Chapitre 3
L'air grave de Sebastian m'informa que quelque chose ne s'était pas passé comme prévu. Ses habits ecclésiastiques étaient froissés par la pluie et la boue comme s'il avait été traîné au sol. Ou plutôt comme s'il avait rampé.
Dans la salle où je fus présenté par Mila aux autres membres haut placés chez les Éclairés, celle-ci et Hamid le fixaient avec une nervosité non dissimulée. Ouais, quelque chose ne s'était pas passé comme prévu.
Le groupe que Sébastian commandait était tombé dans une embuscade alors qu'ils se positionnaient pour attaquer un autre convoi.
– Ils ont surgi de nulle part, tout s'est passé très vite, racontait-il. J'avais l'impression qu'ils étaient partout à la fois.
Mila et Hamid échangèrent un regard dubitatif.
– Combien ont en réchappé à part toi ? Demanda celui-ci.
– Cinq.
J'éprouvais ce sentiment étrange que Sebastian ne disait que ce qu'il souhaitait dévoiler. Je refusais de croire qu'il pouvait cacher des secrets. Pourtant dans cette ville pourrie, c'était devenu une routine comme une autre.
Les secrets donnaient le plus souvent l'illusion que l'on possédait quelque chose que l'on pouvait monnayer pour sa survie. À moins que Sébastian ait reçu des consignes de ne pas en dévoiler trop en la présence d'un petit nouveau comme moi. Ca pouvait se comprendre.
– Je croyais que ce problème avait été réglé mais voilà que ça recommence, lâcha Hamid d'un ton amer.
Je sentis tout à coup peser son regard sur moi. Je surpris dans ses yeux la même braise de suspicion qu'il avait témoigné à mon égard, le jour de mon arrivé parmi eux.
– Pile au moment où tu débarques, toi, martela en me désignant de l'index.
– Cela suffit Hamid, fit Mila en lui posant une main sur l'épaule. Depuis que David est ici, nous ne l'avons pas laissé seul un instant.
– Ouais, ajoutai-je avec dérision, vous vous êtes comportés comme de vrais Protecteurs avec moi.
Sebastian intervint en ma faveur.
– Je peux vous assurer que David est d'une loyauté indéfectible. Même s'il est borné, ajouta-t-il avec malice.
– Merci, prêtre de mes deux, répliquai-je ironique.
Je n'allais pas me plaindre qu'il prenne ma défense. Hamid me fusilla du regard avant de quitter la pièce, ce qui abrégea cette sympathique réunion. Sébastian échangea un regard avec Mila avant de lui emboîter le pas.
Je m'apprêtais à le suivre lorsqu'elle m'arrêta d'un geste discret de la main.
J'attendis patiemment que la porte se referma en grinçant comme les frottements de dents usés d'un épileptique.
– Ce qui est arrivé à Sébastian, c'est pas la panacée, commençais-je.
– C'est le moins qu'on puisse dire, grogna-t-elle. Nous ne somme qu'une centaine, alors encaisser vingt morts d'un seul coup…
Elle recula pour s'appuyer contre le mur, bras croisés. Les pertes encaissées aujourd'hui la troublaient beaucoup, visiblement. J'avais déjà vu cet air chez Stone lorsqu'elle commençait à se creuser les méninges pour résoudre une affaire du temps où on était équipiers.
– Hamid semblait penser que le problème avait été résolu. De quel problème parlait-il ?
Le regard de Mila s'accentua d'une intensité étrange.
– Nous avions un traître parmi nous, avoua-t-elle.
– Vous l'aviez éliminé ?
– Oui, il y a quelques mois, c'est pour cela que nous pensions comme Hamid que le problème était résolu. Mais on dirait que quelqu'un d'autre a pris le relais.
– Cela pourrait être un ancien Protecteur, avançai-je prudemment.
Une ombre passa sur son joli minois.
– J'y ai pensé, appuya-t-elle à voix basse. Le problème est que beaucoup d’Éclairés sont des Protecteurs repentis.
– Ça fait une longue liste de suspects.
Elle soupira longuement, levant les yeux vers le plafonds décrépi qui s'émiettait aux dessus de nos têtes comme pour quérir l'aide d'une puissance spirituelle quelque part là-haut. Quelqu'un là-haut qui restait à notre détresse.
