Chapitre 5
De retour dans la rue, je pris le temps de reconnaître les lieux alentours histoire de faire gaffe où je mettais les pieds. Dans le Hachoir, Seth était chez lui et avait dû poster des pions aux endroits stratégiques.
Devant l'entrée principale par exemple.
Deux de ces pions s'étaient postés en haut des marches, encadrant l'entrée sévèrement. Un feu de poubelles les réchauffait et je m'approchais très lentement, histoire de surprendre leur conversation.
Sous le manteau de l'un d'eux, je devinai la crosse d'un flingue.
– Tu crois que ce flic va venir jusqu'ici ? Grognait l'un d'eux.
Mince… moi qui comptais leur faire la surprise, c'était raté.
L'autre ricana d'un ton gras.
– Aucun vrai flic n'est venu au Hachoir depuis des lustres ! C'est pas maintenant que ca va arriver ! M'est avis que Zho a du reniflé une de ses fioles !
J'allais prendre un malin plaisir à faire voler en éclats leurs certitudes. Ils s'animèrent lorsque j'apparus dans leur champ de vision.
– Où vas-tu comme ça, toi ? M'interpella celui de gauche, un borgne balafré au niveau de l’œil droit.
Il s'interposa devant moi pour me barrer le chemin. M'adressant un sourire mauvais, il devait penser que j'étais un camé en manque de sensations fortes.
– Je dois causer à Seth. C'est urgent.
– T'as qu'à prendre rendez-vous, clochard ! Et si t'es là pour la Vipère Jaune, le marché est fermé pour l'instant !
– Parfait, cela nous laissera le temps de discuter.
Les deux échangèrent un regard circonspect.
– Merde, il lui manque combien de cases, tu crois? Demanda le borgne.
– Sais pas, renvoie le aux ordures !
Son camarade dédaigneux – celui qui possédait une arme – s’intéressait à peine à mon cas alors que le borgne s'avança menaçant.
– Allez tire-toi ! On fait pas la charité !
– Ça m'arrange, fis-je.
Alors qu'il s'apprêtait à me saisir l'épaule, le canon de mon pétard se logea juste sous son menton, le figeant sur place.
– Surprise, enfoiré.
L'ahuri derrière le borgne, agrandit les yeux de stupeur avant de comprendre ce qui se passait. Il voulut dégainer mais il ne fut pas assez rapide. Un claquement assourdissant perturba la quiétude du Hachoir avant qu'il ne s'effondra aussi raide qu'une planche abandonnée.
Je l'avais aligné sans que le borgne ait tenté quoique ce soit. Celui-ci me fixait, une lueur implorante dans son œil valide alors que je calais de nouveau mon joujou sous sa mâchoire épaisse.
– OK, je t'amène à Seth, déconne pas !
– Bon garçon. Après toi.
Je lui ordonnai de baisser les bras, histoire de ne pas éveiller les soupçons. Nous étions à peine entrés dans le hall qu'une voix grave nous interpella quelques mètres devant nous, aux pieds d'un escalier.
– Bordel Luiz ! C'était quoi ce coup de feu ?
Je murmurais aux oreilles du borgne, lui conseillant de peser ses prochains mots.
– Euh, c'est rien, Ramon ! Elias nettoyait son pétard, le coup est parti tout seul !
– Et il est où, ce con ?
Ramon s'approcha lentement pour dévisager son complice puis moi.
– Hum au ptit coin, répondit finalement Luiz.
– Et lui, c'est qui ? L'interrogea l'autre en me fusillant du regard au passage.
Le borgne me fixa un instant par dessus son épaule et je le surpris en train de déglutir. Je me réjouissais intérieurement de son petit malaise. Il me faisait penser à un rat encerclé par des braises ardentes.
Histoire qu'il ne m'oublie pas, j'appuyai un peu plus le canon contre sa moelle épinière.
– Il… il vient voir Seth. Pour affaires.
