Chapitre 5

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La voiture se gara le long du trottoir, juste devant l’entrée du Divan de Cupidon. Je repoussai sèchement la portière et aussitôt une hôtesse vint m’enlacer sur le seuil.

– Salut, mon grand !

Je lui répondis à peine et elle comprit qu’elle ne m’intéressait pas. Elle se rabattit sur mes camarades, bien plus abordables. J’empruntais le couloir avant d’entendre la respiration d’un vautour dans mon dos.

Olson me suivait de près, il ne m’accordait pas vraiment sa confiance. Son sourire sournois en disait long sur ses pensées.

– Je ne vais pas te laisser la plus belle part du gâteau, hein ?

Prétexte idéal pour rester collé à mes basques, comme une vulgaire punaise fraîchement écrabouillée.

– Si vous le dites, lieutenant.

Nous entrâmes dans le salon où la plupart des files étaient avachies, désœuvrées. Elle n’avaient pas beaucoup de clients, juste une demi-douzaine de Protecteurs, probablement ceux qui avaient ramené Mila ici.

Elles s’animèrent à notre arrivée et vinrent nous entourer vivement. Je m’efforçais de ne pas prêter attention aux caresses de leurs mains, aux frôlements de leur corps contre le mien. Mon obsession était telle que je résistai à l’ivresse du plaisir facile.

– Où est Mila ? Martelai-je.

Elles s’écartèrent, semblant me trouver subitement repoussant. Sans doute à cause de mon apparence sinistre, l’une d’elle s’empressa de prévenir Betsy. La patronne accourut aussitôt, faisant preuve d’une agilité peu commune malgré sa carrure de truie.

– Elle t’attend.

Je lui emboîtai le pas, sans accorder un regard de plus à l’assistance. Elle m’amena là où Mila avions discuté la dernière fois, quand il s’agissait de mettre au point un plan de la dernière chance visant à sauver notre ville.

Cela n’était plus d’actualité, désormais. Les Éclairés n’étaient plus, il n’était plus question de mijoter des plans pour sauver une maison qui prenait l’eau. Au moment Betsy toqua à la porte de la chambre, au premier étage, j’entendis les pas du vautour.

Je fis volte face pour me retrouver nez à nez avec l’autre ripoux de mes deux.

– Tu veux quoi, Olson ?

– Je viens de te le dire, Selstan. Je veux la plus belle part du gâteau. Nous sommes dans le même camp maintenant, il faut apprendre à partager.

Ma main commençait à me démanger.

– Rien ne se partage dans cette ville, tu n’étais pas au courant ? Le raillai-je.

Il plissa les yeux.

– Tu ferais mieux de te pousser, Selstan.

– Et toi, tu ferais mieux d’aller voir ailleurs si tu ne veux pas que mon père règle ton cas de manière définitive.

Il serra les dents.

– Ton papa n’est pas ici. Un mot de ma part et d’autres Protecteurs débarquent.

– Tu as la trouille de lui, lui fis-je remarquer. Je serai curieux de te voir oser le défier.

Ses traits se tordirent en une grimace de fureur.

– Si tu le prends ainsi…

Il n’acheva pas sa phrase mais son silence résonnait comme une imprécation menaçante. Je fus finalement soulagé de le voir se détourner. Il descendit les marches, acceptant finalement que d’autres hôtesses viennent prendre soin de son bien être.

Betsy toqua à la porte et l’entrouvrit légèrement pour lancer :

– C’est David.

Puis cette brave patronne s’écarta pour me laisser passer avant de claquer la porte derrière moi. Mila n’avait pas réagi à mon entrée. Debout face à la fenêtre, elle fixait immobile les ruines de notre bagne qui s’écroulait.

Elle avait gardé le grand manteau, serré contre elle, me tournant délibérément le dos. Son hospitalité laissait à désirer.

Je m’approchai doucement alors que les gouttes s’écrasaient contre la vitre.

– Je voulais savoir comment tu allais.

Plus prompte qu’un battement de cils, elle pivota et sa main boucha un instant mon horizon. Ma joue chauffa sous l’effet de la gifle que je reçus.

– Tu l’as fait, répondit-elle seulement.

– Fait quoi ?

– Te rallier aux Protecteurs.

