Chapitre 8
J’empoignai mon flingue et je sprintai pour me lancer à sa poursuite. Je tournai là où je l’avais aperçu quelques instants auparavant. Je surpris à dix mètres, une silhouette éclairée par un feu de poubelle qui pivota vers moi.
Zho me foudroyait avec toute la rage dont il était capable. Je l’entendis me hurler dessus alors que le tonnerre éclata au-dessus de nos têtes.
– Fous-moi la paix ! Je bosse plus pour toi !
Je me baissai pour éviter une nouvelle balle qui était destinée à ma caboche. Je levai mon arme pour riposter. Les détonations claquèrent alors qu’il se ruait de nouveau pour s’enfuir. Je l’avais loupé, vu comment il détalait.
Je ne devais pas le laisser me distancer. Mon impatience faillit me coûter la peau. Alors que je m’apprêtais à virer à gauche, pour le suivre, une patate métallique roula tout à coup devant depuis l’angle du mur.
Grenade.
D’un bond en arrière, je me jetai à terre sans éviter totalement l’onde de choc. Je fus momentanément étourdi avant de hurler face aux cieux en deuil de Rain City. J’appartenais à ce monde et j’étais un survivant.
Je devais continuer à le prouver. Zho ne perdait rien pour attendre.
Je me fis violence pour courir un pas après l’autre. Je m’obligeai à allonger la foulée, pour rattraper le maudit rat. J’ignorais combien de temps dura la poursuite, cela n’avait pas d’importance. Je regagnai du terrain sur Zho, ruelle après ruelle, le poursuivant à travers la Cour des Illusions, bousculant les camés qui erraient comme des zombies. Flinguant ceux qui tentaient de me barrer la route, pour me demander du soleil.
Il trouva refuge dans un immeuble abandonné longeant l’Avenue des Damnés parmi tous les autres. Un instant, je me réjouis d’avoir réussi à l’acculer mais je me rappelai à qui j’avais affaire. Zho était peut-être l’un des rats les plus coriaces de cette maudite ville.
J’appréhendai de devoir le traquer à travers les couloirs, les cages d’ascenseurs, les appartements en ruines. Une vraie partie de plaisir, autant de pièges à l’infini qu’il pourrait me tendre, à un abruti de flic comme moi.
Je ne pouvais pas reculer, je devais pénétrer dans la gueule du loup. À peine entré dans le hall, j’avisai l’escalier sur ma droite, aux marches défoncées qui menait au sommet. J’entendis des bruits de pas saccadés qui s’élevaient vers les cieux.
Puis le silence pesant. Il s’était arrêté, sans doute planqué. Il me préparait un mauvais coup, je le sentais dans mes tripes. Je grimpais les marches lentement, les yeux fixés vers le haut. Au deuxième étage, un bras dépassa tout à coup la rambarde.
Je ployai les genoux et la balle éclata le ciment au-dessus de ma tête. Enfoiré de Zho… de nouveau, je l’entendis se débiner, grimpant les marches. J’attendis quelques secondes, histoire de me donner un peu de marge de sécurité.
Parce que je ne comptais pas crever aujourd’hui.
Je me lançai de nouveau en chasse, sans perdre le rythme de ses pas qui résonnaient au-dessus de moi.
Plus que quelques marches avant le dernier étage… je l’avais rattrapé, il n’existait certainement pas d’autre issue pour sortir de là. Le claquement d’une goupille que l’on retirait d’une grenade me figea sur place.
Oh non, Zho. Tu ne m’auras pas une deuxième fois.
Je ramassai la patate qui dégringolait l’escalier vers moi, pour la renvoyer à l’expéditeur. Un glapissement de surprise précéda une explosion étouffée par le pan de mur derrière lequel il s’était planqué.
De la fumée s’en dégagea et je me bouchai le nez pour ne pas tousser. Des grognements rageurs me parvinrent de plus en plus éloignés. Je l’avais sérieusement amoché, même s’il continuait encore de galoper. Je lui avais fait passer sans doute l’envie de me jouer d’autres tours.
Le rat était aux abois.