Ramon avait-il remarqué son hésitation ? Je ne pus le déterminer sur l'instant, toujours est-il qu'il demeurait extrêmement méfiant.
– Pour affaires, hein ? Seth est occupé pour l'instant, il a qu'à repasser plus tard.
– Ben, balbutia Luiz. En fait, il hum insiste beaucoup.
Ramon plongea son regard dans le mien et je ne pus retenir un sourire espiègle.
– J'ai mon flingue pointé sur la rate de ton copain et de là où je suis, je peux pas le louper. Dépêche toi de me mener à Seth ou il aura deux connards morts à ramasser en plus de l'autre abruti qui refroidit dehors, avouai-je sans détours.
Ramon n'en revenait pas que j'ose parler ainsi. Puis il se reprit rapidement en ricanant légèrement:
– Si t'es venu tout seul, t'es sacrément con ! Me lança-t-il. Même si Seth accepte de te causer, tu ressortiras pas vivant d'ici.
– Je prends le risque.
Ramon soutint mon regard, pour s'assurer que je parlais sérieusement. Puis il haussa les épaules comme si la suite lui importait peu.
– Comme tu veux, ce sera toujours un plaisir de ramasser tes morceaux après.
Cette perspective là le réjouissait d'avance. Il prit les devants et nous emmena sur plusieurs étages, tandis que j'obligeai mon nouvel ami Luiz à avancer en enfonçant davantage le canon de mon joujou dans les reins.
L'ascension fut si longue et monotone que j'ignorais à quelle altitude je me trouvais. La seule certitude est que nous n’atteignîmes jamais le sommet, en supposant qu'il en existât un. Nous empruntâmes un couloir dont les murs et les plafonds, éclairés par des feux de poubelles sommaires, trahissaient un état bien pire que celui de Rain City en général.
Avant le châtiment divin, des gens habitaient ces appartements. Des familles, des enfants. Des fantômes les avaient remplacés.
Et la canaille s'était installée dans les entrailles de cet immeuble inexorablement rongé par les larmes que le ciel versait sur notre sort à tous. À certains endroits la peinture avait disparu et le plâtre se décollait par pans entiers, laissant à nu le béton encrassé. Nous croisâmes sur notre chemin les mignons de Seth jusqu'au fonds du couloir.
Là où Seth lui-même avait jugé bon d'y installer sa base. Il se réchauffait les mains au-dessus d'une poubelle embrasée tandis que j'entendis glapir une vieille connaissance que j'avais interrogé pas plus tard qu'hier à la Cour des Illusions.
Ce bon vieux Zho.
– Allez je t'ai rendu un service, Seth ! Tu pourrais me renvoyer l'ascenseur ? Depuis le temps qu'on se connaît, je t'ai jamais fait faux-bond !
Seth continua de l'ignorer pendant quelques instants avant de répondre sèchement par dessus son épaule.
– Vraiment ? T'as osé me balancer à ce flic, c'est ce que tu appelles rendre service ?
– Ben il est tout seul, pas de quoi avoir les jetons ! Et puis il n'est même plus flic, de toute façon !
Ayant atteint les limites de la patience, Seth fit volte face et lui décocha un énergique crochet au menton. Pauvre Zho, sa bonne volonté n'était pas toujours récompensée.
Tandis qu'il gémissait tout en crachant du sang, je croisai le regard de mon nouvel ennemi. Je surpris une lueur de démence danser au fonds de ses yeux. Il incarnait la bestialité du Hachoir, engoncé dans ses fringues de croque mort d'un autre siècle. Le teint maladif, le regard sournois enfoncé dans ses orbites, les traits émaciés par un naturel vicieux, il n'était pas vraiment un canon de beauté.
Je compris pourquoi on l'appelait Seth le fou. Ce type avait l'air d'un illuminé sorti tout droit d'une secte.
Il m'étudia et comprit évidemment que je me servais d'un otage. Pendant cet échange silencieux, mon attention fut attirée par des reflets jaunes citron de fioles contenues dans une caisse à ses pieds. La Vipère Jaune.