– Nous n'avons pas les moyens d’enquêter, nous manquons de ressources et de temps. Nous devons planifier les prochains raids.
– Que faites-vous du butin ?
– Nous en gardons une partie pour nous et Sebastian distribue le reste. Cela nous assure quelques fidélités durables qui sont nos yeux et nos oreilles dans Rain City.
– Un peu le genre de boulot que tu dois faire au Divan de Cupidon ?
Elle me renvoya un grand sourire.
– Les hommes du Duc ont tendance à se montrer bavards lorsque l'on leur pose les bonnes questions de manière agréable et discrète. Pour ta gouverne, Betsy est dans le coup mais pas toutes les filles.
– Certaines travaillent pour le Duc et ses Protecteurs ?
– Oui, mais j'ignore lesquelles. Donc fais gaffe David, les murs ont des oreilles, là-bas.
Je ruminai l'information, trouvant que Mila prenait quand même certains risques, en naviguant parmi les autres ordures.
Elle avait du cran.
– En l'état actuel, je doute que cela suffise à améliorer la situation. L'ennemi est solidement implanté dans Rain City et nous aurons du mal à l'en déloger, confia-t-elle. La situation devient plus instable à cause de la Vipère Jaune.
– J'ai eu le temps de m'en rendre compte mais après avoir éliminé Seth le fou, cela devrait les ralentir.
Le sourire de Mila devint amer.
– David, je ne sais pas combien tu en as refroidi au Hachoir mais ils auront trouvé quelqu'un d'autre pour remplacer Seth et ses petits copains.
– Merci de m'encourager.
Elle garda son sérieux.
– Trente morts, cela ne représente rien pour eux, il faut que tu en prennes conscience ! Insista-t-elle. Alors que pour nous…
Elle n'acheva pas sa pensée tout haut, mais je la compris.
– Faisons alors en sorte que cela change.
– Je suis ouverte aux suggestions, acquiesça-t-elle.
– Nous savons qui commande les Protecteurs, qui fait acheminer la Vipère Jaune dans toute la ville et est responsable des malheurs et de notre misère.
Le visage de Mila s'éclaira alors d'un espoir possible. J'avais mis de la conviction dans mes mots mais je craignais d'avoir rien de mieux à offrir que des illusions.
– Le Duc. Si on le fait tomber, il entraînera les Protecteurs avec lui et cela nous libérera peut-être de notre prison improvisée.
– Le problème, ça reste de le trouver, fit-elle remarquer. Jusque là, il ne s'est jamais montré, il envoie toujours son fichu croque mort résoudre ses problèmes les plus épineux.
– Stakes ? Fis-je.
– Tu le connais ?
Je n'étais pas près d'oublier ce fichu croque mort qui m'avait regardé, moi, un morceau de viande tout juste bon à être jeté aux clébards. J'éprouvais une terrifiante envie de lui remettre la main dessus et de salir son magnifique imperméable si classe.
– Nous nous sommes croisés, répondis-je simplement.
– Si on veut atteindre le Duc, il faut commencer par lui.
– C'est plus facile à dire qu'à faire. Il doit être bien gardé.
Elle secoua la tête.
– Nous trouverons un moyen, je vais demander à Stone d'y travailler.
– Elle prend assez de risque comme ça, fis-je remarquer.
En effet, j'étais peu enthousiaste à l'idée de risquer la peau de mon ancienne équipière pour un objectif assez dangereux qui n'en valait peut-être la peine. Je voulais faire mes preuves et Mila le comprit aisément.
– Nous n'avons pas le choix, David, trancha-t-elle sans concession. Nous sommes en guerre.
Jugeant la conversation terminée, elle s'écarta du mur et ouvrit la porte tout en ajoutant.
– Et c'est une guerre que nous sommes en train de perdre.
Elle freina net sur le seuil lorsque je lui demandai.
– Le traître dont vous vous êtes occupé, pourquoi il a trahi ?
Elle lança seulement par-dessus son épaule :
– Il avait perdu la foi.
Elle referma la porte rouillée derrière elle, me laissant seul avec cette réponse qui ne me surprit pas le moins du monde.
Perdre la foi était une chose si facile dans une ville pareille. Succomberais-je à cette néfaste tentation ? Je n'étais pas pressé de connaître la réponse.
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