Elle me fusillait du regard et je comprenais ce qu’elle ressentait. Elle avait beaucoup perdu, peut-être même tout.

– Il se serait passé quoi à ton avis, si je ne l’avait pas fait ? Me défendis-je.

– Tout vaut mieux que de se soumettre aux Protecteurs.

– J’ai fait tout ce que j’ai pu pour les Éclairés, mais ça n’a pas suffi !

Je regrettai d’avoir haussé le ton, lorsqu’elle m’ignora de nouveau pour laisser perdre ses beaux yeux sur le paysage lugubre.

– J’ai tout donné, mais ça a foiré.

Je me rangeai finalement à sa hauteur pour me laisser happer par l’expression du désespoir absolu qui avait usé tant d’innocents.

– Sébastian nous a trahi.

Elle ne s’était pas écartée de moi.

– Je sais, les autres salauds me l’ont dit.

– Ils ne t’ont pas tout dit sur lui, affirmai-je.

Cette fois, elle daigna croiser mon regard sans animosité.

– Raconte, me pria-t-elle.

Alors je lui racontai tout ce qui s’est passé. La trahison de Sébastian à l’église de Killhell, la mort de Hamid dont il était le premier responsable tout comme celle de bien d’autres. Le double jeu qu’il n’avait cessé d’entretenir avec la bénédiction du Duc depuis bien longtemps, depuis le blocus. Son rôle dans la création des Éclairés et son influence trouble qui avait permis de maintenir la menace qu’ils représentaient à un niveau insignifiant.

Je lui racontai et le moins que l’on puisse dire, est que cela fut un sacré choc pour elle.

– Le Duc, ton père ? Oh mon Dieu.

– Tu parles comme je suis tombé des nues.

Elle me saisit par le coude.

– Désolée de l’apprendre, David.

– Bah, dans cette ville, y a plus terrible que ça, je suppose.

Elle était sincèrement peinée alors que je tentai de dédramatiser.

– Alors les dés étaient pipés depuis le début, nous étions les dupes d’un jeu de marionnettes, lâcha-t-elle avec fatalité.

– Il doit rester encore d’autres Éclairés qui ont survécu à la débâcle.

– Même si c’était le cas, ils ne seront pas en mesure de gêner les Protecteurs. Nous étions structurés, organisés. Maintenant tout cela est tombé au fonds d’un gouffre.

Des larmes coulaient sur ses joues et je la pris dans mes bras.

– C’en est fini des Éclairés, ils ont gagné. Il ne reste plus personne.

Me serrer contre Mila me donna tout à coup de la force. Je me sentis prêt à faire tout pour elle, y compris contre les Protecteurs.

– Si, il reste moi.

Mila releva la tête et plongea son regard dans le mien.

– Oh, David. Tu es vraiment chou, mais tu es seul.

– Seul ? Insistai-je. Ça veut dire que tu as baissé les bras ?

Je vis dans ses iris, la flamme de la guerrière qui se réveillait en elle. L’une des raisons qui me faisaient tant l’aimer.

Ah, Mila.

– Je ne suis pas de ce genre-là, protesta-t-elle.

– À la bonne heure.

– Deux, c’est toujours mieux qu’un. Mais ce ne sera jamais assez.

– Nous verrons.

Des coups de poing firent trembler la porte, nous faisant sursauter.

– Eh, Selstan ! Amène-toi, on a du boulot ! Criait-on au travers.

– Je dois y aller, fis-je à regrets.

Je lui pris les mains et je soutins son regard.

– Va, me lança-t-elle. Je ne bougerai pas d’ici.

J’ouvris la porte pour me retrouver nez à nez avec Olson et ses deux comparses.

– Alors il s’en est passé des choses à l’intérieur ? Interrogea le lieutenant.

– Rien qui te concerne, répliquai-je en claquant la porte brutalement.

Il se contenta d’un sourire narquois.

– J’espère que t’as une bonne raison de me déranger.

– Ouais, lâcha-t-il avec cette foutue suffisance qui le caractérisait si bien. On doit superviser le petit commerce maison au Hachoir. Ça te permettra de voir comment on bosse et puis y paraît que tu t’es fait de nouveaux potes là-bas.

– J’ai hâte de voir ça, conclus-je sans enthousiasme.

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