En constatant les débris de d'autres caisses, j'en concluais que Seth devait être à court de marchandises et qu'il était en attente d'approvisionnement. On peut dire que je tombais bien dans ce cas. Ou mal.
Dans mon dos, Ramon et d'autres se regroupaient derrière moi pour me couper la retraite. Je pris conscience de m'être jeté tout seul dans la gueule du loup. Je le compris d'autant plus lorsque le sourire de Seth s'élargit.
– Je connais ta réputation, David Selstan. T'es pire qu'une sangsue, à ce qu'y paraît… t'en as une sacrée paire pour te pointer sous mon nez dans mon secteur.
– Rain City appartient à tous ceux qui y résident, répliquai-je.
Cela suscita une volée de rire gras de la part de ses hommes de main.
– Ça confirme ce que je pense de toi, Selstan. T'es un sacré con. Rain City appartient au Duc et c'était déjà le cas avant que tu viennes au monde.
– Puisque les présentations sont faites, on va gagner du temps.
Le sourire de Seth disparut tandis que Zho se releva puis tenta de s'éclipser discrètement. Il fut remis au sol d'un simple croche pieds.
– Je n'en ai pas terminé avec toi, tu perds rien pour attendre, lui décocha Seth. Alors qu'est-ce qui t'amène au Hachoir, Selstan ?
– Cynthia Macelen.
Il haussa les épaules d'indifférence.
– Connais pas.
– La fille qui a été retrouvée morte au Narrows pas plus tard qu'hier.
Une lueur de compréhension s'alluma dans ses yeux cupides.
– Ah celle qui a été ramassée dans le caniveau après avoir reniflé une de ses fioles. Dommage, c'était un joli morceau d'après cqu'on m'a dit. Pourquoi tu t'intéresses à cette fille en particulier, Selstan ?
– Intérêt personnel.
De nouveau, un rire mauvais le secoua.
– Pourquoi, tu la baisais ?
Sa répartie suscita de nouveaux railleries moqueuses qui commençaient à mettre à mal ma patience. Je les fis taire rapidement, excédé.
– Je la connaissais à peine mais elle n'est pas morte d'une simple overdose. Quelqu'un lui a injecté de la Vipère Jaune dans le corps et vu que c'est toi qui inondes en bonne partie la ville entière de cette saloperie, tu sais qui a fait le coup. Tu vas me dire son nom.
– Et si je ne veux pas coopérer, Selstan ? Interrogea-t-il sans se départir de son sourire. Tu as peut-être les couilles de me provoquer sur mon terrain de jeu, mais pour le reste t'es rien d'autre qu'un enfant de choeur dans la caverne du diable. Tu m'impressionnes pas.
– Si je n'ai pas ce nom, les restes de la rate de ce bon vieux Luiz vont se retrouver éparpillés sur ta sale gueule de vautour. Avec un peu de chance, ta cervelle pourrait être étalée en compote sur le mur derrière toi.
La tension s'accrut d'un cran et je pouvais deviner que les couteaux s'aiguisaient dans mon dos. Seth ne tarderait pas à lâcher sa meute.
– On ne m'a jamais parlé ainsi sans crever ensuite comme un clébard, cracha-t-il véhément. T'es encore plus con que je l'imaginais.
– Alors viens tenter ta chance.
Le temps se figea avant que Seth n'inclina discrètement le menton en direction de ses comparses. Je savais exactement ce qu'il fallait faire.
Cynthia… je devais rendre justice à Cynthia.
Je fis volte face vers mes ennemis les plus proches, me servant de Luiz comme bouclier vivant. J'avais pensé que cela les déstabiliserait mais je m'étais surestimé. J'avais pensé qu'ils hésiteraient à vider leur flingues.
J'avais tort de le croire.