Au sommet de l’escalier, je le vis tituber avant de se jeter sur le premier appartement à sa droite. Il ne m’a pas laissé le temps de l’aligner. Par bonds successifs, je parvins jusqu’à l’entrée. Je glissai la tête dans l’embrasure et manquai de me faire trouer la cervelle. Plusieurs balles frôlèrent mon front avant de disparaître dans le mur.
Un clic résonna de façon ridicule, preuve qu’il était à court de munitions. C’était bientôt fini.
– Selstan, c’est toujours toi ?
– Qui d’autre, à ton avis ?
Quelque chose déraillait dans son voix. Le désespoir, sans doute.
– Je suis là pour finir ce que j’ai commencé, Zho.
– Je t’ai été utile, Selstan.
Il m’avait aidé à résoudre à pas mal d’affaires, je le reconnais.
– Je peux encore l’être, geignit-il.
– Comment ?
– J’ai des informations sur les Éclairés.
– Les Éclairés n’existent plus, rétorquai-je.
– C’est pas ce que j’ai entendu dire, mon pote. Alors t’es prêt à passer un marché, comme au bon vieux temps ?
Je me tenais sur mes gardes mais je devenais curieux des secrets qu’il pouvait encore me confier.
– Jette ton pétard vers moi, d’abord. Ensuite on cause.
Son flingue déchargé glissa jusqu’à mes pieds et j’entrai dans l’appartement, arme au poing. Le toit et le mur avaient disparu, laissant le vent et la pluie s’engouffrer à l’intérieur et accélérer l’érosion. Zho était assis sur un fauteuil moisi, sur ma droite. Une de ses mains était plaquée contre l’abdomen, teintée de rouge.
Un éclat de shrapnel avait du se loger dans le bide, nous n’avions pas les moyens de soigner ce genre de blessures à Rain City. Dans son regard, je compris qu’il était résigné. Il ne tenterait plus rien contre moi.
– Tu sais, la vue est jolie d’ici. Quand le Déluge a commencé, on raconte que plein de gens sont venus là, pour faire le grand saut.
Je le dépassai pour aller jusqu’au bord du précipice. Les pleurs de Rain City m’inondèrent à nouveau alors que la ville entière s’étalait à mes pieds.
Le bougre avait raison, la vue était sympa.
– J’écoute, annonçai-je en revenant face à lui.
– Promets-moi d’abord que les Protecteurs auront les moyens de me guérir ça.
– On verra, vide ton sac d’abord.
Zho malgré sa blessure grave, continuait de se montrer tenace.
– Ma peau contre mes infos, tu acceptes le deal ? Insista-t-il.
– Marché conclu. T’as intérêt à ce que ça vaille le coup.
Je m’écartai de lui lorsque j’entendis au loin un grondement sourd et lointain se répercuter jusqu’à nous. Ce n’était pas l’orage cette fois. À l’horizon, deux immeubles en ruines venaient de disparaître, l’un s’effondrant sur l’autre.
De la fumée monta là où ils se dressaient encore un instant auparavant. Cette ville n’en avait plus pour longtemps, le Grand Projet prévu par mon cher papa serait le coup de grâce qui la flanquerait par terre pour de bon.
Y avait-il eu des victimes ? Je n’avais aucun moyen de le savoir et je ne pouvais rien y faire si le pire était arrivé.
– Pour sûr que ça vaut le coup, mon pote.
Il haletait tout en continuant de presser sa paume contre sa plaie.
– Tu vois le type que je ravitaillais avant que tu te pointes ?
Je me contentai de hocher la tête, me souvenant du camé qui avait succombé à une overdose sous mes yeux.
– Lui et moi, on a discuté un peu. Il squattait dans une ruine avec quelques copains, quelque part dans la Fange, le long du Styx. Il a vu débarquer une troupe de clodos sans crier gare, qui les ont chassés ni une ni deux, manu militari.
– Une troupe de clodos ?
– Ouais et certains avaient des armes.
– De quoi avaient-ils l’air ?
– À en croire mon client, c’étaient pas des Protecteurs. Et c’étaient pas non plus des collègues qui géraient le même business que moi, tu vois ce que je veux dire.
– Je vois, ouais. Ça ne signifie pas forcément que ton client a forcément vu des Éclairés, vu ce qu’il prenait comme dose de Vipère Jaune.
– Il devait être sacrément chargé, sûr. Mais je me dis qu’il existe forcément une part de vérité, non ? Après tout, c’est toi le flic.
