J'avais fait une promesse et je devais la tenir.

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