J'avais à peine posé la crosse du flingue sur l'épaule de Luiz pour allumer ces tocards mais ceux-ci se montrèrent bien moins endormis que je ne l'avais escompté. Les salves mitraillèrent le corps du pauvre minable que j'agrippais et son corps bascula encore plus lourdement contre moi, manquant de me faire perdre l'équilibre.
Je parviens à maintenir debout mon bouclier de chair et de muscles troué de partout avant de répliquer. Comme à l'exercice, quand je portais l'uniforme de la police de Rain City. Pour protéger et servir…
Je devais rendre justice à Cynthia.
Chaque balle faisait mouche, j'éclaircissais leurs rangs et leur confusion fut telle que j'obtins même un répit inespéré pour m'occuper de Seth. Je pivotai à demi au moment où il s'apprêtait à me planter une lame dans mes tripes.
Je bloquai son bras et le tenant par son manteau lui flanquai ma rotule dans ses bijoux de famille. Je l’étendis ensuite au sol d'un crochet salvateur avant de faire face à nouveau à ses mignons. L'un d'eux eut alors la plus brillante idée de sa vie.
Avec un tintement de mauvais augure, je vis une patate mécanique rouillée rebondir jusqu'à mes chevilles.
Mû par mon instinct de survie, je la bottai d'un coup de pied en direction de l'expéditeur. La panique se lut sur les traits de Ramon qui hurla:
– À terre !
La grenade enfla une fraction de seconde après que je me sois aplati face contre terre. Les éclats de shrapnel sifflèrent au-dessus de ma tête et l'onde de choc balaya le couloir et tout ce qui se tenait sur deux pattes.
Mes tympans bourdonnèrent un moment avant que la gêne ne s'estompa au bout de quelques secondes. Me redressant, je vis à travers cette fumée âcre qui m'irritait la trachée, une dizaine de corps étendus qui laissaient échapper une haleine de chair cramée.
J'agrippais de nouveau mon flingue lorsqu'une pierre cogna mon crâne. La perception de mon environnement se brouilla instantanément tandis que je m'écroulais sur les genoux. À travers le brouillard qui perturbait mes pensées, j'entendais Seth hurler dans mon dos.
– Enfoiré de poulet ! T'as buté tous mes copains !
L’affût glacial d'un pistolet se colla contre ma tempe alors que Seth le fou se plaça dans mon champ de vision sur ma droite. Mes idées de nouveau bien en place, je le défiai d'un rire méprisant.
– T'avais qu'à leur apprendre à mieux viser, répondis-je.
Il leva son bras pour me frapper et je ne sentis plus ma mâchoire pendant un instant. La crosse avait fait sauter une molaire. Le goût de mon propre sang humectait ma salive.
– T'es du mauvais coté de l'arme, Selstan. T'aurais jamais dû te pointer au Hachoir, tu t'es pris pour qui bordel ?
– Fais ce que t'as à faire, Seth.
À ma grande surprise, il ricana.
– Tu te comportes comme si t'avais accompli ta mission mais c'est pas le cas, railla-t-il très sûr de son fait.
– De quoi tu parles ?
Il arborait un sourire arrogant.
– C'est moi qui me suis occupé de ta poupée.
Un vide glacial étreignit mon cœur, à la pensée que j'avais tout foiré dans la dernière ligne droite. J'avais espéré que le meurtrier de Cynthia Macelen se trouvait parmi les cadavres frais qui jonchaient le couloir mais ce n'était pas le cas.
Non, son meurtrier se tenait devant moi. Une énergie nouvelle s'éveilla en moi, une tempête menaçait d'entrer en éruption. Ma fureur fut telle que mes poings se serrèrent involontairement, je n’imaginais les écraser sans mal sur la face du pire salopart auquel j'aie jamais eu affaire dans cette ville qui partait en vrille.
Et pourtant Dieu seul sait que j'ai eu mon compte d'ordures jusque là. Bon nombres d'imprécations et malédictions me traversèrent l'esprit mais le seul mot que je fus capable de croasser fut celui-ci:
– Pourquoi ?