– Exact, c’est donc à moi de juger si ça en vaut la peine. Pour l’instant, c’est pas trop le cas.
Il déglutit lorsqu’il remarqua que j’agitais mon flingue ostensiblement.
– Saute pas trop vite aux conclusions. Figure-toi que mon client a entendu le nom de celui qui les dirigeait. Un môme qui a pas encore de poil au menton, tu vois.
Je retins ma respiration.
– Le nom ? Fis-je avec une impatience redoublée.
– Les autres l’appelaient Eric.
Mon regard se perdit dans le vide, alors que les derniers mots que j’avais adressés à ce môme, ressurgirent dans mes pensées. Je l’avais convaincu de sauver sa peau avec Esa, alors qu’il voulait se battre.
Mon cœur battait la chamade, il avait réussi ! Et Esa devait être certainement avec lui, l’accompagnant et le soutenant.
– On dirait que tu le connais.
Foutu Zho, j’avais eu la faiblesse de trahir ma réaction devant ce rat.
– Tu vois, ca valait le coup finalement.
– Il semblerait.
– Le marché tient toujours alors ?
Je répondis d’un grognement à peine audible et je me penchai pour le soulever hors du fauteuil et le soutenir par les épaules. Il entoura son bras droit autour de mon cou tout en braillant de douleur. Il toussa son sang sur mon imper humide.
– Tu sais, ce serait marrant de voir la tronche de ce fumier de Olson quand tu lui annonceras qu’il n’a pas réussi à buter tous les Éclairés. Sûr que le Duc ne serait pas content de l’apprendre, hein ? Sinon, je peux me charger de faire la commission quand je serai comme un sou neuf.
Les conneries de Zho me persuadèrent d’une chose. Ce précieux secret que je connaissais maintenant, une seule personne devait le détenir.
Moi.
Je le traînais alors avec vigueur non pas vers l’entrée de l‘appartement mais vers le gouffre. Il commença à se débattre, les yeux agrandis de stupéfaction, lorsqu’il comprit le sort que je lui réservais.
– Eh, qu’est-ce que tu fous ?
Il tenta de se dégager et de me bousculer mais je tins bon et moins de deux secondes après, je le suspendis au-dessus du vide par le col. Ses deux pieds tentaient de se raccrocher désespérément au bord, mais ils ripaient sur la surface glissante.
– Arrête, déconne pas !
Je demeurai sourd à ses supplications. Par dessus sa face de rat tordue par la peur d’une mort imminente dans laquelle je m’apprêtais à le jeter, je me forçais à fixer l’horizon, vers les Brumes de l’Extase.
Vers le Divan de Cupidon, où elle était assignée à résidence.
Ce que je faisais, c’était pour elle. Rien que pour elle.
– Ç’a toujours été ton problème, Zho. T’as jamais su apprendre quand il fallait la mettre en veilleuse.
Je lâchai prise sur cette oraison funèbre et il hurla jusqu’à ce qu’il atteignit le sol. Malgré les cinquante mètres de hauteur, je distinguais nettement son corps fracassé sur le trottoir. Quelques désespérés s’approchèrent pour l’entourer et puis se penchèrent finalement pour lui faire les poches. Je les entendis pousser des cris de joie, lorsqu’ils brandirent des fioles de Vipère Jaune dans leurs mains.
Le malheur de Zho faisait le bonheur de quelques uns.
C’était la loi de Rain City.
Je reculai pour me cacher des témoins gênants et saisi le talkie. Je le réglai sur la fréquence des Protecteurs.
– Ici, Selstan. Quelqu’un me reçoit ?
Quelqu’un m’apostropha durement.
– Tu veux quoi, encore ?
– Fin du code 8 – 7. Dites à Olson que c’est fait.
Le type de l’autre coté se montra d’un coup plus conciliant.
– Il sera content de l’apprendre. Où t’as laissé le colis ?
– Sur l’Avenue des Damnés, en bas d’un immeuble. Dépêchez-vous avant qu’il soit désossé.
– Reçu, on s’en occupe. T’as besoin qu’on t’envoie un taxi ?
– Négatif, je ferai le chemin à pied. Selstan, terminé.
Annotations
Versions