– Elle se mêlait de ce qui la regardait pas, tout comme les deux idiots qui ont été trouvés au Narrows dans l'immeuble dans lequel elle est entrée. Et le Duc n'aime pas trop les curieux.
Il me vint une idée de dernier recours. Le faire parler pour gagner du temps et abaisser sa garde. Je n'avais pas l'intention de me livrer à la mort aussi facilement. Je m'étais forgée une carapace aussi dure que la peau de tous ces rats à visage humain.
Seth piquait ma curiosité.
– Qu'a-t-elle découvert ?
– Qu'est-ce que ça peut te foutre ?
– Ben au point où je suis, un peu de conversation peut pas faire de mal.
Son éclat de rire résonna à mes oreilles.
– T'es sacrément rouillé si tu crois que je vais tomber dans ton piège à la con. Tu espérais pouvoir me distraire pour pouvoir choper mon flingue ?
– C'est à peu près ça l'idée.
Il savourait mon impuissance et je sentais ma dernière heure arriver. Je revoyais le visage de Cynthia, ses yeux verts qui m'imploraient de l'aider au Narrows.. là où j'atterrirais, j'aurais enfin l'occasion de la retrouver, de lui dire combien j'étais désolé de ne pas avoir été à la hauteur. D'avoir été aussi minable, de n'avoir été bon qu'à ça.
– Il y a bien plus en jeu que tu ne le crois, Selstan. T'as aucune idée de ce qui se passe vraiment ici.
Seth en dansait presque de joie, de continuer à me tenir en joue.
– Et tu le sauras jamais, pauvre cave !
Je fermai les paupières pendant qu'il ôtait le cran de sûreté. Je sursautais malgré moi lorsqu'une détonation claqua.
Je m'attendais à ressentir une douleur fugace avant de sombrer dans un gouffre de silence éternel. Où je ne sentirais plus rien, l'humidité poisseuse qui me collait à la peau, la tension de mon bourreau qui jubilait.
Mais le néant ne m'avait pas encore ouvert les bras, Dieu ne m'avait pas accordé le repos et la pénitence auquel je pouvais avoir droit comme tant d'anonymes avant moi. Mon heure n'était pas encore venue.
Je rouvris les yeux et fus surpris de voir le cadavre de Seth le fou étalé sous mon pif, dans une flaque de sang qui grandissait et baignait son visage de dément. Celui qui tenait le Hachoir d'une poigne impitoyable gisait maintenant insignifiant aux pieds d'une femme chauve à la peau aussi sombre que la face cachée de la lune.
Drapée dans un imperméable luisant, elle rangeait discrètement son joujou dont le canon fumait encore. Et m'accorda un sourire amical.
– Encore dans les emmerdes jusqu'au cou, David.
– Stone ? M'étonnai-je.
Il ne s'agissait ni plus ni moins que de mon ancienne équipière dans la police de Rain City. D'une dizaine d'années ma cadette, je l'avais prise sous mon aile pour lui apprendre les ficelles du métier. Une idéaliste comme moi.
La cruauté de Rain City et de ceux qui se nourrissaient de sa charogne nous avait finalement séparés. Avant de nous réunir à nouveau aujourd'hui. Le grand frère était ravi de revoir sa petite soeur.
Elle m'aida à me relever avec une vigueur inaccoutumée et nous nous dévisageâmes longuement.
– Qu'est-ce que vous fichez ici ? Demandai-je un brin suspicieux.
– Cela aurait été trop beau d'attendre un merci de votre part.
Sa raillerie me fit regretter ma rudesse ordinaire.
– On ne m'a pas beaucoup soutenu quand j'ai été viré.
– Le risque en valait-il la peine ? Si je m'étais tenue à vos cotés, cela aurait-il changé quoique ce soit ?
Son argument tenait la route et elle avait raison, elle n'aurait pas pu risquer sa carrière.
– Non, vous avez raison. Mais ma question tient toujours.
– Je gardais un oeil sur vous, répondit-elle.
– Dommage que vous n'étiez pas là pour empêcher les mignons d'Olson de me refaire le portrait.
Cette fois, son regard vacilla, trahissant une gêne.
– Je suis désolée, j'imagine que vous n'avez pas du passer un bon moment. Ils ne vous ont pas loupé, on dirait.
– Ouais, ils cognent fort pour des gonzesses.
Je jetai un dernier regard sur Seth le fou, qui ne tarderait pas à nourrir les rats du coin. Stone admira pour ainsi dire le reste de mon œuvre.
– Vous n'y êtes pas allé de main morte.
– Ils n'ont pas été très coopératifs, avouai-je avec nonchalance. Enfin j'ai obtenu ce que je voulais.
Je pris le flingue de Seth pour le ranger dans ma poche. Oui j'ai obtenu ce que je voulais, justice a été rendue à Cynthia.
Repose en paix, petite.
– Oui, cette affaire là est terminée, appuya Stone.
Je me figeai, ayant compris le subtil sous entendu qui s'y dissimulait.
– Je suis censé comprendre quoi ?
– Seth le fou avait raison sur un point. Il y a bien plus en jeu que vous ne le croyez. Quelque chose de plus grave que votre enquête.
Je compris à ses traits empreints de gravité qu'elle ne se payait pas ma tête.
– Et de quoi s'agit-il ?
– Il s'agit de sauver Rain City, du moins ce qu'il en reste.
– La sauver de qui ? De quoi ?
Elle resta imperméable à mon insistance.
– Vous n'avez pas besoin d'en savoir plus.
– Cette ville est peut-être pourrie jusqu'à la moelle mais c'est ma ville, martelai-je. C'est quoi votre problème ?
– Vous êtes trop impulsif.
Interloqué par ce jugement de valeur, je lâchai un rire cassant.
– Vous vous n'en êtes jamais plainte, lui fis-je remarquer.
– Parce que vous étiez un bon officier du temps où nous travaillions ensemble. Ca n'avait pas si d'importance que cela.
– Alors qu'est-ce qui a changé ?
Je compris que je n'en saurais pas davantage. Stone était une dure à cuire à qui il était difficile d'arracher les vers du nez.
– Vous n'avez pas à le savoir, trancha-t-elle sans concession. Sachez seulement que vous n'avez jamais été la seule personne à vouloir aider les gens. Contrairement à tout ce que vous avez pu croire.
Ca ressemblait à une semonce ce qui m'étonnait de sa part. Lors de nos patrouilles, elle ne m'avait jamais parlé ainsi, à moins que des circonstances ne l'exigent. Si c'était le cas, je devrais le découvrir par moi-même.
– Rentrez chez vous et ne vous mêlez pas de ça, David, me conseilla-t-elle avant de se détourner.
Je l'observais s'éloigner, perplexe. Des sentiments contradictoires m'agitaient, une tempête subite qui me déchirait les entrailles.
J'étais soulagé d'avoir fait payé la mort de Cynthia à son meurtrier, d'avoir revu mon ancienne collègue. Mais furieux qu'elle me cache des secrets, preuve qu'elle n'avait plus tant confiance en moi.
Après avoir subi l'opprobre et l'oubli, voilà qu'elle me considérait à peine comme un ami. Voilà qui ne manquait pas d'être désappointant. Voilà que je me retrouvais seul au milieu du carnage que j'avais-moi même provoqué.
Le dossier Cynthia Macelen était clos mais Stone avait éveillé ma curiosité. Dans quel camp se battait-elle vraiment ? Je la voyais mal faire le ménage pour le compte de cet enfoiré d'Olson encore moins pour celui du Duc.
Le Hachoir n'avait rien de plus à me révéler. Il fallait que je suive mon instinct… je devais retourner là où tout avait commencé. Je devais retourner au Narrows.
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